La récente affaire de Jonzac n’est pas un cas isolé pour l’institut du Verbe incarné, communauté fondée en 1984 en Argentine (et 1988 pour les soeurs servantes de la Vierge de Matara – SSVM, la branche féminine). La communauté dont les évêques argentins réclament la dissolution depuis le début des années 1990 tant les dérives y sont importantes, bat des records de désaffection et est mis en cause – tant l’IVE que sa branche féminine – pour de nombreuses dérives, en divers endroits du monde.
Certes, l’IVE est présent dans divers points chauds de la planète – le prêtre que le pape François appelait tous les soirs à Gaza en fait partie – mais le courage de certains membres de l’IVE dans leurs apostolats ne peut occulter les nombreux problèmes accumulés par cette communauté nouvelle. Au premier plan la fuite des vocations. Selon un décompte fait en 2023 par le cardinal Santos Abril, » 275 religieux (principalement des prêtres) ont abandonné l’IVE, 125 ont été réduits à l’état laïc, 52 ont changé de diocèse, 5 processus ont été initiés par la Doctrine de la Foi, 11 ont été expulsés et il y a eu près de 50 exclaustrations ».
Grenade : vaudou, abus sexuels et détournement de fonds
Une triste affaire de relations sexuelles entre le prêtre de l’IVE en poste à la paroisse saint Ange Gardien de Grenade, l’argentin Hector Andres Luna, et ses paroissiennes a mis au jour des pratiques beaucoup plus douteuses, notamment liées au vaudou, des absolutions de complice – péché canonique gravissime qui fait encourir l’excommunication au prêtre qui l’effectue – et des détournements de fond.
On peut lire dans la Libertad Digital, qui a mentionne un autre papier de la presse locale : « « des poupées vaudou près du tabernacle, des plumes au sol et des “exorcismes” à la messe ». « Ils traquent les gens, font pression, manipulent et sèment la discorde », affirme l’un d’eux. « Cet homme (le curé) était obsédé par le diable, les ténèbres et les pratiques sataniques », ajoute un autre. L’un des épisodes les plus marquants décrits se serait déroulé un jour de messe. Les paroissiens qui témoignent auprès du journal Granada estiment qu’« il était préparé, qu’il s’agissait d’une supercherie ». Selon leurs récits, un homme a été victime d’une attaque et ils ont tenté de lui prodiguer les premiers soins, mais le prêtre a qualifié la situation de possession démoniaque et a « monté un spectacle » . Ses paroissiens affirment aussi qu’il « échangeait des photos sexuelles devant le saint Sacrement« .
Celui qui se serait « converti dans une boîte de nuit« , puis est entré à l’IVE en 1987 avant d’être ordonné en 1994, puis a été envoyé en Pérou, Argentine, Chili et Équateur avant d’être transféré à Grenade en 2012, serait reparti en Argentine après le scandale. L’archidiocèse, qui a du communiquer sur l’ouverture d’une enquête canonique, a décidé de mettre fin à la présence de l’IVE suite aux abus révélés par les paroissiens.
L’IVE reste présent en Espagne à Huesca, Saint-Jacques-de-Compostelle, Cordoue, San Cristóbal de la Laguna, Ibiza et Logroño, ainsi qu’en Catalogne à Vic.
Vocations forcées en Catalogne et dans les pays de l’Est
En Catalogne justement la presse locale publie les témoignages d’ex-religieuses (des SSVM) et de proches qui expliquent que certaines vocations ont été forcées; la congrégation est présente dans les évêchés de Vic et Gérone. A Manresa, en Catalogne, le prêtre Gustavo Lombardo de l’IVE est mis en cause pour avoir agressé une proche d’une religieuse qui avait brutalement quitté sa famille aux Etats-Unis pour rejoindre la Catalogne.
Suite à de nombreux problèmes dans le discernement des vocations, Rome a pris la décision de « fermer pour une période de trois ans le noviciat des SSVM à Segni, près de Rome, où les jeunes femmes se préparent à être religieuses. Parmi les arguments pointés par le Saint-Siège, le manque de rigueur de la congrégation dans la détection des vocations » ainsi que l’idolâtrie des SSVM pour le fondateur de l’Institut du Verbe incarné.
