Suite et fin de la longue lettre consacrée au cardinal Parolin, et à ses ambitions papales, par Paix Liturgique, qui revient aussi sur son expérience bureaucratique au coeur de la Curie, et à son aptitude de n’avoir jamais été inculpé dans les scandales financiers du Vatican, alors que nombre d’entre eux se produisaient dans des services qu’il dirigeait, et ce avec l’argent des fidèles issus du Denier de Saint-Pierre, notamment.
« En tant que Secrétaire d’État, le cardinal Parolin reste discret sur la réforme de la Curie, l’une des missions confiées au pape François dès son élection. « Mais », selon Collge of Cardinals report qui cite le « vaticaniste italien Andrea Gagliarducci, Parolin a aidé la Secrétairerie d’État à retrouver sa position de guide et de coordination de la Curie romaine. Elle agit désormais également comme une sorte de « régulateur » des réformes du pape François, Parolin émettant des décrets pontificaux (rescrits) au nom du pape – un changement visant à accélérer la mise en œuvre des réformes. Sous la direction de Parolin, la Secrétairerie d’État exerce également une influence diplomatique accrue, distinguant les initiatives pastorales des initiatives diplomatiques et privilégiant le pragmatisme diplomatique ».
« En 2017, le pape François a réorganisé la Secrétairerie d’État en créant une « Troisième Section ». Cette nouvelle section est censée manifester « l’attention et la proximité » du pape à l’égard du personnel diplomatique. La création de la Troisième Section aurait étendu l’influence de Parolin, lui permettant d’exercer une surveillance et un contrôle plus directs sur toutes les personnes travaillant pour la Secrétairerie d’État. Au cœur des changements curiaux de François, Parolin « a progressivement acquis un rôle de plus en plus central ». Contrairement aux prévisions initiales, la Secrétairerie d’État « bureaucratique » est le seul bureau dont la structure a été renforcée par les réformes, et même son influence ».
L’argent ne fait pas le bonheur : 150 millions d’euros envolés
Il a aussi supervisé dès 2014 des initiatives pour la réduction des coûts et de la réduction des déficits budgétaires… avec une absence de résultat patente dix ans plus tard puisque comme le relève Riposte Catholique en mars dernier, le déficit du Vatican, de 78 millions d’euros en 2022 et 83.5 millions d’euros en 2023, était encore de 70 millions d’euros en 2024 malgré de nombreuses ventes de biens, quant au budget 2025, il avait été une première fois retoqué par les cardinaux censés surveiller les comptes, avant que le budget de 2024 ne soit reconduit, avec un déficit prévu de 7%.
Depuis que le cardinal Parolin est Secrétaire d’État, la bureaucratie vaticane se porte bien, mais ses revenus, moins : « les revenus proviennent en partie des dons, environ 240 millions d’euros annuels, en baisse constante, du patrimoine immobilier locatif pour 85 millions, et de revenus divers pour 140 millions. Le denier de Saint-Pierre alimenté une fois par an par une quête mondiale aurait chuté »de moitié depuis une dizaine d’années », se stabilisant à une moyenne de 45 millions d’euros entre 2021 et 2023. Pire, le fonds de pension de retraite des personnels du Vatican concerne 5000 personnes et se trouve en déficit de 350 millions… à 1 milliard selon les hypothèses ».
En 2015-16 les cardinaux Becciu et Parolin s’unissent contre la transparence financière au Vatican
Une partie de la mauvaise santé financière du Vatican est directement imputable au cardinal Parolin, ou tout au moins à ses proches. Visiblement, le grand diplomate est moins « pragmatique » pour savoir s’entourer, et un de ses proches est mis en cause en France pour abus, tandis que d’autres ont durablement plombé les comptes du Vatican.
L’on comprend mieux aussi pourquoi en 2016 le cardinal Parolin avait fait capoter le premier audit financier du Vatican, en exigeant de PricewaterhouseCoopers, désigné par le cardinal Pell en 2015 pour certifier tous les comptes du Vatican, chaque année, d’exclure la secrétairerie d’État du périmètre de l’audit, ce qui le rendit sans objet. Le 12?avril?2016, un courrier d’Angelo Becciu, envoyé à tous les services, annonce la suspension de l’audit de Price Waterhouse Coopers. Les comptes publics ne seront pas certifiés.
