Le collectif des victimes de Saint-Stanislas nous transmet le fruit de ses recherches sur les anciens directeurs de Saint-Stanislas au moment de l’après-guerre à l’arrivée du laïc Dominique Pervenche en 1976. Saint-Stanislas a connu plusieurs directeurs sur cette période, dont le plus connu est sans conteste Paul Guiberteau (1924-2010), qui fut ensuite directeur de l’enseignement catholique de Loire-Atlantique, puis secrétaire général de l’enseignement catholique (SGEC) de France au moment de la bataille pour l’école libre (1981-86).
L’ex-archevêque de Strasbourg Mgr Joseph Doré lui doit sa vocation, il a écrit à son sujet un article : « je n’avais en effet pas encore seize ans lorsque, élève en première au collège Saint-Joseph d’Ancenis, je m’engageai pour la JEC dans l’établissement ; or cela me valut de me rendre une fois ou l’autre à Nantes, où l’aumônerie diocésaine du mouvement était assurée par l’abbé Paul Guiberteau (alors professeur au collège Saint-Stanislas) en conjonction avec son confrère l’abbé Adolphe Hardy, lui-même aumônier à l’Externat des Enfants nantais et futur évêque de Beauvais. Cela me valut surtout de participer au pèlerinage que la JEC du diocèse organisa à Rome, à l’occasion de son 25e anniversaire, durant les vacances de Pâques de mon année de philo.
Le voyage en deux autocars fut épique, mais je garde surtout le souvenir des fortes paroles que, au micro du bus qui nous conduisait de notre campement sous tente aux abords de Rome jusqu’à la basilique Saint-Pierre, le Père Paul Guiberteau nous adressa : « Nous avons hérité de la foi des Apôtres ; nous sommes bâtis sur le fondement des Apôtres. Nous accomplissons aujourd’hui un pèlerinage à nos sources. Si la Parole du Christ est parvenue jusqu’à nous, nous ne devons pas oublier que c’est grâce à Pierre et Paul qui, aux origines, ont su l’accueillir, lui répondre et en témoigner. Saurons-nous recevoir leur témoignage et le poursuivre ? »
On me permettra de confesser ici que ces paroles n’ont, au bout du compte, pas été totalement étrangères au fait que quelques mois plus tard, au début d’octobre 1954, je prenais la décision d’entrer au Séminaire de Nantes« .
Elève, puis professeur à Saint-Stanislas, puis directeur de l’enseignement catholique en Loire-Atlantique
Mgr Doré poursuit : « il était né à Nantes en 1922 et, déjà, il avait fréquenté l’enseignement catholique diocésain… déjà aussi, du reste, à « Saint-Stan’ ». Il fit là des études secondaires qui s’avérèrent très brillantes : je dois à l’obligeance du professeur Marcel Launay, qui devait être par la suite son collègue en ce même établissement, la photocopie du palmarès de l’année 1941-1942. Il est éloquent. Paul Guiberteau y rafle entre autres, outre le Grand prix d’honneur et le prix d’Enseignement religieux, ceux d’Excellence, de Diligence, et de Dissertation philosophique…
On peut en être assuré : le séjour et la formation au Grand Séminaire de Nantes, intégré par Paul Guiberteau aussitôt son baccalauréat (lui-même brillamment passé), furent tout aussi exemplaires. Rien d’étonnant donc à ce que, sur la lancée, on lui ait demandé de poursuivre, à l’Institut catholique de Paris et en Sorbonne, des études de philosophie, un an après son ordination sacerdotale le 28 juin 1947. Muni de la licence de l’époque, il rentre à Nantes pour y être nommé, de nouveau à « Saint-Stan’ », professeur d’abord de français-latin-grec en troisième, puis bientôt de philosophie, enseignement qu’il devait assurer jusqu’en 1959. Je l’ai connu précisément dans le cadre où il accomplissait cette tâche, car il la cumulait alors avec celle d’aumônier fédéral de la JEC nantaise.
De ce même grand établissement nantais d’enseignement catholique, Paul Guiberteau devait bientôt devenir pour huit ans le directeur (1959-1967). Il y réussit tellement bien que Mgr Vial, arrivé à Nantes entre temps, décida de le nommer en 1967 vicaire épiscopal chargé de l’Enseignement catholique diocésain, poste qu’il occupa jusqu’en 1981.
Il commença par résoudre des problèmes de locaux, regroupant en un même lieu tous les personnels administratifs. Il mit ensuite en place des instances de formation : d’abord pour les instituteurs, puis pour les professeurs débutant dans le second degré (il y avait au total plus de trois mille postes dans l’enseignement libre nantais à l’époque).