Il s’agit de Carlos Buela, mis à l’écart en 2010 après des abus sur majeurs et interdit d’interférer dans le gouvernement de l’IVE – ce qu’il a continué à faire avec la complicité des supérieurs jusqu’à sa mort, en contradiction flagrante avec les instructions et les supérieurs nommés par Rome, mis à l’écart et tenus dans l’ignorance de façon quasi-systématique par le « gouvernement fantôme » de la congrégation. Sur son site, l’Institut du Verbe incarné ne fait d’ailleurs aucune mention des abus qu’il a commis sur des séminaristes et dont l’existence a été reconnue par l’Eglise, ni de sa mise à l’écart depuis 2010.
Des religieuses en poste en Catalogne ont aussi été empêchées de partir, et même d’accèder à leurs traitements médicaux – une dérive constatée dans d’autres communautés nouvelles, y compris en France : » J’ai demandé à quitter la congrégation et ils m’ont dit que non, que j’avais déjà dit oui à Dieu et que ce serait une très grande infidélité ». Elle a passé la plupart de ces années dans le diocèse de Vic, soignée pour sa dépression. Elle affirme qu’elle « n’a jamais été autorisé à consulter un médecin choisi librementet qu’il a été forcé de rendre visite à ceux que ses supérieurs lui ont imposés. Elle assure qu’elle n’a jamais pu voir ses rapports médicaux et qu’elle ne savait pas non plus quelles pilules lui étaient prescrites et administrées ».
L’ex-religieuse affirme avoir participé au recrutement forcé de nouvelles, notamment à travers des retraites spirituelles et des conférences dans les écoles : « Ils cherchaient le nombre, peu importe si la vocation n’était pas réelle ».
Toujours à propos de religieuses, certaines sont mises à la rue après des décennies d’exploitation, et il apparaît du témoignage d’une ex-religieuse argentine en poste en Espagne que l’IVE ne cotise pas à la sécurité sociale pour elles – encore une dérive commune à d’autres communautés nouvelles.
L’IVE est aussi présent dans les pays de l’est – six communautés en Ukraine en 2022, en Russie (trois paroisses, à Kazan, Khabarovksk et Omsk), au Tadjikistan (une mission depuis 2004), et en Ouzbékistan (deux prêtres à Samarkand). Leur réputation dans la petite communauté catholique russe est assez sulfureuse, avec au moins trois cas de vocations forcées connues, dont « un couple qui a été séparé alors qu’ils étaient fiancés, ils ont fait du garçon un de leurs prêtres, et de la fille une religieuse, avant de les envoyer dans des communautés géographiquement très éloignées. Evidemment, aucun des deux n’est resté« , relate un de leurs ex-paroissiens qui réside aujourd’hui en Europe de l’ouest.
Des viols sur mineurs dans le petit séminaire de l’IVE en Argentine ?
Un autre blog spécialisé dans les abus commis à l’IVE a publié en 2021 le témoignage d’un ancien élève du petit séminaire de l’IVE en Argentine, l’école l’Instituto Menor no Verbo Encarnado, à San Rafael, à partir de ses douze ans, par un séminariste depuis ordonné prêtre, Miguel Angel Paz.
La victime avise ses supérieurs au séminaire de l’IVE, Gabriel Zapata, et l’évêque de San Rafael, berceau de l’IVE et des religieuses SSVM, Mgr Taussig, en 2005. Ordonné prêtre de l’IVE, il constate dix ans plus tard que personne n’a pris en compte sa plainte canonique à l’époque, en fait une lui-même – ce qui conduit au renvoi à l’état laïc de son abuseur – et quitte à son tour l’institution en 2017.
Début août 2020, le séminaire diocésain de San Rafael en Argentine a été fermé, provoquant une grave crise dans le diocèse – si grave que Mgr Taussig a été agressé physiquement par un de ses prêtres et a fini par démissionner à 67 ans en 2022 – il est resté dans l’histoire de son diocèse pour avoir semé le trouble et divisé son troupeau après être entré en croisade contre la communion dans la bouche sous prétexte de Covid. Mais visiblement il y avait un passé plus sombre…que peut être cette affaire de communion était destinée à enterrer.
