Alors que s’est ouverte depuis le 5 novembre dernier à Lourdes l’assemblée d’automne de la Conférence des Evêques de France (CEF), trois ans après celle consacrée au rapport de la CIASE sur les abus sexuels dans l’Eglise, la question des abus en est quasiment absente dans le planning officiel, si ce n’est pour présenter les résultats d’un groupe de travail sur les abus dont les victimes sont majeures. Cependant, bien que nombreux sont les responsables ecclésiastiques qui affirment à qui veut l’entendre que “la crise des abus est derrière” eux, elle reste au contraire très présente à l’esprit des victimes brisées pour leur vie entière, de la société civile, de la justice civile qui traite les affaires d’abus qui sortent – tout au moins quand elles lui parviennent – et des fidèles aujourd’hui qui interrogent l’attitude des responsables ecclésiastiques, toutes ces années, et encore maintenant.
L’une des victimes du père de Scitivaux – renvoyé à l’état laïc et condamné par la justice civile en mai dernier à 17 ans de prison pour de nombreux abus et agressions sexuelles sur quatre mineurs en Orléans et dans une colonie de vacances du diocèse en Bretagne; il reconnu les faits mais a fait appel pour tenter de réduire sa peine – a interpellé fin mai 2024 l’attitude des responsables religieux du diocèse d’Orléans, qui savaient mais n’ont rien fait, à travers une lettre d’apostasie où il renie son baptême et sa foi catholique : “”Ils sont toujours dans le déni. Ils ne reconnaissent pas le fait de ne pas avoir agi. Voir une inaction totale de cette Eglise qui aujourd’hui exprime la volonté de prendre en compte les victimes, d’avancer, alors que ces mêmes personnes étaient quelques années auparavant en responsabilité au diocèse d’Orléans et n’ont absolument rien fait. Et ces personnes là sont toujours en responsabilité, mais ne se remettent pas en question“.
Etouffée pendant des années comme d’autres affaires d’abus dans le diocèse, elle avait été rendue publique en 2017. Cependant, le diocèse était au courant depuis des décennies, et plusieurs de ses responsables, parfois aujourd’hui devenus évêques, l’ont été aussi – sans rien faire.
Le diocèse d’Orléans au courant depuis 1997 ?
Cette lettre a beaucoup interpellé au sein du diocèse d’Orléans où divers responsables ou laïcs en mission ont écrit à la victime. Une responsable de catéchèse lui a confirmé que le diocèse était au courant depuis 1997, et qu’à l’époque, le prêtre est déplacé, mais maintenu au contact de jeunes pendant qu’on lui intime le silence : “une responsable d’aumônerie d’Orléans l’interpelle également. Après avoir déposé en mai dernier devant les assises du Loiret, Marie-Paul a décidé de reprendre la parole, et pour la première fois dans la presse. “Je le fais pour les garçons [ndlr : les quatre parties civiles dans l’affaire de Scitivaux] et je le fais pour que notre Eglise reste vigilante, garde cet élan initié en 2021 au moment de la remise du rapport de la Ciase”.
Dès 1997, Marie-Paul reçoit de premières alertes de parents sur le comportement du père Olivier de Scitivaux. Elle transmet à sa hiérarchie. Le vicaire général, François Maupu, lui demande d’aller prévenir le prêtre que des familles se plaignent de son comportement. Olivier de Scitivaux est finalement déplacé, mais toujours au contact de jeunes. “J’ai été très étonnée. Il m’a été dit que ce n’était plus mon affaire, et que je devais me taire”, raconte Marie-Paul”.
France Inter pose un autre constat, qui interroge – trois prêtres de la paroisse de Meung-sur-Loire ont été condamnés pour abus sexuels sur mineurs : “dans les années 1990, Olivier de Scitivaux (condamné en mai 2024), Pierre de Castelet (condamné en 2018), puis Loïc Barjou (condamné en 2006 pour au moins quinze agressions sexuelles) ont chacun été curé de Meung-sur-Loire. Tous trois faisaient partie du mouvement des Scouts d’Europe“.
Mgr Souchu au courant depuis 2007 : il s’est tu et est devenu évêque
Entre autres, explique France Inter, cette victime a “fait parvenir sa lettre d’apostasie à Nicolas Souchu, vicaire général du diocèse d’Orléans entre 2000 et 2008. Deux mois et demi plus tard, le prélat répond à Quentin : “Après ma minable déposition à la barre, j’ai beaucoup réfléchi”.
