Il a fallu quatre ans au diocèse de Nantes pour passer des tags – certains nominatifs et très précis – commis en 2021 aux abords du collège saint Stanislas de Nantes et du grand séminaire à une conférence de presse pour reconnaître l’existence de dix victimes, de cinq auteurs d’abus religieux et un laïc, fin août 2025. Depuis, une quarantaine de victimes ou de témoins supplémentaires se sont fait connaître, certaines ont déposé plainte au pénal, et les faits s’étendent maintenant du début des années 1950 au milieu des années 2010, mettant en cause cinq religieux tous décédés, ainsi que quatre laïcs (dont deux au moins sont encore vivants). C’est dans ce contexte que le directeur de l’enseignement diocésain Frédéric Delemazure a reconnu dans les colonnes de France 3… que le diocèse savait, mais se refusait d’agir sur des « rumeurs« .
Celui qui est en poste depuis 2019 – et donc l’était au moment des tags – affirme ainsi « On savait qu’il s’était passé des choses graves dans l’établissements entre les années 60 et 2000. Heureux de voir que des victimes, enfin, s’expriment, et que la parole se libère. L’établissement bruissait de rumeurs depuis de très nombreuses années. (Il y a) une satisfaction de la communauté éducative aujourd’hui de pouvoir enfin arriver à dépasser les rumeurs. Et puis il y a eu des tags qui montraient clairement qu’il s’était passé des choses« .
Mais les tags n’ont pas été suffisants pour que le diocèse brise l’omerta : « parce qu’ils étaient anonymes, ils citaient des personnes mais ces personnes étaient citées aussi dans les rumeurs. On ne pouvait pas cibler ce qui se passait. Ce qu’on savait c’est qu’il s’était passé des choses. »
Le diocèse de Nantes savait et n’a rien fait : et pour les autres affaires d’abus aussi ?
Et bien qu’ils savaient – ils n’ont rien fait. En 2021 Mgr Percerou affirmait même « ne pas avoir connaissance du dossier » alors que deux victimes (au moins) avaient témoigné auprès de la CIASE en 2020-21, bien avant les tags.
Depuis, la mémoire des victimes a fait ressurgir des limbes d’autres affaires d’abus – à Saint-Félix et Loquidy dans le réseau lassalien, dans l’établissement d’Angreviers des apprentis d’Auteuil dans les années 1960-70, au petit séminaire de Guérande jusqu’en 1966 et au foyer Moissons Nouvelles jusqu’en 2006 (l’association connaît alors des problèmes liés aux violences entre élèves et des fugues), et dans d’autres établissements encore. Certes, le bâtiment administratif de la direction diocésaine de l’enseignement catholique a brûlé en 1986 à Nantes, mais pour combien d’affaires le diocèse savait depuis toutes ces années ?
Un indice : en 2007 est paru un ouvrage thématique intitulé Ils ont fait l’enseignement catholique au diocèse de Nantes, et bien que Saint-Stanislas a été un des établissements diocésains les plus connus, formant prêtres et notables, il n’y a que très peu d’allusions le concernant – principalement des récits de l’Occupation et du début du XXe siècle; il y en a encore moins concernant le petit séminaire de Guérande.
Quatre ans après la CIASE, la transparence n’est toujours pas au rendez-vous
Quatre ans après la CIASE, à de rares exceptions, à chaque fois qu’une affaire d’abus est révélée dans un diocèse, quels qu’en soient les auteurs, elle l’est du fait de la pression de la société civile, l’existence de victimes qui refusent désormais de se taire, voire le travail d’enquête de la presse locale ou de collectifs de victimes, qui face aux refus de certains diocèses d’ouvrir leurs archives, rétablissent eux mêmes la mémoire à travers les archives privées, les palmarès des établissements scolaires ou leurs souvenirs.
Quatre ans après la CIASE, la transparence n’est toujours pas au rendez-vous, comme si l’Eglise ne voulait ou ne pouvait pas se permettre de sortir de la crise des abus une bonne fois pour toutes, alors que la quasi-totalité des auteurs sont aujourd’hui décédés. Comme si les engagements pris à Lourdes à l’automne 2021 et lors de la CIASE sont restés (en partie) lettre morte – notamment en ce qui concerne l’attention aux victimes, l’ouverture des archives, la révélation des affaires si longtemps cachées.
Comme si face au poids de l’indicible et au nombre d’affaires restant encore à sortir, l’Eglise de France préférait malgré tout défendre l’institution contre les victimes, les auteurs du passé face aux fidèles d’aujourd’hui (et demain), le mensonge et le déni face à la justice et à la vérité, sans plus avoir les moyens d’assurer l’omerta et le silence comme jadis.
Cette position est évidemment intenable dans la durée, et l’affaire Bétharram a montré que des centaines de victimes sont prêtes aujourd’hui à parler. Avec ou sans l’Eglise, et qu’importe l’avis des évêques. En France et ailleurs…
Jusqu’à quand les responsables ecclésiastiques continueront-ils à abuser de la patience des victimes et des fidèles ?