Après que le diocèse de Nantes ait reconnu le 29 août dernier l’existence d’abus au collège lycée saint Stanislas à Nantes, « de 1958 à 1995« , quatre ans après les tags d’octobre à décembre 2021 qui ont visé cet établissement précis, et lancé un appel à témoignages concernant tous les établissements scolaires privés du diocèse et les trois petits séminaires (Guérande, Légé et les Couëts) les témoignages ont commencé à afflué – au 2 septembre au soir, le diocèse en aurait reçu plus de 30, y compris pour d’autres établissements de l’enseignement diocésain que saint Stanislas. Le parquet de Nantes a annoncé avoir ouvert une enquête.
Une enquête du parquet de Nantes ouverte après le suicide d’un ancien élève victime de « sévices épouvantables » à l’internat
L’enquête du parquet a été ouverte suite au suicide d’un homme de 46 ans en 2024, issu d’une grande famille catholique nantaise. Comme le rappelle la presse locale, » Il avait « fait part à ses proches, précédemment, d’avoir été victime d’infractions à caractère sexuel commises par un surveillant lorsqu’il était interne au collège Saint-Stanislas de Nantes« , dans les années 1990 – à l’époque, l’éphémère député et adjoint à la culture de la dernière municipalité de droite de Nantes, en 1983-89, Dominique Pervenche, était directeur de l’établissement, et ce jusqu’à la fin des années 1990.
Plusieurs religieux sont cités par les témoignages que nous avons recueilli :
- l’abbé André Lefort, décédé le 9 mai 2017, « prêtre et ancien professeur à Saint-Stanislas«
- l’abbé Albert Lechat, décédé fin avril 2011, prêtre et professeur de philosophie, animateur de plusieurs clubs dans l’établissement (édition du journal le Globule, archéologie, hygiène (sic), astronomie), il célébrait la messe à la crypte de la chapelle de l’établissement au début des années 2000
- l’abbé Jacques Dupont, décédé en 1986, aumônier de l’établissement
- un professeur de mathématique non nommé, actif dans les années 1960
- un autre religieux non nommé, actif dans les années 1960
Des laïcs sont aussi cités à divers titres :
- Dominique Pervenche, directeur de l’établissement de 1976 à 1999
- R.V, professeur d’histoire et de cinéma, décédé en 2023
- un surveillant d’internat d’une trentaine d’années, non nommé actif au début des années 2000
Des victimes parlent
Des victimes commencent à témoigner dans la presse, notamment Philippe, 77 ans aujourd’hui, qui témoigne de faits d’agression sexuelle subis de la part d’un prêtre qui était son professeur de latin en 1960. Il a appris bien plus tard ne pas avoir été la seule victime de ce religieux aujourd’hui décédé : « « j’ai appris bien plus tard par le biais d’anciens élèves qu’on le surnommait « le Tâteur » »
Il mentionne aussi dans son témoignage un autre prêtre qui enseignait les mathématiques, « au tempérament « discutable ». « Il nous disait, « baille pas si fort, on voit la marque de ton slip ». » Un jour, un camarade lui révèle avoir été emmené de force dans une chambre par cet homme, ce dernier aurait réussi à s’enfuir « en voyant que l’abbé essayait de le toucher ».
Les abus et l’ambiance étrange, graveleuse même ont duré bien après 1999 – le départ de M. Pervenche de la direction de Saint Stanislas. Un ancien élève de septembre à décembre 2001 nous écrit : « j’ai refusé à plusieurs reprises les avances glauques, on dirait aujourd’hui « déplacées », d’un surveillant dans les 30 ans, qui était souvent nu, la taille ceinte d’une serviette, et qui insistait pour attirer les internes dans sa chambre, située non loin des sanitaires (anciens) en leur offrant des chewing-gum ».
Il affirme avoir parlé de cette situation à la direction de l’établissement, qui n’a rien fait, et demandé à ses parents de le retirer de l’établissement, où il a été « témoin de choses insoutenables – principalement entre élèves, mais je n’ai pas été touché. J’ai cassé la nez de l’élève, proche de l’ancien directeur, qui était venu me violer, nu à part son slip tendu. Il a été exclu deux jours, puis définitivement l’année suivante, pour des faits similaires« .
Un professeur d’histoire et de cinéma faisait des avances indécentes aux élèves et prenait des photos dénudées
D’ailleurs, alors que Ronan Manac’h était directeur de l’établissement, entre 2000 et 2002, un professeur faisait des avances indécentes aux élèves et mettait des mauvauises notes, puis s’arrangeait pour faire virer de l’établissement, ceux qui refusaient. S, élève dans l’établissement à cette époque, témoigne : « on avait un professeur d’histoire et de cinéma, qui était mon professeur principal, connu pour ses allusions graveleuses quand il était alcoolisé. Mais chaque année il se choisissait un « chouchou » auquel il faisait des avances indécentes. Il m’a invité plusieurs fois à venir chez lui où il avait du matériel cinématographique, a pris une photo de moi en caleçon, a même envoyé une carte postale à ma mère où il disait avoir des photos de moi.
