Paix Liturgique consacre une lettre à Marko Rupnik, le mosaïste slovène ex-jésuite et très proche du pape François – qui a levé son excommunication – que de nombreuses femmes accusent d’abus, notamment dans le cadre du processus créatif de ses oeuvres. Alors que la justice de l’Eglise continue à trainer en longueur, l’évêque de Tarbes-Lourdes Mgr Micas s’est quelque peu défilé en décidant récemment après un an et demi d’attente de laisser ses mosaïques – devant lesquelles les évêques de France ont fait amende honorable pour les abus – en place, même si elles ne seront plus éclairées la nuit. Pendant que l’évêque de Tarbes-Lourdes reste dans le clair-obscur, les victimes restent, elles, dans l’ombre. Il serait peut-être éclairant pour elles de savoir que la chapelle de la nonciature à Paris – en quelque sorte, la représentation du Vatican en France, mais aussi l’endroit où se font et se défont les carrières épiscopales – est ornée de nombreuses fresques de Marko Rupnik.
Deux anciennes victimes du père Rupnik, une italienne et une slovène, ont donné une conférence de presse le 21 janvier dernier à Rome où elles ont témoigné pendant plus d’une heure du calvaire qu’elles ont subi de la part du père Marko Rupnik, artiste et mosaïste jésuite slovène très proche du Pape François – qui a levé son excommunication – des « orgies sexuelles » qu’il leur imposait et des délires sacrilèges que leur imposait l’auteur de nombreuses illustrations pour le Vatican et des mosaïques de la façade de la crypte de la basilique de Lourdes.
Le comité théodule institué par Mgr Micas à Lourdes pour savoir, si oui ou non, les mosaïques de Rupnik doivent être déposées, s’est quelque peu endormi sur le problème. Mais interpellé [cet hiver] par des fidèles du diocèse, Mgr Micas a déclaré à l’agence catholique américaine CNA qu’il prendrait une décision à leur sujet au printemps 2024. En attendant, l’image saisissante des évêques français faisant à l’automne 2021 amende honorable pour les abus sexuels du clergé au pied des marches de la basilique… donc juste devant l’oeuvre d’un auteur d’abus sexuels et d’autorité, reste dans toutes les mémoires.
Finalement, Mgr Micas, certainement pris par les contingences de son diocèse, n’a rendu sa décision qu’en juillet 2024 – il a émis un long communiqué, où il se dit personnellement favorable au retrait des mosaïques de Rupnik, mais comme « aucune proposition ne fait consensus» et que « les prises de positions sont vives et passionnées » il décide de ne rien décider, sinon qu’elles ne soient plus mises en lumière. Comme le relève Riposte Catholique le 3 juillet dernier, quelques jours auparavant, le responsable de la communication du Vatican, Paolo Ruffini, avait déclarer que déposer les œuvres de Marko Rupnik ne serait « pas une réponse chrétienne ».
En réponse au communiqué de Mgr Micas, cinq des victimes (une italienne, une française, une slovène et deux autres qui ont choisi de rester anonymes) ont répondu, via leur avocate Laura Sgro, qu’elles sont prêtes à rencontrer l’évêque de Tarbes-Lourdes, mais aussi que « la première plainte de Gloria Branciani, qui ne fut pas écoutée, remonte à 1994, c’est à dire à trente ans. Et s’il est vrai que le soir les mosaïques ne seront plus éclairées, pendant la journée elles seront encore bien visibles et continueront d’alimenter la perplexité des fidèles et le sentiment de douleur des victimes ».
Proche de tous les papes depuis Jean-Paul II, pour mémoire, Marko Rupnik est accusé d’agressions sexuelles par neuf religieuses de la communauté de Loyola en Slovénie, dont il était l’accompagnateur spirituel, et d’abus spirituels accompagnés de gestes déplacés par deux autres femmes, en 1998 et en 2020 – il est alors démis de sa fonction de directeur du centre Aletti. La dissolution de cette communauté est finalement décidée par l’archidiocèse de Ljublana en Slovénie le 14 décembre 2023.
