Après la révélation le 17 juillet dernier de sept signalements de violences et d’attouchements sexuels contre l’abbé Pierre, décédé en 2007, une dizaine de nouveaux signalements ont été recueillis sur la plateforme mise en place à cet objet.
L’affaire a aussi donné lieu à une polémique entre quatre anciens membres de la CIASE, qui ont publié dans le Monde une tribune où ils accusent les évêques d’avoir couvert les abus de l’abbé Pierre et le clergé de “compulsion sexuelle” et le président de la CEF Mgr Eric de Moulins-Beaufort qui leur a répondu dans le Figaro au sujet de l’engagement de l’épiscopat à faire la lumière sur les violences sexuelles. Engagement à géométrie variable comme on l’a vu avec l’affaire Santier, ou quand les auteurs d’abus sont situés dans les hautes sphères de l’Eglise, puissamment protégés – c’est le cas, notamment, de l’affaire Rupnik.
Malgré son titre outrancier, ladite tribune du Monde comporte quelques informations intéressantes qu’il est utile de faire connaître :
“Les archives du Centre national des archives de l’Eglise de France contiennent des documents des années 1950-1960 sur les compulsions sexuelles de l’abbé Pierre, déjà présentées par Axelle Brodiez-Dolino, dans son livre Emmaüs et l’abbé Pierre (Presses de Sciences Po, 2009). L’angle des violences invite à lire de manière différente ces données et certains épisodes de la vie de l’abbé. A partir de 1954-1955, des informations reviennent aux oreilles épiscopales sur son comportement.
En profitant de ses réels problèmes de santé, les évêques informés lui imposent une cure médicale, puis psychiatrique en Suisse (1957-1958). Les prêtres déviants sont habituellement pris en charge en France par le Secours sacerdotal, la délocalisation laisse donc croire combien l’affaire est prise au sérieux. Quant à sa retraite spirituelle à Béni Abbès (1961), elle suit la logique de réforme comportementale appliquée par l’Eglise aux prêtres déviants et agresseurs sexuels.
Parmi les quelque 1 200 témoignages traités par notre équipe, trois mettaient en cause l’abbé Pierre. Selon le premier, vers 1980, l’abbé Pierre saisit le sein d’une femme travaillant à Emmaüs et pose sa tête sur son épaule. Une quinzaine d’années plus tard, il tente de recommencer. Selon le deuxième témoignage, en février 1981, une jeune femme, après une conférence de l’abbé Pierre à Namur (Belgique), se trouve la dernière à pouvoir obtenir une dédicace de l’abbé Pierre. Alors qu’elle lit la dédicace, il se jette sur elle, lui saisit un sein, lui embrasse la bouche à pleine langue et s’enfuit.
Selon le troisième témoignage, en 1989-1990, une femme dans une difficile situation personnelle sollicite l’aide de l’abbé Pierre à l’abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime). Il l’aide matériellement, puis l’utilise : relations sexuelles, masturbation devant elle, fellation, flagellation, proposition de triolisme avec une autre femme“.
L’abbé Pierre et ses “sollicitations féminines ardentes” évoquées par André Paul en 2023
Par ailleurs, en 2023, dans son autobiographie Paysan de la rive droite, le théologien André Paul écrivait, au sujet de l’abbé Pierre, page 314 : “dans ce contexte, un confrère de Montréal m’apprît que l’abbé Pierre, récemment venu dans cette ville pour la promotion des Fraternités d’Emmaüs, avait été prié de quitter l’état du Québec en raison de la manière trop ardente de ses sollicitations féminines. L’affaire se serait réglée à l’amiable entre la police locale et les autorités ecclésiastiques. Quelques années plus tard j’eus l’occasion d’évoquer le fait avec le dominicain François Refoulé, mon premier éditeur aux éditions du Cerf devenu mon ami. Ce dernier avait passé ses premières années de vie religieuse dans une communauté de Suède dont ledit abbé était l’hôte occasionnel. Il me confia que ce buldozer caritatif à la réputation déjà planétaire, harcelait les jeunes femmes qui assuraient l’entretien de l’hôtellerie des lieux. […] Je doute qu’il soit un jour question de la béatification de l’abbé Pierre, a fortiori de sa canonisation“.
Quand on ne croit plus au salut et aux fins dernières, l’humanitaire devient la seule finalité de leur charité. L’abbé Pierre devenait un substitut du salut éternel avec son humanitarisme, donc intouchable.
Il y eut plein de propos choquants et de gestes scandaleux chez l’abbé Pierre: on peut s’interroger sur sa théologie douteuse, notamment exprimée à la fin de sa vie.
Mais cependant, les abus ont commencé à une époque (années 1950) où l’on croyait bien aux fins dernières, l’abbé lui-même célébrant la messe traditionnelle.