Ma mère s’est faite recevoir par un directeur, un ancien militaire [il s’agit probablement de M. B, directeur adjoint du lycée depuis 2001] qui ne l’a absolument pas cru et s’est énervé. Le professeur dont j’ai refusé les avances a commencé à me saquer et me mettre des mauvaises notes, et bien que j’ai fait ma seconde et ma première à Saint-Stanislas, je n’ai pas été repris en terminale et j’ai eu mon bac haut la main cette année dans un lycée public. A ma connaissance il n’a jamais été sanctionné ni jugé« . Ce professeur serait mort en novembre 2023.
« La conférence de presse est là pour protéger l’institution. Les victimes ont été totalement trahies«
Premier ancien élève victime à témoigner à visage découvert, Emmanuel Cocaul, ancien élève de 1976 à 1984, interne en 1980-81, s’est confié à RTL et Ouest-France; il avait aussi témoigné auprès de la CIASE en 2020 – le diocèse était donc au courant qu’il y avait au moins une victime d’abus à saint Stanislas qui s’était faite connaître quand les tags ont eu lieu en octobre-décembre 2021 – à l’époque Mgr Percerou affirmait ne pas avoir eu connaissance du dossier.
2020-02-17-Audition-de-M.-Emmanuel-C.
Dans son témoignage, il aborde l’ambiance de l’établissement à l’époque où il subit des abus : « l’ambiance générale au sein de cette institution était d’admettre un peu le caractère ordinaire et anodin de ce type d’agissements. Le proviseur de l’établissement qui était bien connu des élèves, convoquait dans son bureau, des élèves ayant sa préférence. [Directeur qui ] était un laïc, qui fut même un éphémère député entre /1983/ et /1984/ et en /1986/ il a dû quitter l’établissement sous la pression de certains parents d’élèves qui commençaient à se rebiffer et puis de ces lycéens courageux qui dans ce « fanzine » rapportaient par le biais de caricatures, une mention relativement explicite des victimes des agissements de ce directeur« .
Emmanuel Cocaul nous explique : « J’ai subi des abus quand j’étais externe, à l’aumônerie, de la part de l’abbé Jacques Dupont, qui est décédé en 1986, deux ans après que j’ai quitté l’établissement. Cela a duré trois ans, il m’embrassait, me pelotait, demandait que je le touche, entre mes 11 et 14 ans, de 1976 à 1979. Cela se passait en cours de catéchèse, mais aussi des retraites spirituelles avec des élèves d’autres établissements nantais, du Loquidy, qui avaient lieu le mercredi et pendant la semaine sainte dans d’autres établissements nantais et au petit séminaire de Guérande« [où des abus ont aussi eu lieu – une victime s’est confiée à Fakir]
Emmanuel Cocaul pense avoir été « repéré par l’aumônier. J’étais mal dans ma peau, je vivais l’inceste dans ma famille – ce qui l’a fait imploser par la suite, j’étais à l’écart, je ne jouais pas au foot » et cite le cas « d’un autre camarade qui a subi des abus dans les années 1960″.
Cependant, « l’abbé Dupont n’était pas le seul. Je voyais le manège du directeur Dominique Pervenche, dans l’escalier en fer à cheval, où il appelait tel ou autre interne avant la cantine, le soir, une fois les externes partis. Il fallait se méfier de Pervenche et on ne l’approchait pas ».
Il explique avoir eu la force de témoigner « pour protéger les enfants d’aujourd’hui. La conférence de presse sur Saint-Stanislas protège essentiellement l’institution, le discours c’est que tout le monde est mort, personne ne parle de Pervenche, et le monstre dit tranquillement dans Presse Océan que nous sommes tous des menteurs. Il n’a aucune empathie pour les victimes. Pour moi, après les directeurs religieux, il a clairement été choisi par le diocèse pour couvrir ce qu’il s’y passait ».
Emmanuel Cocaul explique n’avoir « aucune confiance dans l’institution [ici, l’enseignement catholique de Nantes, et le diocèse] Ils sont là pour se protéger. C’est un business. Les victimes ont été totalement trahies. Je l’ai dit face caméra à Mgr Percerou, la cellule d’écoute du diocèse, c’est fait pour enterrer. Si vous voulez restaurer un minimum de confiance, vous faites écouter les témoignages par une association agréée et indépendante, comme France Victimes. Il faudrait aussi que le diocèse communique sur les conditions du départ soi-disant »négocié » de Pervenche en cours d’année, qu’a-t-il menacé de balancer pour partir comme il l’a fait ? Quoiqu’il en soit, je ne réintégrerai pas le silence. Il est temps que la honte change de camp ».