Par ailleurs le rôle du cardinal Parolin dans la démission forcée du premier auditeur général du Vatican, Libero Milone, est toujours sujet à interrogation. Pour rappel, le cardinal Parolin avait signé le décret de nomination de Milone en 2015, mais lorsque ce dernier a commencé à découvrir des malversations financières lors de son audit, ses bureaux ont été perquisitionnés deux ans plus tard sur ordre de Becciù et il a été contraint de démissionner. « Milone a déclaré que lui et Parolin avaient néanmoins entretenu de « bonnes relations » dans les années qui ont suivi, mais que Parolin n’avait pas agi pour blanchir Milone, ce qui a obligé l’ancien auditeur et son adjoint, Ferruccio Panicco, à poursuivre le Vatican en dommages et intérêts. « Le cardinal Parolin a toujours semblé vouloir aider, mais n’a jamais aidé », a déclaré Milone »
L’affaire de « l’immeuble de Londres » et d’autres : le Denier de Saint-Pierre livré au pillage
Le sabotage des efforts de réforme financière du Vatican en 2015-2016 avait certainement pour objectif d’empêcher les auditeurs de découvrir les micmacs de la secrétairerie d’État. Mais ceux-ci explosent au grand jour en 2019 avec qui est devenu « l’affaire Becciu », ou ce dernier, proche de Parolin, avait investi dans un immeuble de Londres grevé d’une hypothèque, ce qui a conduit à des pertes estimées entre 150 et 200 millions d’euros pour le Vatican. L’affaire de « l’immeuble de Londres » dévoile en réalité, comme des poupées russes, tout un bric à brac d’arrangements et de détournements, notamment liés à la diplomatie parallèle du Vatican (lire ci-dessous) ou en faveur d’une coopérative sociale gérée en Sardaigne par le propre frère de Becciu. Bien des pistes, ouvertes par les juges, restent sans réponse face au mutisme de Becciu.
Du reste, enquêteurs comme défense ont été noyés sous le papier : d’après le décompte de The Pillar, « 69 témoignages ont été entendus, 12 4563 pages imprimées et électroniques, et 2 479 062 fichiers présentés par l’accusation. La défense a déposé plus de 20 000 pages avec des pièces jointes, tandis que les parties civiles en ont présenté 48 731 ».
Les fonds eux-mêmes qui ont payé « l’immeuble de Londres » et d’autres dépenses auraient dû être gérés avec le plus grand soin : il s’agit, comme le relève à l’époque Cath.ch, d’un « tesorino », petit trésor, de 600 millions d’euros, issus de la collecte du Denier de Saint-Pierre et géré par la secrétairerie d’État.
Le cardinal Becciu, ex-nonce apostolique en Angola, découvre le « tesorino » à son arrivée en 2011 et veut le faire fructifier. Il propose alors « un investissement dans une holding pétrolière d’Angola. Il contacte Enrico Crasso, employé de Crédit Suisse Italy, et qui est un consultant régulier de la Secrétairerie d’État. L’affaire est soumise à Raffaele Mincione, banquier italo-britannique, qui propose d’orienter l’argent vers un fonds qu’il dirige, Athena Capital. Un trio se constitue : Mincione-Crasso-Tirabassi. Cependant, de nombreux signaux d’alerte et des refus de crédit par les banques sont ignorés par Mgr Becciu, qui donne l’ordre de constituer le fonds nécessaire à l’opération : près de 150 millions d’euros sont versés à Athena Capital. C’est alors que le trio susmentionné déconseille l’investissement angolais, et le fonds est restructuré pour permettre des investissements très risqués ».
En l’occurrence, en 2014, Enrico Crasso propose une participation dans un immeuble de 17?000?mètres carrés, à Londres, récemment acquis par Raffaele Mincione. Ce dernier nourrit de grands projets pour ce bâtiment qu’il veut transformer en complexe d’habitations haut de gamme. Aucune demande de permis de construire n’a pourtant été déposée, et Mincione se garde bien de dire qu’il s’est déjà endetté à hauteur de 97 millions de livres sterling pour financer cette opération.