Parallèlement, il s’employa à doter chaque canton d’un collège d’enseignement général, participant également à la création et au développement de dix-neuf établissements techniques regroupant plus de onze mille élèves, sans compter les trois mille cinq cent de l’Enseignement agricole. Dans l’hommage qui sera lu lors des obsèques, Michel Rocard rappellera qu’étant lui-même à l’époque ministre de l’Agriculture, il eut à négocier avec Paul Guiberteau. « Nous l’avons fait durement, sans cadeaux, mais loyalement et dans un total respect l’un de l’autre comme des procédures et de la discrétion nécessaire »
Le livre « Ils ont fait l’enseignement catholique au diocèse de Nantes, XXe siècle« , paru en 2007 – et qui met en Une un des principaux auteurs d’abus de Saint-Stanislas, l’abbé Bugeaud, indique, au sujet de l’abbé Guiberteau lorqu’il était directeur de l’enseignement catholique du département : « succédant à une personnalité catholique forte et reconnue, le chanoine Pihour, et encore peu familier des réalités contrastées de l’enseignement catholique diocésain, notamment en milieu rural, l’ancien supérieur de Saint-Stanislas déclare s’inscrire dans la continuité : attention et présence aux acteurs engagés, gestion sage et concertée des nécessités en cours (carte scolaire, formation des cadres et des personnels, souci de travailler à l’unité des composantes du corps social).
Homme de pensée autant qu’homme d’action, ses nombreux discours et déplacements vont impulser des messages d’espoir et de cohésion, à un moment historique d’évolutions significatives, dans une relation ferme et souriante qui s’appuie en arrière plan sur une équipe bien structurée et de plus en plus diversifiée. Son rayonnement ne tardant pas à dépasser les limites du département en fait un conseiller éclairé et le porte bientôt à des responsabilités régionales et nationales« .
Héros de la lutte pour l’école libre en 1981-84
Alors que la gauche arrivée au pouvoir en 1981 prévoyait de nationaliser l’enseignement catholique – ce fut le dessein du projet de loi Savary, l’abbé Paul Guiberteau, devenu SGEC, ferrailla naturellement pour la défense de l’école libre, comme le résume encore Mgr Doré : « les négociations avec l’Enseignement catholique s’étant ouvertes en 1982, l’examen du projet de loi d’intégration présenté par Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale de l’époque, débute en mai 1984 ; et, le gouvernement ayant engagé sa responsabilité, le texte est adopté le 24. Un mois plus tard, jour pour jour, de un à deux millions de personnes (selon les évaluations) défilent à Paris, à l’appel du chanoine Guiberteau, pour la défense de l’école libre (exactement : pour « libérer l’école » !) Le message est reçu en haut lieu. Mitterrand enterre le projet de « grand service public ». Le ministre Savary et le chef du gouvernement Pierre Mauroy démissionnent« .
Le travail accompli, l’abbé Paul Guiberteau devient en 1986 recteur de l’Institut catholique de Paris, puis en 1992 recteur de Saint-Germain des Prés.
Le revers de la médaille : l’omerta sur les abus à Saint-Stanislas… et ailleurs
Paul Guiberteau est incontestablement une des personnes qui a le plus marqué l’histoire de l’enseignement catholique en France. Mais il a été professeur, puis directeur à Saint-Stanislas de 1949 à 1967, puis directeur de l’enseignement catholique diocésain de 1967 à 1981 – à ce moment d’ailleurs, en 1971-74 Saint-Stanislas, à l’étroit dans ses murs, envoie son internat dans les actuels locaux de la DDEC dans l’ancienne école Ozanam.
Surtout, il a été directeur de Saint-Stanislas au moment où d’autres religieux y multipliaient les abus : l’abbé Bugeau, qui y a enseigné en 1960-70 avant d’être curé dans plusieurs paroisses (16 victimes connues du diocèse à mi-octobre dernier), l’abbé Dehease qui y a enseigné jusqu’en 1962 (quatre victimes connues du diocèse à mi-octobre dernier), l’abbé Cardou professeur de 1949 à 1982 à Saint-Stanislas (8 signalements connus du diocèse à mi-octobre dernier), l’abbé Lechat – entré à Saint-Stanislas en même temps que l’abbé Guiberteau et qui continue d’habiter dans ses murs jusqu’en 2009 (9 signalements connus du diocèse à mi-octobre dernier) etc.
Rien n’a filtré… jusqu’à ce que des années après, des dizaines de victimes témoignent auprès du diocèse de Nantes ou du collectif de victimes de Saint-Stanislas. Parmi les auteurs d’abus relevés à Nantes, d’autres militants engagés dans la lutte pour l’école libre figurent, comme P.H B, ancien directeur de l’école Saint-Félix, ou encore Dominique Pervenche, premier directeur laïc de Saint-Stanislas de 1976 à 1999 et éphémère député en 1980-81 – une plainte a été déposée contre lui.
« Nous sommes dans un contexte très particulier à Saint-Stanislas, qui nous conduit à nous interroger sur la sincérité de l’enseignement catholique – ici en Loire-Atlantique et au niveau national – à prendre en compte le vécu des victimes et se réformer pour que les abus du passé ne se reproduisent pas demain », constate le collectif des victimes de Saint-Stanislas. « Il se trouve qu’un lointain prédécesseur de l’actuel directeur de l’enseignement catholique de Loire-Atlantique et un lointain prédécesseur de l’actuel secrétaire général de l’enseignement catholique de France a été directeur à Saint-Stanislas et a maintenu l’omerta sur les abus sexuels perpétrés par plusieurs auteurs au sein de l’établissement. Mais comme nous confient les anciens élèves d’alors, qu’ils aient ou non été victimes, il ne pouvait pas ne pas savoir ».
A la veille de la rencontre entre le SGEC et les collectifs de victimes, ces considérations issues du passé de l’institution peuvent être plus éclairantes que de tenter d’établir le thème astral des intervenants…
