Dans les colonnes de Paix Liturgique, le docteur Labriolle réagit quant au texte de Mgr Eychenne sur la synodalité paru dans la Nouvelle Revue Théologique :
“Le texte donné par Mgr Eychenne, l’actuel évêque de Grenoble, à la Nouvelle Revue Théologique (n°146, Avril-Juin 2024, pp 211/227) expose la doctrine de la CEF. Le cador mandaté à cette fin n’a pas d’autre but que de légitimer une volte-face sans précédent dans l’Eglise, à l’heure où l’Institution s’effondre. Que ce soit d’estoc ou de taille, tous les coups sont permis pour abattre l’Eglise du Concile de Trente, celle que Voltaire qualifiait d’infâme, à écraser. De nos jours, c’est le haut clergé qui s’en charge. Eychenne pare des plumes du paon un projet unificateur qui dénature la Révélation tout en prétendant l’accomplir. Sous la solennité sentencieuse de la plume, il faut dépister les pièges. Ils sont légions.
Comment les novateurs synodaux vont-ils s’y prendre ? Il s’agit tout d’abord de refonder l’Eglise, en tenant les deux premiers millénaires de son déploiement pour une Antiquité tardive, à l’instar de celle qui précéda la chute de Rome, et, dans le même siècle, de l’empire romain d’Occident. Une mythologie forgée à cet effet date du Concile Vatican II (1962-1965) le kairos de l’inventaire nécessaire, et le vrai début d’une Eglise 2.0, seule utile au monde. Les actes du Concile contiennent la compilation de données reconnues et vénérables, conservées es qualités, dominantes en volume, et d’autres textes, d’autorité faible, chargés d’un poison sans odeur, qu’il s’agira de faire prévaloir dans les discours d’initiés. Les romains dataient leur histoire « ab urbe condita » ; les évêques déviants font commencer l’Eglise à la date de sa subversion la plus perverse.
Mgr Eychenne se revendique du Concile, et notamment de son enseignement le plus clair, qui, nous l’avons vu, est un concept de pure fiction, puisqu’à supposer même le Concile pastoral comme un tout dogmatique, ce qu’il n’est pas, des contradictions frontales le rendent inassimilable en l’état. Citant AG (ad gentes, sur l’activité missionnaire) et LG (lumen gentium, sur l’Eglise), l’Ordinaire n’en respecte ni l’esprit, ni la lettre. Il compte sur le fait que personne n’ira vérifier…L’idée étant que les audaces du prélat, et de la CEF mandatrice, doivent être réputées légitimées par le Concile, fût-ce à l’état de semences qu’il faut être initié pour percevoir. A l’instar des semences du Verbe déclarées présentes dans les religions non chrétiennes, qu’il faut être initié pour détecter, et oser déclarer la partie distinguée si vertueuse qu’elle en anoblit le tout. LG 27 ayant, hélas, qualifié les évêques de « vicaires et délégués du Christ », ou plus exactement, les Pères conciliaires s’étant eux-mêmes hissés à une hauteur quasi-papale, pourquoi laisser des textes plus ou moins vétustes gêner aux entournures les hommes de pouvoir ?
Le vrai chantier des synodaux, c’est de casser les reins du prêtre. Le projet n’est pas énoncé aussi clairement. Mais l’intertitre du texte commenté met sur la voie : « Vocation de tous à la mission. Tous acteurs, tous responsables », ce qui, sous la plume d’un évêque, veut bien dire que le prêtre est noyé dans la masse. Dès le Concile, l’homme de Dieu sur le terrain n’est pas, à proprement parler, l’oublié ; c’est le maltraité du Concile. Son sacerdoce ministériel, déprécié par l’emphase d’un sacerdoce commun des baptisés, et dominé par l’hybris épiscopal tout neuf, quelle mission spécifique lui reste-t-il, et quelles sont les raisons d’y consacrer sa vie, si ce n’est comme un escabeau clérical pour devenir un évêque selon LG, c’est-à-dire un dieu vivant ?
Aux redondants, synode, synodal, synodalisant, ont beau répondre en écho, unité, unitif, unitaire, unifiant, est-on plus avancé ? Sous la houlette d’un Esprit (lequel ? Ndlr) validant a priori les débats (pardon, les conversations spirituelles) des initiés en synode, se construit l’avant-garde, porteuse du Sens de l’Histoire. Lequel ? On ne vous fait pas languir : l’ « unité du genre humain ». Dans l’Eglise ? Non, ça, c’était la religion d’avant. Le précédent historique du communisme favorise la mise en perspective. A l’instar du prolétaire qui, ayant compris, pour l’avoir subie, l’exploitation du travailleur en régime capitaliste, et développe, grâce au Parti, une conscience politique révolutionnaire, le sacerdoce commun des fidèles porte la revendication de se voir restitués les pouvoirs que le prêtre tridentin s’est accaparés depuis le 16e siècle. Cette récupération est, pour les initiés, le passage obligé. Telle est la mission d’aujourd’hui : non pas reconstituer, pour la Gloire de Dieu, une assemblée de baptisés soustraite au paganisme, ce qui donnerait du sens à la prêtrise tridentine (horribile ratu dictuque), mais exploiter la chute logique des vocations pour un rôle dévalué jusqu’à l’indiscernable, afin de prononcer le tarissement imminent d’une source douteuse.