Du reste, les responsables du Vatican n’enquêtent pas plus sur son passif avec le fonds de retraite qu’il gère, Enasarco, et dont les responsables soupçonnent qu’il s’est servi dans les fonds pour financer des investissements personnels qui se sont avérés désastreux. Il est aussi cité, comme l’intermédiaire Alberto Matta mis en cause par l’IOR en 2016, la banque du Vatican, dans l’affaire de l’acquisition de l’immeuble de la Bourse des valeurs de Budapest, dans une autre affaire : la faillite frauduleuse de la Banca popolare di Vicenza, qui a fait disparaître les économies de 117?000?petits actionnaires. Cette banque était basée à Vicence, sur les terres natales du cardinal Parolin. Bref, Becciu – et avec lui Parolin – sait s’entourer de collaborateurs rompus aux escroqueries en tous genres.
L’immeuble de Londres surestimé sept fois sa valeur : la Secrétairerie d’Etat a manqué de prudence et de bon sens
Selon la reconstitution des enquêteurs, «en 2014, la valeur nette du bien est de 32 millions de livres sterling», ce qui ne va pas empêcher les financiers de l’estimer à sept fois plus : 230 millions». Le cardinal Parolin a-t-il mis en œuvre la même « bonne foi » qu’il a envers les communistes chinois ou l’islam ? Toujours est-il qu’il laisse faire le cardinal Becciu.
« Raffaele Mincione, ayant le contrôle total du fonds, va utiliser une partie de cette somme pour divers investissements mobiliers. Mais avec la plus grande partie de la somme, il va proposer à la Secrétairerie d’État d’acquérir un immeuble londonien qui deviendra l’emblème de toute cette affaire : le 60, Sloane Avenue, dans le quartier de Chelsea». Après le passage par divers intermédiaires, notamment Raffaele Mincione, Enrico Crasso, et un certain Gianluigi Torzi, qui ont su profiter de la complexité du montage et de relations de proximité liées à d’autres affaires qu’ils géraient pour le compte de la Secrétairerie d’État, le Vatican récupère son bien en mai 2019 moyennant le versement de 15 millions d’euros, mais la perte s’avère dix fois supérieure.
Comme le relève College of Cardinals Report, « le cardinal Parolin semblait initialement avoir peu de connaissance de l’accord, affirmant que le fonds en question semblait être « bien géré », mais que la transaction était « plutôt opaque » et que son bureau « essayait de la clarifier ». Certains rapports ont affirmé que la transaction impliquait l’utilisation de fonds du Saint-Siège destinés aux plus démunis et avait été financée par des prêts. Becciu a toutefois nié ces accusations, affirmant que de tels investissements immobiliers étaient « une pratique courante pour le Saint-Siège ».
Une enquête sur cette transaction immobilière a été ouverte en 2019 après que Parolin et d’autres dirigeants de la Secrétairerie d’État ont tenté de faire pression sur l’Institut des Œuvres de Religion (la Banque du Vatican) pour qu’il accorde un prêt de 150 millions d’euros à la Secrétairerie afin de refinancer l’hypothèque sur la propriété. Cette démarche a conduit à une plainte auprès des autorités financières du Vatican.
Il est apparu au cours des investigations que le cardinal Parolin était au courant de l’accord conclu à Londres avec Gianluigi Torzi, un courtier qui a facilité l’acquisition par le Vatican de la pleine propriété du bien londonien, et l’avait approuvé. Les procureurs ont affirmé que Parolin, ainsi que d’autres hauts fonctionnaires, n’avaient pas pleinement compris la modification du contrat de Torzi, qui lui accordait tous les droits de vote dans le cadre de l’accord. Malgré son implication dans ces aspects du scandale, le cardinal Parolin n’a pas été inculpé.
Mais le cardinal Parolin ignore tout des manoeuvres financières du cardinal Becciu ?