En décembre 2022 les jésuites déclarent l’avoir excommunié en 2019 pour des agressions sexuelles commises contre des religieuses dans les années 1990 toujours en Slovénie ; cette excommunication, pour avoir absous en 2015 une religieuse qu’il avait lui-même agressée sexuellement, avait été levée en 2020 – sur intervention du Pape François selon certaines sources, après que le jésuite se serait « repenti ». Le 21 février 2023 les jésuites publient les résultats d’une enquête interne à son sujet, où 15 laïcs ont témoigné d’abus commis par le père Rupnik entre 1980 et 2018.
Selon des informations données par l’une des victimes en décembre 2022 dans la presse italienne, près d’une vingtaine de religieuses auraient été victimes de Marko Rupnik – les religieuses s’étaient notamment adressées au cardinal jésuite tchèque Tomas Spidlik (1919-2010) qui n’a pas réagi ni même répondu. Malgré son renvoi de la compagnie des Jésuites le 9 juin 2023, Marko Rupnik a été incardiné par le diocèse de Koper en Slovénie à l’automne 2023 – ce qui ne l’empêche pas de résider au centre Aletti à Rome fin 2023.
En avril dernier, cinq nouvelles plaintes, dont trois déposées pour la première fois, sont portées devant le dicastère pour la doctrine de la Foi. Comme le relève alors Riposte Catholique, le cas de Marko Rupnik – brièvement excommunié et qui ne l’est plus, « illustre un dysfonctionnement majeur de la justice ecclésiale et romaine à l’égard d’un prêtre dont les comportements abusifs sont avérés ».
Une situation qui embarrasse au plus haut niveau de l’Eglise, puisque le cardinal O’Malley, président de la commission pontificale pour la protection des mineurs, a écrit aux responsables de la Curie le 26 juin dernier pour leur demander de n’utiliser qu’avec « prudence pastorale » les œuvres de Marko Rupnik. « Ces derniers mois des victimes et des survivants d’abus de pouvoir, d’abus spirituels et d’abus sexuels ont contacté la commission pour exprimer leur frustration et leur inquiétude croissantes face à l’utilisation continue des œuvres d’art du père Marko Rupnik par plusieurs bureaux du Vatican, dont le dicastère pour la communication […] Nous devons éviter d’envoyer un message selon lequel le Saint-Siège serait indifférent à la détresse psychologique dont souffrent tant de personnes ».
Les yeux, miroirs de l’âme
Jusqu’ici, la part sombre du père Marko Rupnik transparaissait dans son art – et notamment les « yeux sans lumière » de ses personnages, comme le relevait le NCR, dans un article traduit en français par Benoît et Moi le 10 janvier 2023 : « il y a aussi les pupilles sombres qui caractérisent les œuvres de l’artiste. S’éloignant apparemment de la tradition iconographique – et rompant radicalement avec la tradition occidentale – les yeux du père Rupnik sont dépourvus de toute représentation de la lumière réfléchie qui les pénètre […] les yeux des Christs et des saints du père Rupnik sont privés de toute lumière, comme s’ils représentaient non pas la Lumière du monde, mais les Ténèbres du monde ».
Une dépendance à la pornographie et un discours érotico-mystique
Le 18 décembre 2022 une des religieuses abusée par Marko Rupnik donne une interview sous pseudonyme au journal italien Domani où elle révèle la dépendance de Marko Rupnik à la pornographie, l’existence de sa part d’un discours pseudo-théologique pour obtenir des faveurs sexuelles et l’inaction de la hiérarchie.
Le 4 avril 2023 un autre récit de victime paraît dans la Vie – sœur Samuelle, mosaïste, membre des Fraternités monastiques de Jérusalem de 1998 à 2018 – elle en est sortie, témoigne d’une « violence psychologique subtile et délétère » et d’une « emprise à caractère sexuel » de la part de Marko Rupnik lorsqu’elle travaillait au centre Aletti de 2010 à 2014.
