Giuseppe Pignatone, président du Tribunal de la Cité du Vatican, est atteint par la limite d’âge. Le Souverain Pontife a accepté cette démission « en le remerciant pour son service au cours de ses années » de présence. La démission sera effective à compter du 31 décembre 2024.
Giuseppe Pignatone a obtenu sa licence en droit en 1971 avant d’être magistrat à Caltanisseta, puis substitut au parquet. En 2008, il est nommé par le Conseil supérieur de la magistrature procureur de Reggio Calabre. En mars 2012, il est promu procureur de la République à Rome.
Il a été nommé président du Tribunal de la Cité du Vatican par le pape François en 2019. Il a dû superviser plusieurs procès, dont la retentissante affaire sur la gestion des fonds du Saint-Siège. Etalé sur deux années, il a nécessité 86 audiences et n’est sans doute pas fini, plusieurs personnes condamnées ayant manifesté leur volonté de faire appel.
Retour sur une affaire hors normes
Le 29 octobre 2024, le juge Pignatone a déposé les motivations du procès sur la gestion des fonds du Saint-Siège, surnommé procès de « l’immeuble de Londres » qui était au centre du déclenchement de cette affaire. Pour mémoire, le 16 décembre 2023, neuf des dix accusés se voyaient condamnés à diverses peines, dont le cardinal Angelo Becciu, ancien substitut de la secrétairerie d’Etat.
C’est à partir de ce document de 800 pages que les protagonistes pourront éventuellement faire appel, ce que le cardinal Angelo Becciu, qui clame son innocence, a déjà annoncé. Le promoteur de justice, Alessandro Diddi veut lui aussi se pourvoir en appel. A l’occasion de cette publication, le site cath.ch est revenu sur la genèse de cette affaire.
Le mirage du pétrole angolais
Le cardinal Becciu, qui avait été nonce apostolique en Angola, est nommé substitut de la secrétairerie d’Etat en mai 2011. Ce dicastère possédait alors des fonds propres – 600 millions d’euros – qu’il gérait via son Bureau administratif, dirigé par Mgr Alberto Perlasca. Ce canoniste avait comme collaborateur un expert-comptable, Fabrizio Tirabassi.
Mgr Becciu, pour augmenter les profits de son dicastère, propose un investissement dans une holding pétrolière d’Angola. Il contacte Enrico Crasso, employé de Crédit Suisse Italy, et qui est un consultant régulier de la secrétairerie d’Etat. L’affaire est soumise à Raffaele Mincione, banquier italo-britannique, qui propose d’orienter l’argent vers un fonds qu’il dirige, Athena Capital. Un trio se constitue : Mincione-Crasso-Tirabassi.
Cependant, de nombreux signaux d’alerte et des refus de crédit par les banques sont ignorés par Mgr Becciu, qui donne l’ordre de constituer le fonds nécessaire à l’opération : près de 150 millions d’euros sont versés à Athena Capital. C’est alors que le trio susmentionné déconseille l’investissement angolais, et le fonds est restructuré pour permettre des investissements très risqués.
« Raffaele Mincione, ayant le contrôle total du fonds, va utiliser une partie de cette somme pour divers investissements mobiliers. Mais avec la plus grande partie de la somme, il va proposer à la secrétairerie d’Etat d’acquérir un immeuble londonien qui deviendra l’emblème de toute cette affaire : le 60, Sloane Avenue, dans le quartier de Chelsea », explique cath.ch.
Des intermédiaires aux poches pleines
La justice vaticane s’est penchée sur les liens entre Raffaele Mincione et Enrico Crasso, dans des affaires menées pour le compte de la secrétairerie d’Etat. Sans entrer dans les détails, il s’avère que le premier a versé des « rétrocommissions » au second dans des affaires d’investissements de la secrétairerie d’Etat.
Par ailleurs, la gendarmerie vaticane découvre un véritable « trésor » en possession de Fabrizio Tirabassi (évalué à plus de 10 millions de francs suisses), dont il est difficile d’imaginer qu’il ait pu l’accumuler avec son seul salaire.
L’achat de l’immeuble londonien
L’acquisition de l’immeuble chic du 60, Sloane Avenue à Londres, est proposée par Mincione et agréé par le cardinal Becciu en 2014. L’investissement, pour des raisons liées à l’intermédiaire, comporte des risques. Mais les relations commencent à se tendre entre les divers protagonistes, et devant certaines révélations suspectes, la secrétairerie d’Etat décide, en 2018, de faire marche arrière sur ce dossier.
Peu de temps après, le cardinal Becciu est nommé préfet de la congrégation pour les causes des saints, et est remplacé à la secrétairerie d’Etat par Mgr Edgar Peña Para. Ce dernier accepte que le réviseur général du Vatican effectue un audit des finances dont il est maintenant chargé, qui pointe la gestion de l’immeuble de Sloane Avenue et l’influence du Crédit Suisse.
Il est alors décidé de se détacher de Mincione. Mais le plan échafaudé pour y arriver fait intervenir un nouvel homme, Gianluigi Torzi, qui va manœuvrer avec Tirabassi et Crasso. Résultat, le Vatican récupère son bien, mais pour le mettre entre les mains de Torzi, sans s’en rendre compte, dupé par ses experts.
Ce n’est que fin 2018 que le Saint-Siège prend brutalement connaissance de la situation. Mais l’affaire est si bien ficelée, qu’il est impossible de s’en dépêtrer sans casse. Finalement, et après quelques rebondissements, le Vatican devra verser 15 millions d’euros en mai 2019 pour récupérer la possession et la gestion de son bien. Mais la perte globale s’avère 10 fois supérieure.
C’est finalement le directeur de l’IOR (ladite « banque du Vatican »), qui fera un signalement au Bureau du promoteur de justice, parce qu’il avait été sollicité pour un prêt de 150 millions d’euros par la secrétairerie d’Etat, pour assainir ses finances. C’est le début de l’enquête qui aboutira au procès commencé en 2021 et achevé il y a un an.