C’est au contraire le cardinal Becciu qui a été le principal perdant de l’affaire : il dut démissionner de sa charge, perdit tous les droits liés au cardinalat en 2020 et fut, malgré une invitation au Consistoire en août 2022, déféré devant la justice vaticane avec d’autres hauts fonctionnaires romains, le Suisse René Brülhart, ancien président de l’Autorité d’information financière (AIF), le gendarme financier du Saint-Siège, Mgr Carlino, longtemps secrétaire particulier d’Angelo Becciu, et Mgr Crasso, ancien gestionnaire du patrimoine réservé de la Secrétairerie d’État. Cependant devant le scandale, la Secrétairerie d’État a finalement été dépouillée de son portefeuille d’investissements au profit de l’APSA (administration du patrimoine du siège apostolique).
Finalement, en décembre 2023, dix prévenus sont condamnés : « le cardinal Becciu, ancien substitut (Sostituto) de la Secrétairerie d’État, a été condamné à une peine de cinq ans et six mois. Son avocat a déclaré qu’il ferait appel du verdict. Enrico Crasso, consultant financier à la Secrétairerie d’État du Vatican, a été condamné à une peine de sept ans. Cecilia Marogna, une soi-disant consultante en sécurité, a été condamnée à trois ans. Raffaele Mincione, un homme d’affaires italien, a été condamné à une peine de cinq ans. Fabrizio Tirabassi, ancien employé du Secrétariat d’État, a été condamné à sept ans de prison. Gianluigi Torzi, un homme d’affaires italien, a été condamné à une peine de six ans ».
Mais un nom est curieusement absent, alors qu’il dirige la secrétairerie d’État tout le temps des manœuvres financières étranges : le cardinal Parolin.
En décembre 2024, Giuseppe Pignatone, président du tribunal de la Cité du Vatican, atteint par la limite d’âge, peut partir à la retraite tranquille après la fin du procès des inculpés de l’affaire Becciu : « le 29 octobre 2024, le juge Pignatone a déposé les motivations du procès sur la gestion des fonds du Saint-Siège, surnommé procès de « l’immeuble de Londres » qui était au centre du déclenchement de cette affaire. Pour mémoire, le 16 décembre 2023, neuf des dix accusés se voyaient condamnés à diverses peines, dont le cardinal Angelo Becciu, ancien substitut de la Secrétairerie d’État. C’est à partir de ce document de 800 pages que les protagonistes pourront éventuellement faire appel, ce que le cardinal Angelo Becciu, qui clame son innocence, a déjà annoncé [son procès en appel aura lieu à partir du 22 septembre 2025]. Le promoteur de justice, Alessandro Diddi veut lui aussi se pourvoir en appel ».
D’autres détournements dans le volet sarde de l’affaire
Le nom cardinal Becciu apparaît dans les médias de nouveau en lien avec un énième scandale lié à la gestion de l’Église. Une dépêche ANSA de février 2025 mentionne en effet une enquête judiciaire qui vise son frère, Antonino Becciu, gérant de la coopérative sociale SPES, et Mgr Corrado Melis, évêque d’Ozieri, en Sardaigne, au sujet de la gestion de 2 millions d’euros alloués au diocèse entre 2010 et 2020 provenant du fond des 8 pour 1000 (otto per mille) – la part de 0.8% de leur revenus que les italiens peuvent depuis 1986 attribuer à la conservation du patrimoine ou aux 12 cultes qui ont conclu un accord avec l’Etat pour en bénéficier.
Pour rappel, lors du procès de l’immeuble de Londres au Vatican en 2022, le cardinal Becciu avait reconnu avoir envoyé deux paiements de 25.000 et 100.000 euros à la coopérative Spes gérée par son frère et refusé de répondre à d’autres questions sur le sujet, après avoir affirmé lors de l’enquête qu’il les avait fait pour aider un « diocèse en difficulté », alors qu’il avait au même moment des disponibilités de 2 millions d’euros.
Des détournements du cardinal Becciu justifiés par la diplomatie du Vatican ?