La mission d’aujourd’hui, c’est de persuader les baptisés que, chacun étant prêtre, prophète et roi, tous sont les patrons dans une Eglise enfin parvenue à maturité, c’est-à-dire portant sur elle-même le regard de Dieu ! Etant sauve, répétons-le, l’Olympe épiscopale, qui, du balcon d’Epicure, se rit des affres terrestres de ceux qui les suivent naïvement. Citons Eychenne : « Faudrait-il coûte que coûte nous efforcer de convertir le plus grand nombre de nos contemporains dans une sorte de prosélytisme conquérant ? Nous comprenons aisément qu’il ne saurait être question de cela ». Vraiment ? Eychenne enchaine, et part en vrille pseudo-mystique : « L’appel du pape François à être une Eglise « en sortie » – faisant suite à celui de tous ses prédécesseurs- est ancré dans un regard sur Dieu lui-même ».
Plus le mensonge est gros, plus ça passe, parait-il. Les papes ont toujours soutenu la sortie missionnaire et conquérante, alors que la sortie préconisée par le pape François est la sortie de soi et de sa mégalomanie pharisienne. C’est-à-dire l’exact contraire de tous ses prédécesseurs, y compris depuis le Concile. Et ça continue : « Notre mission n’est pas de convertir ceux que nous côtoyons, cela, c’est l’affaire de Dieu, et la leur (cf. GS 22-5). Notre mission, c’est de les aimer comme Dieu (avec Lui et en son Nom), d’un amour inconditionnel. L’apostolat ainsi compris, redisons-le, est la raison d’être de l’Eglise du Christ. Si elle perd cela de vue, ne se risquant pas à la rencontre en se repliant sur elle-même, en étant auto-référencée, elle n’est plus l’Eglise du Verbe incarné, l’Eglise de Dieu, mais une institution humaine parmi d’autres ». Qu’est-ce à dire, dans ce fatras imprécateur, si ce n’est qu’il faut aimer inconditionnellement les païens sans avoir la prétention pharisienne d’œuvrer à leur conversion. A ce niveau d’imposture, on tient dans les mains un mètre-étalon. La place d’Eychenne n’est pas à Grenoble, elle est au pavillon de Breteuil, à Sèvres.
Le catholique du rang qui pensait que la Révélation montrait le chemin du Ciel mérite un recyclage. Le Concile, nous affirme Eychenne sans citer aucun texte, « distingue deux lignes d’action de Dieu visant à réaliser l’unité du genre humain». Nous entrons ici au cœur de la gnose, encore jamais aussi clairement délirante. Attention, ça souffle ! « l’une d’elle, par la mission du Fils et celle de l’Esprit, anime l’élan missionnaire du peuple de Dieu. Les chrétiens habités par la grâce, incorporés au Christ, sont les instruments libres de la prolongation de la mission du Verbe Incarné. Dans l’Esprit Saint, ils vivent de sa vie et mettent en pratique son commandement : Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création (Mc 16,15) ». S’agit-il de l’Eglise bimillénaire ? Non, c’est l’Eglise réformée par la CEF, à venir. « La seconde, par l’œuvre mystérieuse, mais réelle, de l’Esprit (lequel ?) qui dès l’origine du monde, oriente tout le mouvement de l’histoire et du cosmos vers l’unité ».
Dans cette deuxième ligne d’action étrangère à la Révélation, on reconnaitra sans peine la gnose du jésuite Pierre Teilhard de Chardin, frappé en 1962 d’un sévère Monitum du Saint Office et d’une mise à l’index ; raisons suffisantes, on en conviendra, pour que Gaudium et Spes, laborieuse vaticination syncrétiste, reprît à son compte, et conciliarise, donc dogmatise par contigüité, cette unité du genre humain, ex-point omega.