Car Nicolas Souchu a bien été alerté à plusieurs reprises de “comportements inappropriés” d’Olivier de Scitivaux. Fin 2007, une religieuse le rencontre à ce sujet dans le cadre d’un projet de pèlerinage à Rome avec des collégiens, auquel le prêtre doit participer. Et le vicaire général lui confirme que des lettres étaient déjà parvenues à l’évêché et qu’une enquête avait été menée (la sœur réitèrera son alerte en 2012)“.
Mais Mgr Souchu gardera le silence. Et il pourra monter, devenant évêque, d’abord auxiliaire à Rennes en 2009-17, puis titulaire de Dax en 2017.
Bien décidé à continuer de monter (quo non ascendet ?), il a continué de se taire, confiant au père lazariste Vincent Goguey une partie de la pastorale des jeunes malgré deux enquêtes canoniques à son sujet et des restrictions de ministère, avant de se confondre en plates – et tardives – excuses, ou encore en refusant de prendre en compte les révélations d’un lanceur d’alerte au sujet de problèmes et d’abus au séminaire de Dax, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, dont certains auteurs sont encore en vie et assurent même des responsabilités de premier plan dans le diocèse.
Bref, Mgr Souchu confirme en tous points les avantages pour certains responsables ecclésiastiques de se taire pour pouvoir faire carrière. Et tant pis pour les victimes ou les fidèles, souvent mis au courant en dernier… et pas par les autorités religieuses.
Mgr Eychenne au courant aussi, il s’est aussi tu, et aussi, il est devenu évêque
La lanceuse d’alerte de 1997 continue inlassablement de prévenir chaque nouveau responsable ecclésiastique dans le diocèse d’Orléans : tous se taisent, dont celui qui n’est pas encore Monseigneur : le père Jean-Marc Eychenne, ordonné dans la communauté saint-Martin, puis incardiné au diocèse d’Orléans à partir de 1994 et vicaire général en 2009-2014 :
“Pendant quinze ans, elle continue à alerter les nouveaux évêques arrivants, et chaque vicaire général, dont Nicolas Souchu. Mais aussi Jean-Marc Eychenne, aujourd’hui évêque de Grenoble, et vicaire général du diocèse d’Orléans de 2009 à 2014. “Il est à l’écoute, c’est vrai, mais ne fait rien” commente celle qui est redevenue une simple paroissienne.
Dans ses fonctions orléanaises, Jean-Marc Eychenne a également été alerté d’au moins un autre dossier. En septembre 2010, Olivier Savignac, victime du père Pierre de Castelet, est reçu par l’évêque, André Fort, pour raconter l’agression sexuelle qu’il a subi au camp organisé par le Mouvement eucharistique des Jeunes à Arthez-d’Asson (Pyrénées-Orientales) en juillet 1993. Il obtient qu’une expertise psychiatrique soit menée sur son agresseur. Un an plus tard, il revient furieux dans le bureau du successeur de Fort, Jacques Blaquart, car en mai 2011, Pierre de Castelet a participé à une conférence sur la pédophilie à Orléans. Olivier Savignac questionne le vicaire général Jean-Marc Eychenne, également présent durant l’entretien : “Vous étiez au courant du dossier Castelet, comment avez-vous pu laisser passer cette participation?“.
Mgr Eychenne s’est tu, et cela lui a aussi profité – en 2014, il est devenu évêque de Pamiers, puis il a été nommé évêque de Grenoble et Vienne en 2022. En plus de donner des leçons de synodalité, il se fait aujourd’hui l’apôtre de transparence. Quand il a ouvert l’accès aux (quelques) archives du diocèse sur l’abbé Pierre, en septembre dernier, il a affirmé “nous sommes en train de changer de pratique. On était plutôt jusqu’à maintenant dans une culture du secret pour ne pas porter atteinte à l’image de certains personnages ou des institutions”.
Des déclarations qui ont fait tousser les victimes des abus sexuels de plusieurs prêtres orléanais – mais Mgr Eychenne a refusé de répondre aux questions de France Inter qui voulait confronter ses (in)actions passées, comme vicaire général d’Orléans, à ses propos d’aujourd’hui.
Mgr Eychenne s’est tu, et cela lui a aussi profité – en 2014, il est devenu évêque de Pamiers, puis il a été nommé évêque de Grenoble et Vienne en 2022. En plus de donner des leçons de synodalité, il se fait aujourd’hui l’apôtre de transparence.
Le désir de promotion épiscopale lui a fait tourner la tête. A Pamiers, il a renvoyé un prêtre (innocent) à l’état laïc pour manifester son pouvoir et il a laissé tant d’autres continuer leur double vie.