France Inter publie ce matin une longue enquête mettant en parallèle les engagements des évêques français face aux abus, et leurs actions concrètes, face à des victimes, dans des affaires d’abus précises – si les noms des auteurs d’abus ne sont pas publiés, leurs diocésains sauront les retrouver. Au moins 18 n’ont pas fait ce que les victimes attendaient d’eux, ont fait traîner les signalements en longueur, voire n’ont absolument rien fait. Un chiffre qui n’est probablement pas définitif.
Parmi les plus lourdement mis en cause, Mgr Rivière, évêque d’Autun, qui avait avoué en avril 2024 sur France 2 devant cinq millions de téléspectateurs qu’il ne lisait pas les signalements d’abus qu’on lui envoyait, parce que ça le mettait « mal à l’aise ».
Une enquête journalistique qui suscite quelques réserves
On peut cependant faire preuve de circonspection concernant cette enquête journalistique qui donne aussi dans l’approximation pénale. Une chose, pour un évêque, est d’avoir commis un abus, voire de ne pas l’avoir signalé lorsqu’il en a eu une connaissance directe et qu’il pouvait agir; une autre est de le mettre en cause au motif qu’il n’a « pas pris la mesure des faits » ou qu’il a fait preuve « d’inertie ». Ce sont des qualifications vagues, notamment sur le plan pénal. Or certaines phrases de Delphine Evenou laissent songeur le lecteur, qui a parfois l’impression de lire un article qui cultive le sensationnel au détriment d’une certaine rigueur juridique et pénale:
Les évêques de Montpellier et Cahors mis en cause pour ne pas avoir pris la mesure des faits.
L’évêque d’Angers accusé d’inertie.
Etc.
Mgr Thierry Brac de la Perrière était-il vraiment responsable ?
Concernant le cas de Mgr Thierry Brac de la Perrière, certains propos journalistiques laissent aussi perplexe. L’évêque est mis en cause parce qu’« il avait rencontré l’une des victimes de Preynat en 2011, sans faire remonter l’information ». Soit, mais était-il tenu de les rencontrer vu le risque qu’il prenait en raison de la non-remontée de l’information ? Et surtout, qu’aurait-il pu faire si les victimes elles-mêmes ne prennent pas le soin de faire remonter ladite information et, surtout, de ne pas saisir la justice ? Certaines affirmations citées par la journaliste peuvent contredire les présupposés de son enquête: « l’infraction est donc constituée mais il convient de constater la prescription de l’action publique« . Le jugement cité dit qu’« une enquête aurait pu être ordonnée en 2011 (…) Plusieurs victimes auraient ainsi pu se manifester plus tôt sans risque pour elles de se voir opposer la prescription des faits subis. » Outre le fait que l’enquête « aurait pu être ordonnée » (cela laisse entendre qu’elle n’était pas obligatoire), la balle est aussi dans le camp des victimes, car elles « auraient pu se manifester plus tôt ». Cela ne préjuge en rien du traumatisme qui fait que parfois, on évite de saisir la justice. Mais pénalement, il devient difficile de déclencher une action pénale sans que les intéressés se manifestent. Pas plus qu’il n’existe une responsabilité pénale du fait d’autrui, la mise en jeu de l’action pénale par des personnes autres que les victimes n’intervient que dans des cas limités.
Les autres évêques mis en cause :
- Mgr Benoît-Gonnin (Beauvais) et Mgr le Saux (Annecy) quand ils étaient au Mans, au sujet de l’affaire Moulay; les ratés à répétition et les mauvaises pratiques autour de ce prêtre qui a été ordonné malgré des rapports très défavorables de son séminaire, et qui a multiplié les victimes dans les diocèses de Rennes et du Mans tandis que ces dernières se voyaient opposer toute l’inertie de la communauté de l’Emmanuel intéressent les visiteurs apostoliques qui vont inspecter cette communauté dans les mois à venir. Notons cependant selon des témoins sûrs que qu’à l’époque Mgr Benoît-Gonnin n’avait aucun pouvoir de décision et que certains journalistes affirment même qu’en tant qu’évêque il aurait fait son travail et aurait même été précurseur
- Mgr Aillet (Bayonne), pour deux prêtres du diocèse pour lesquels plusieurs années se sont écoulées entre le signalement par les victimes et les mesures canoniques ou judiciaires; une troisième affaire est citée, mais s’il a bien été réintégré en paroisse sous Mgr Aillet, la décision de l’envoyer, pendant ses cinq ans d’interdiction d’activités auprès des mineurs, en aumônerie des Basques à Paris revient à son prédécesseur, Mgr Molères
- Mgr d’Ornellas (Rennes), pour l’affaire Carissan, que Mgr d’Ornellas a envoyé, une fois ses abus connus, à l’Arche de Trosly-Breuil, dont il est l’accompagnateur spirituel, où les gendarmes l’arrêtent en 2010.