En juillet 2021, Paris Match qui revient sur les affaires financières liées à la Secrétairerie d’État lève un autre lièvre : « Entre décembre 2018 et juillet 2019, il fait ainsi transférer 575.000 euros vers le compte slovène de sa conseillère, Cecilia Marogna. Des messages sur un téléphone saisi indiquent que la dépense est libellée, à la demande de Becciu, comme une «contribution volontaire pour mission humanitaire» et présentée comme un coup de main pour faciliter les négociations en vue de la libération d’une sœur colombienne otage au Mali.
. «Ces fonds étaient destinés à des activités de renseignement», expliquera Cecilia Marogna, qui a été incarcérée l’automne dernier pendant dix-sept jours à Milan mais pas encore présentée à un juge. […] Interrogé, Mgr Becciu fait savoir, par le biais de son avocat, que ces décisions étaient prises «en accord avec le Saint-Père». Niant catégoriquement les accusations d’appropriation et de détournement, il se refuse à tout commentaire, opposant le «secret politique pour la sécurité de l’État». Il en va de même pour l’investissement dans l’immeuble londonien. Ce n’est pourtant pas Mgr Pietro Parolin, signataire des documents, qui comparaît devant les juges, mais bien Becciu, son ancien substitut ».
Originaire de Cagliari – encore la Sardaigne, et officiellement « manager », elle se décrivait, rappelle Fanpage.it le 19 décembre 2023, comme une « analyste, experte du renseignement estimée par les plus hauts gradés des services de renseignement italien et dans les relations avec le Moyen-Orient ». Elle aurait rencontré le cardinal Becciu en 2016, et affirmait alors que « le Vatican avait besoin d’une diplomatie parallèle dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, notamment pour réduire les dangers que représentent les groupes terroristes qui y sont présents pour les nonciatures et les missions ». Arrêtée en 2020 pour détournements de fonds – près de 400.000 euros auraient été dépensés en vêtements de luxe, fauteuil en cuir, parfums, elle aurait déclaré à la Reppublica qui l’accusait d’être « entretenue par le Cardinal », après sa condamnation : « et même si c’était le cas, est-ce un crime ? ». Lors du procès du cardinal Becciu et de ses co-prévenus, il était aussi apparu qu’elle avait passé une nuit, du 16 au 17 septembre 2020, dans ses appartements au Vatican.
La Stampa relève en décembre 2023 au moment de sa condamnation à trois ans et neuf mois de prison que « le promoteur de justice de la Cité du Vatican, Alessandro Diddi, a déclaré récemment ‘‘Le Pape n’a pas autorisé le transfert d’argent » à cette dame, « car il ne savait rien d’elle, mais à la société britannique Inkermann ». Quel a été le rôle du cardinal Parolin dans cet embrouillamini ? La question reste sans réponse.
La crise de l’ordre de Malte, l’affaire du cardinal Pell
En 2016-17, le cardinal Parolin se trouve au cœur d’une querelle à priori doctrinale au sein de l’Ordre de Malte, que lui-même qualifie de « crise sans précédent ». Cependant c’est un véritable changement de direction qui est mis en route, où le cardinal Parolin fait peu de cas du caractère souverain de l’ordre et privilégie ses amis.
Derrière le prétexte affiché d’une décision disciplinaire et de divergences doctrinales entre membres, son rôle financier transparaît lorsqu’en juin 2020 il nie avoir été impliqué dans une quelconque tentative de détournement du fonds suisse de plusieurs millions de dollars de l’Ordre de Malte vers le Vatican – une raison que certains soupçonnaient d’être à l’origine de son implication et de celle du Vatican dans le conflit entre Festing et Boeselager.