Poursuivons la citation : « La mission n’est donc pas l’expression d’une action unilatérale des membres du peuple de Dieu allant chercher (ces bouffons, Ndlr), pour les rassembler, des hommes qui ne demandent rien. Elle serait plus justement (merci, Jean-Marc) représentée par un double mouvement convergent de deux réalités qui sont faites l’une pour l’autre : L’Eglise et le monde. L’Eglise vient répondre aux attentes de tous les humains de bonne volonté qui, sans le savoir, aspiraient au Christ (quid de ceux qui « ne demandent rien » ? Ndlr), et en même temps, elle se met à l’écoute de tout ce qu’il y a de positif dans les cultures encore étrangères au christianisme (et qui ne lui demande rien ? Ndlr). »
« Par ces éléments positifs, les peuples ont exprimé déjà des valeurs évangéliques (lesquelles, en culture étrangère au christianisme ?), et ils peuvent aider l’Eglise à atteindre une connaissance nouvelle et plus étendue de la vérité dont elle est la gardienne. » Que sont ces « éléments positifs », valeurs évangéliques immanentes, dont les lumières manquent à l’Eglise pour accéder à l’intelligence de son propre dépôt ? Eychenne n’en dit rien, mais, en notes, renvoit à LG 17, ainsi qu’à AG 11 et 15. Voyons cela :
LG 17 cite l’Apôtre : « Malheur à moi si je ne prêche pas l’Evangile (1, Co, 9-16), ce qui s’adresse normalement aux « instruments libres » de la première ligne d’action susmentionné. On lit encore : « En prêchant l’Evangile, l’Eglise attire les auditeurs à la foi et à la confession de la foi, elle les dispose au baptême, elle les arrache à l’esclavage de l’erreur, et elle les incorpore au Christ, pour qu’ils grandissent en lui par la charité jusqu’à la plénitude. Son activité a ce résultat que tout le germe de bien qui se trouve dans le cœur et dans l’esprit des hommes, ou dans les rites et cultures propres des peuples, non seulement ne périsse pas, mais soit guéri, élevé et achevé pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme ». Navré pour Eychenne, mais on ne lit pas dans LG 17 que les germes de bien ont pour effet d’éclairer le missionnaire (esprit LG 17) sur sa mission.
Passons à AG 11 : « le témoignage chrétien ». Cet article concerne le témoignage des laïcs. « Pour qu’ils puissent donner avec fruit ce témoignage du Christ, ils doivent se joindre à ces hommes par l’estime et la charité ; (…) ils doivent être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses ; découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées (pourquoi sont-elles cachées ? Ndlr) ; (…) travailler à ce que les hommes de notre temps, trop attentifs à la science et à la technique du monde moderne, ne soient pas détournés des choses divines ; bien au contraire, à ce qu’ils soient éveillés à un désir plus ardent de la vérité et de la charité révélées par Dieu »
Quant à AG15, sur la formation de la communauté chrétienne, quelques extraits : « Ce rassemblement des fidèles, doté des richesses culturelles de sa propre nation, doit être profondément enraciné dans le peuple : les familles doivent s’y épanouir pénétrées de l’esprit évangélique, et y être aidées par des écoles valables ; on doit y organiser des associations et des groupements au moyen desquels l’apostolat des laïcs pourra pénétrer de l’esprit évangélique toute la société. La charité enfin doit y briller dans tout son éclat entre les catholiques de rites différents (églises orientales, note 40). Un peu plus loin : « Il ne suffit point cependant que le peuple chrétien soit présent et établi dans un pays ; il ne suffit point non plus qu’il exerce un apostolat de l’exemple ; il est établi, il est présent dans ce but : annoncer le Christ à leur concitoyens non chrétiens par la parole et par l’action, et les aider à recevoir pleinement le Christ ».
Difficile, à vrai dire, de se planter plus qu’Eychenne, qui donne en référence des textes qui lui donnent tort. Avouons qu’il a un réel plaisir à confondre un trompeur. Les textes cités par le prélat ne font pas de la conversion l’affaire de Dieu seul. Ils incitent à se retrousser les manches, ce que l’Eglise enseigne depuis deux mille ans.
Un sujet reste à creuser : le baptisé, prêtre, prophète et roi, comment peut-il déployer les titres qui lui échoient de droit sans être formé à ces dignités non immanentes par un vrai prêtre, un vrai prophète, un vrai roi ? A suivre”
Il me semble que la clef pour comprendre la pensée de l’actuel évêque de Grenoble est celle-ci :
Ce n’est pas Mgr Jean-Marc Eychenne c’est le Frère (…) Jean-Marc Eychenne.
R.R
A signaler aussi l’interview de Mgr Lebrun, archevêque de Rouen qui dit que sa mission est simplement d’ aimer les musulmans.
A la question de sa différence avec les Lefebristes : ils cherchent à les convertir tout de suite alors que lui considère qu’ils se convertiront à leur mort.
Les conciliaires conservateurs comme Ratzinger voulaient faire croire à une continuité. Le concile était bon mais mal interprété. C’est faux. Les modernistes ne s’en cachent plus : pour eux Vatican II est le 5ème évangile. L’Eglise n’existe qu’à partir de Vatican II et tout ce qui précède Vatican II doit être impitoyablement détruit.
Les choses sont claires.