Sur X, la journaliste Natalia Trouiller, qui s’est fait une spécialité de dénoncer les abus au sein de l’Eglise, vient de lancer un gros pavé dans la mare du diocèse de Sens-Auxerre. Elle avait prévenu le 19 décembre mais, sans effet, elle a décidé de porter l’affaire sur la place publique.
Je viens d’envoyer un mail TRÈS salé à un évêque qui s’obstine à vouloir réintégrer un prêtre excommunié (vi vi) pour contra sextum cum minore avec absolution du complice.
On
En
Est
Toujours
Là.
Son chargé de comm est abonné à mon compte.
Sérieux, raisonnez-le.— Natalia Trouiller (@ntrouiller) December 19, 2024
Dans un fil agrémenté de copies de courriers et de jugements canoniques, elle écrit que Mgr Pascal Wintzer, ancien archevêque de Poitiers devenu en août 2024 archevêque de Sens-Auxerre, auteur en 2023 d’un petit opuscule sur les abus sexuels dans l’Eglise, a réintégré un prêtre excommunié pour avoir abusé d’une femme puis de l’avoir absout en confession.
Retour sur les faits. Le 20 mars 2017, Mgr Giraud, alors l’archevêque de Sens Auxerre, reçoit par courriel, le témoignage d’une femme, victime entre 14 et 18 ans d’un prêtre qui commet sur elle des agressions de plus en plus graves. Il prend immédiatement rendez-vous avec elle et apprend que la jeune femme a été agressée de ses 14 à ses 18 ans par l’abbé Jean T, curé charismatique, sympa, toujours le mot pour rire, serviable, avec des homélies qui font mouche… Ainsi, la victime raconte comment, à la fin de la dernière agression, Jean T lui a expliqué en substance qu’elle ne pourrait pas communier à la messe qu’il s’apprêtait à célébrer, vu ce qu’ELLE venait de faire. Il fallait donc qu’il la confesse avant. En droit canonique, ça s’appelle “absolution du complice”. Un prêtre qui fait ça est excommunié latae sententiae. Automatiquement. Pas besoin de procès : c’est tellement grave que l’acte comporte en lui-même sa condamnation.
Mgr Giraud déclenche immédiatement les procédures, étatique et canonique. Il avertit le procureur de Sens. Une enquête est lancée. Elle sera classée sans suite, au motif de la prescription, ce qui ne signifie pas que Jean T. n’a rien fait. Mais l’affaire tourne au vaudeville sordide. Convoqué par son archevêque, Jean T. ignore ce qu’on lui reproche. Alors il décide de reconnaître spontanément les faits… sur une 2ème victime, majeure celle-ci. Le 26 février 2020, l’officialité de Paris, qui a pu contourner la prescription grâce à Mgr Giraud qui a obtenu une procédure administrative, juge Jean T. coupable d’abus sur mineure, confirme l’excommunication, et le condamne à 5 ans de privation de ministère.
Jean T. ne s’est pas repenti et a fait appel. Il dépose un recours auprès du Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF) à Rome. Ensuite, il hurle dans tout le diocèse à la persécution. Il se garde bien d’évoquer les vraies raisons de sa disgrâce. C’est le méchant évêque qui le persécute. C’est une femme déséquilibrée qui lui en veut. C’est une histoire d’abus d’autorité qu’on lui reproche, rien de sexuel voyons.
Le 30 octobre 2020, le DDF confirme la culpabilité, l’excommunication et la privation de ministère, ramenant à deux ans au lieu de 5, en considérant que comme Jean T. est suspendu depuis 2017, dans 2 ans les 5 ans seront accomplis.
Jean T refait un recours. Ultime décision de Rome, qui souligne au passage la crédibilité de la victime, mais aussi le traumatisme qu’elle a subi. Et le discrédit de Jean T. aux yeux des juges. La sentence finale confirme la culpabilité (donc l’excommunication) mais lève la privation du ministère.
Jean T n’accepte toujours pas sa condamnation. Son fan-club, dans le diocèse, continue de traîner l’évêque et la victime dans la boue. Au point que Mgr Giraud envisage de publier les sanctions.
Il en parle à son vicaire judiciaire, le chanoine Nison. Nison explique en bon canoniste que toute publication de sentence provoquera immédiatement une épidémie de peste, une pluie de grenouilles, les eaux de l’Yonne changées en sang et la chute des dons au Denier. La sentence reste donc secrète.
On arrive en 2024. Mgr Giraud quitte Sens-Auxerre pour retrouver son Ardèche natale. À peine a-t-il tourné les talons que Jean T fait le siège du vicaire général, devenu administrateur diocésain : le père Joël Rignault. Celui-ci ne résiste pas longtemps et réintègre Jean T. Pourtant, Rignault n’a absolument pas le droit de lever son excommunication, seul le DDF peut le faire. Puis Mgr Wintzer est nommé. La messe d’installation est belle et Jean T concélèbre.
Natalia Trouiller appelle donc Mgr Wintzer, persuadée que c’est un malentendu :
Je tombe sur un évêque qui me semble soucieux de bien faire, un peu perdu dans les méandres du droit canonique (comme beaucoup). Il me donne son interprétation: Rome a réduit l’excommunication à 2 ans.
Je lui explique que ce n’est pas possible: la condition pour lever une excommunication, c’est la résipiscence du coupable. On ne peut pas la réduire comme ça. C’est implicite dans le texte parce que pour un canoniste, c’est évident. Ou ça devrait.
Il n’est pas convaincu.
Ce n’est pas grave: je lui propose que nous envoyions un mail au Tribunal pénal canonique national pour leur demander leur avis, qui fait force de loi. Il accepte. J’écris donc un mail au TPCN, avec Mgr Wintzer en copie.
Au TPCN, on confirme que Jean T est bien excommunié. On le signifie à Mgr Wintzer le 16 décembre. Deux jours plus tard, je reçois un mail de Mgr Wintzer:
Je rappelle le TPCN en mode “C’est quoi ce bazar”. Ils tombent des nues. Ils rappellent Wintzer, qui s’entête, parce qu’il a eu au téléphone l’officialité de Paris, donc le chanoine Nison, qui a une fois de plus fait n’importe quoi. Et Wintzer réclame confirmation du DDF. Elle lui envoie une réponse :
Et Mgr Wintzer répond, imperturbable :
Ce à quoi elle réagit :
Nouvelle réponse cléricaliste de l’archevêque :
Puis la réponse du DDF arrive, dans laquelle il re-confirme l’excommunication de Jean T. Mgr Wintzer s’exécute-t-il pour autant ? Non. Jean T continue de célébrer des messes illicites. Il a donc concélébré la messe d’installation de Mgr Wintzer, où était notamment présents le nonce apostolique Mgr Migliore. Qu’en pense ce dernier ? A quand une visite apostolique dans le diocèse de Sens-Auxerre ?
Jean T. re-concélèbre le 2 décembre à la messe de funérailles de Mgr Gilson. Lorsque Mgr Giraud, venu pour l’occasion, a vu Jean T en train de revêtir sa chasuble, il a eu une explication virile avec Wintzer. Qui l’a envoyé aux fraises.
Peu avant Noël, Mgr Wintzer a eu confirmation de l’excommunication de Jean T par le DDF. Il faudra attendre le 4 janvier pour qu’il cède et signifie à l’olibrius que cette fois, la fête est terminée. On imagine que Rome est intervenue. Un mois de bras de fer pour qu’un évêque applique une sanction canonique déjà appliquée par son prédécesseur.