- Mgr Pansard (Evry)
- Mgr Delarbre (Aix)
- Mgr Turini (Perpignan) et Mgr Camiade (Cahors), au sujet de l’affaire Olivier; bien que condamné en 2013, il était redevenu curé de plusieurs villages, mais a depuis été déplacé dans un service d’archives, après plusieurs publications rappelant le témoignage et le vécu de la victime.
- Mgr Roland (Belley-Ars), au sujet de l’affaire M’vuatu. La justice canonique a disculpé le prêtre malgré des faits accablants; néanmoins une des victimes a porté plainte devant la justice civile.
- Mgr Souchu (Dax), Mgr Blaquart (Orléans) et Mgr Eychenne (Grenoble) quand ils étaient en Orléans au sujet de leur inertie quant aux abus commis par le père de Scitivaux; Mgr Souchu, qui s’est tu, est devenu évêque – et a continué de pratiquer l’inertie et le refus de prendre en compte la parole des victimes dans l’affaire du père Goguey (notamment).
- Mgr Delmas (Angers) auquel il a fallu dix ans pour prendre des mesures conservatoires pour un prêtre auteur d’abus – il avait reçu le signalement en 2014.
- Mgr Pierre-Yves Michel (Nancy) quand il était vicaire à Lyon; mis au courant des rumeurs concernant le père Preynat, il n’a pas cherché plus loin.
- Mgr Wintzer (Sens-Auxerre) qui a récemment défrayé la chronique pour s’être entêté des semaines durant à réintégrer dans son clergé un prêtre auteur d’abus et excommunié de surcroît, l’abbé Jean Tribut. Présent à sa messe d’installation, il l’a rendu illicite en concélébrant. Et pour Mgr Wintzer, qui avait pourtant beaucoup de leçons à donner à ses confrères après la CIASE dans son livre, il a fallu que Rome intervienne…
- Mgr Colomb (La Rochelle), toujours mis en examen pour tentative de viol, quand il était aux MEP.
Travail journalistique bien peu rigoureux. Si France Inter s’était mieux documenté, ils auraient ajouté : Mgr Crepy, Mgr Gosselin, Mgr Reithinger et d’autres encore.
Je voudrais simplement témoigner, puisque je vois qu’il est mis en cause en début d’article, que Mgr Rivière a été à l’initiative d’un week-end dédié à la prière et a la réparation en faveur des victimes d’abus sexuels ; week-end qui s’est tenu à Paray-Le-Monial les 22 et 23 mars 2025. La Messe de dimanche était une Messe de réparation. Ce fut un temps très fort et bouleversant et Mgr Rivière y a fait, agenouillé devant l’autel avec tous les autres prêtres et accompagné par l’assemblée un acte de réparation extrêmement fort.
N’oublions pas que nos évêques, quelles que soient leurs limites ou leurs défaillances, doivent être respectés en raison de leur dignité sacerdotales et de qui ils représentent. Et gardons à l’esprit que le Coeur de Jésus est aussi grandement blessés par les critiques incessantes dont ils sont l’objet. Prions avant tout pour eux, c’est ce qui leur sera le plus profitable.
J’ai eu personnellement affaire au « plus lourdement mis en cause ». Je peux vous assurer qu’il agi envers moi de façon proche de la description de l’enquête de France Inter, et que les conséquences auront été exactement les mêmes décrites, à savoir, la liberté tjs actuelle ou à ma connaissance, récente, de multirécidivistes. Cela fait des années que je dis ce qui est « dénoncé » dans l’article. C’est tellement facile de dire à une victime qu’elle aurait dû se manifester plus tôt. Je ne souhaite à personne de subir des abus physiques et/ou autres, et je ne suis pas certaine que quelqu’un n’ayant heureusement jamais subi cela soit à même de juger de la réaction de victimes. « Il » m’a réduite à l’état de peur absolue de lui et donc au silence le plus total. J’ai encore peur en écrivant cela.
Une « messe de mémoire et reparation » : je n’y étais pas : a t il pris la parole ? S’est il excusé ? Certains diocèses agissent bien plus et mieux, avec beaucoup plus de courage, et comme par hasard ne figurent pas parmi cette triste liste, non exhaustive en effet hélas… Certains ecclésiastiques/diocèses/laïcs engagés, aident et sauvent les victimes pendant que d’autres les auront utilisées, réduites à la peur, au silence, au néant et la souffrance. Et l’on reproche ensuite aux victimes de ne pas s’être manifestées assez tôt ?? Que defend on finalement ? Les personnes ou l’image des institutions ? Laquelle des deux est la plus importante ? Merci.