Comme le relève College of Cardinals Report, qui résume cette affaire complexe, le cardinal Parolin « était ami avec Albrecht Freiherr von Boeselager, Grand Chancelier de l’Ordre et chef de file des réformateurs modernistes. Ils avaient noué une relation amicale entre eux lorsque, de 1989 à 2014, Boeselager était Grand Hospitalier, responsable des actions humanitaires internationales de l’Ordre et souvent en contact avec Parolin lors de ses tournées diplomatiques. Le 6 décembre 2016, le Grand Maître de l’Ordre, Fra’ Matthew Festing, a renvoyé Boeselager pour insubordination après qu’il eut résisté à une instruction disciplinaire prise contre lui pour avoir été responsable de la distribution de centaines de milliers de contraceptifs dans les pays en développement lorsqu’il était Grand Hospitalier. Boeselager a contesté l’accusation, portée par Festing sur la base d’une enquête menée l’année précédente par une commission de trois personnes.
En raison d’une « irrégularité perçue » dans la procédure de renvoi, qui avait « profondément divisé l’Ordre », Parolin décida de créer une commission de cinq personnes, tous généralement favorables aux réformes libérales, pour enquêter sur la distribution de contraceptifs et sur les motifs du renvoi de Boeselager. Trois membres de la commission, ainsi que Boeselager, étaient impliqués dans un mystérieux legs de 118 millions de dollars à l’Ordre, déposé dans un trust suisse.
Moins d’un mois après sa création, la commission Parolin a déclaré Boeselager innocent de tout acte répréhensible. En janvier 2017, Festing a été invité à une audience privée avec le pape François. Selon certaines sources, François aurait demandé à Festing de démissionner sur-le-champ, et ils ont rédigé ensemble une lettre de démission. Le pape a ensuite ordonné la réintégration de Boeselager, a démis le cardinal Burke de toutes ses prérogatives et fonctions à l’égard de l’Ordre, a annoncé la nomination d’un nouveau délégué pontifical auprès de l’Ordre et a déclaré que le Saint-Siège superviserait un examen de l’ancienne entité souveraine et guiderait sa réorientation »
Quel rôle a joué la Secrétairerie d’État dans l’affaire du cardinal Pell ? L’on se rappelle qu’en 2014, le pape François a choisi le cardinal Pell comme Secrétaire à l’Économie pour assainir les finances du Vatican, et que les cardinaux Becciu et Parolin ont concordé leurs efforts pour empêcher l’audit des finances du Vatican, puis pousser l’auditeur indépendant Libero Milone à la démission. Le cardinal Pell, qui avait annoncé au journal italien Il Sole 24 Ore vouloir réduire la bureaucratie et rendre plus autonome chaque dicastère pour ses dépenses – soit une double déclaration de guerre à la centralisation bureaucratique du cardinal Parolin – se retrouve lui aussi dans la tourmente.
Le 18 juin 2017, l’information est transmise par le cardinal Pell à la Secrétairerie d’État : la police australienne le met en cause dans une affaire de pédophilie. Une semaine plus tard, comme l’écrit l’historien Henry Sire, «les allégations d’abus sexuels visant le cardinal Pell vont être annoncées en salle de presse dans un déploiement excessif». En coulisse les anti réformes se réjouissent. En mars 2019, bien qu’il clame son innocence, il est condamné à six ans de prison, peine confirmée en appel en août 2019 et incarcéré pendant quatre cent quarante jours. Il est ensuite innocenté par les sept magistrats de la Haute Cour d’Australie, à l’unanimité, pour manque de preuves, et libéré dans la foulée.
À son retour à Rome – où le pape François lui avait gardé ses affaires et son appartement, à l’automne 2020, le cardinal Pell explique que son dossier a été monté de toutes pièces. Au quotidien La Repubblica, il déclare que «toute personne ayant joué un rôle de premier plan dans la réforme financière a été attaquée dans les médias et atteinte dans sa réputation».
Or, en octobre 2020, l’existence de virements d’un total de 700.000 euros émis en 2018, qui ont été adressés par la Secrétairerie d’État, à l’initiative du cardinal Becciu, à un témoin australien dans l’affaire d’abus sexuels mettant en cause le cardinal Pell est reconnue par l’organisme australien de surveillance de la délinquance financière, l’Austrac.
Bref, si Pietro Parolin devient Jean XXIV, plutôt que les cloches de Saint-Pierre, on pourra faire sonner des casseroles.
Plus on s’élève dans la hiérarchie de l’Eglise, plus l’air devient irrespirable.