Nommé à la suite, l’augustin Carlos Dominguez, proche du pape François, évêque installé début 2023 a démissionné « pour raisons personnelles » et même sans messe d’adieu. Il est apparu assez rapidement qu’il était accusé d’abus sexuels sur trois adultes, et que lui aussi a tenté de blanchir un des responsables de l’IVE, le père Zapata, prévenu des abus dès 2005.
L’IVE protégé par l’ex cardinal Mc Carrick : qui se ressemble s’assemble ?
Mis en cause pour abus sexuels et renvoyé de l’état clérical en 2019, l’ex cardinal Mc Carrick, décédé en 2023, a été un protecteur de haut rang pour l’Institut du Verbe Incarné. Un site hispanophone qui recense les abus au sein de l’IVE compile diverses sources qui prouvent que Mc Carrick a soutenu financièrement l’IVE avec l’argent des fidèles catholiques de Washington, en toute opacité, et a bénéficié plusieurs années durant du logis et du couvert dans une maison de l’IVE à Chillum dans le Maryland; connu pour emmener les séminaristes qu’il appréciait le plus dans les casinos d’Atlantic City, il a aussi effectué des ordinations pour l’institut du Verbe incarné en Argentine, en 2004 et 2014 au moins – mais probablement d’autres car les évêques argentins refusent pour la plupart d’ordonner les séminaristes de l’IVE :
« L’ancien cardinal McCarrick était l’un des principaux bienfaiteurs de l’IVE aux États-Unis. Selon des documents révélés par le Washington Post, entre 2001 et 2018, McCarrick a distribué plus de 600 000 $ d’un fonds spécial de l’archevêché à diverses personnes et institutions. Une partie de cet argent était destinée à l’IVE et à son fondateur, alors même que des allégations d’abus contre les deux circulaient déjà (The Washington Post, 2018).
En 2020, le National Catholic Register a confirmé que McCarrick avait fait don d’au moins 1 million de dollars à l’IVE sur plusieurs années, dans le cadre d’un système de transfert opaque. La congrégation n’a pas nié le fait et le Vatican n’a pas pris de mesures pour exiger la restitution des fonds, malgré le fait que le fondateur de l’IVE avait déjà été sanctionné pour abus de pouvoir et inconduite sexuelle avec des séminaristes adultes (National Catholic Register, 2020).
L’enquête officielle du Vatican, publiée en 2020, a documenté comment McCarrick a partagé un lit avec des séminaristes dans des maisons de retraite et des maisons de plage, souvent sans qu’ils se sentent libres de rejeter la situation (The McCarrick Report, 2020).
La relation avec l’IVE dans ce contexte devient encore plus troublante : pendant des années, McCarrick a vécu dans la maison de l’IVE dans le Maryland, où il était assisté quotidiennement par des séminaristes et de jeunes prêtres de l’institut. Comme le rapporte l’agence de presse catholique, cette résidence lui offrait « le confort, l’anonymat et un personnel jeune » qui s’occupait de lui, y compris les transferts, les repas et l’assistance personnelle (CNA, 2018).
En 2004, McCarrick s’est rendu en Argentine pour ordonner des prêtres de l’IVE, malgré les allégations internes croissantes contre Carlos Buela. En 2014, il a de nouveau officié lors d’une ordination sacerdotale à l’institut de Buenos Aires. Ces cérémonies ont non seulement renforcé les liens diplomatiques entre les deux hommes, mais ont également envoyé un message de légitimation mutuelle : McCarrick a continué d’être présenté comme une figure paternelle, voire un « saint », par l’IVE, tandis que l’IVE a bénéficié de son prestige pour se développer à l’international (AICA, 2014).
L’échange n’était pas seulement symbolique : l’IVE offrait l’hospitalité, la visibilité et l’obéissance ; McCarrick a réagi en apportant de l’influence, des fonds et une couverture institutionnelle. Dans ce contexte, ce n’est pas une coïncidence si, pendant des années, le Saint-Siège a ignoré les allégations contre Buela, ni si le rapport du Vatican de 2020 sur McCarrick a omis toute référence à l’IVE« .
Comme Buela, Mc Carrick a été mis en cause pour agressions sexuelles sur des séminaristes. Peut-on qualifier les relations entre Buela et Mc Carrick, et plus largement entre Mc Carrick et l’IVE d’association de malfaiteurs ?