L’amour à trois comparé par Rupnik à la sainte Trinité ?
Le 21 février 2024, Gloria Branciani, qui avait été membre de la communauté de Loyola avant 1994, témoigne pour la première fois à visage découvert lors d’une longue conférence de presse à Rome : « des abus très graves ont été commis, au cours desquels j’ai perdu ma virginité et j’ai été forcée à d’autres types de relations intimes, où il était évident que je souffrais et j’étais dégoûtée de ce type d’exigences », a-t-elle notamment déclaré. Elle était accompagnée de son avocate Laura Sgro et de Anne Barett Doyle, la directrice de Bishop Accountability, site spécialisé dans la dénonciation des abus sexuels du clergé (principalement) outre-Atlantique.
Le Telegraph cite encore Gloria Branciani, qui explique au sujet du père Rupnik : « il m’emmenait dans des cinémas porno pour m’aider à grandir spirituellement », explique ainsi la victime, qui poursuit : « si je ne grandissais pas spirituellement, je ne pourrais pas épouser ses besoins sexuels. Nous avions une autre religieuse qui faisait l’amour avec nous car il disait qu’il sentait dans la prière que notre rapport n’était pas exclusif mais à l’image de la Trinité ».
Pendant près d’une heure, elle a relaté son calvaire, la fois ou elle a « perdu sa virginité » dans une voiture lors d’un trajet en Slovénie, les « orgies sexuelles », les visionnages forcés de films pornographiques dans des cinémas pour adultes de Rome où « Rupnik avait ses habitudes », les viols répétés, les « câlins » lors des confessions etc. Nombre d’actes justifiés par un discours pseudo-théologique : « il me disait qu’il m’embrassait comme on embrasse l’autel sur lequel il célèbre l’eucharistie ».
Elle dénonce aussi les multiples protections dont a bénéficié le père Rupnik : «il a toujours été protégé par tout le monde, et tout ce que vous pouviez l’accuser était toujours nié ou minimisé ». L’avocate Laura Sgro a demandé au Vatican de la « transparence » sur la procédure canonique en cours : « les victimes le méritent, les jésuites aussi. Ainsi que les gens qui vont à l’église et se trouvent devant une mosaïque de Rupnik ». N’est-ce pas Mgr Micas ?
Une autre religieuse victime du père Rupnik, Mirjam Kovak, qui a quitté cette communauté en 1996, a elle aussi témoigné lors de cette conférence de presse, accusant le jésuite d’abus spirituels. Elle avait alerté la hiérarchie à plusieurs reprises, mais a vu toutes ses démarches niées et refusées. Elle a critiqué les hésitations des autorités religieuses qui renâclent à faire justice aux victimes de Marko Rupnik : « les institutions, au lieu de prendre en compte notre expérience et de revoir leur façon d’agir, continuent à s’enfermer dans le silence, silence que nous percevons comme un mur qui repousse toutes les tentatives de remédier à cette situation malsaine ».
En décidant de ne rien décider, Mgr Micas, évêque de Tarbes et de Lourdes, illustre de la plus triste des manières ces propos. Depuis, cinq des victimes de Marko Rupnik – dont la mosaïste française sœur Samuelle – ont écrit, via leur avocate Laura Sgro, à près de 200 responsables ecclésiastiques dans le monde – partout où il y a des œuvres de Marko Rupnik, afin de demander le retrait de ses œuvres : « C’est à dire qu’elles soient soustraites à la vue des fidèles, par égard pour les victimes et par égard également pour les chrétiens qui viennent prier dans ces lieux. Il n’est pas question de destruction ni de se prononcer sur la qualité de ces mosaïques […] Ce que nous demandons, c’est que ces œuvres soient déplacées, éventuellement dans d’autres lieux, mais pas dans des lieux de prière ».