La mort – par suicide ou malaise – du salésien Jean-Marie Petitclerc, condamné en première instance à Chaumont à six mois de prison avec sursis pour voyeurisme, et que sa congrégation avait interdit, d’ici le procès en appel, d’être en contact avec des mineurs, fait décidément réagir. Notamment le père Philippe de Kergorlay, curé de Chelles (77) dans le diocèse de Meaux, qui semble minimiser les accusations qui pesaient sur le père Petitclerc et affirmer que son nom a été « jeté en pâture » pour rien.
Ce qui semble peu probable, puisqu’au moins une autre victime s’est faite connaître des médias depuis sa mort…
Par ailleurs le père de Kergorlay oublie que parmi les prêtres suicidés, il y a certes des dépressifs, des prêtres placardisés par leurs évêque, des Fidei Donum africains abandonnés face au froid, voire à l’inimitié de leurs fidèles et des prêtres piégés dans des conflits paroissiaux de forte intensité, comme l‘ex-desservant des Pénitents Gris d’Avignon récemment ou le père François de Foucauld.
Mais il y a un nombre non négligeable de prêtres accusés d’abus, comme à Rouen et à Gien en 2018 (le prêtre giennois aurait été mis hors de cause post-mortem), Avesnes sur Helpe dans le diocèse de Cambrai en 2023, en Alsace le jour de l’An 2023, à Rome – mais il s’agissait d’un prêtre de Bétharram, ex-directeur de l’établissement – en 2000, etc. Le curé de Ploërmel porté disparu en janvier 2024 faisait lui aussi l’objet d’une plainte pour abus.
La prise de position du père de Kergorlay a aussi suscité la réaction de Natalia Trouiller sur Facebook, reconnue dans l’accompagnement des victimes d’abus et la lutte contre les abus et les dérives qui les permettent au sein de l’Eglise :
Dissonance cognitive.
Je vais encore me faire des copains, mais vu la viralité de ce post, je sors de la réserve que je m’étais imposée alors même que la thèse du suicide du père Petitclerc n’est pas prouvée et que ses frères ne l’ont pas mis en terre.
Et je rappelle ici quelques évidences, avant de proposer quelques pistes de réflexion.
Pour les évidences :

Qu’un journal rapporte une décision de justice, ici une condamnation de six mois avec sursis pour voyeurisme, c’est son travail. Dans une démocratie, la justice est publique, sauf exceptions (protection des mineurs etc). Dans le cas qui nous occupe, le plaignant mineur au moment des faits n’a pas demandé le huis-clos. Le Journal de la Haute-Marne a fait une recension détaillée du procès que je mets en commentaire, cela remettra peut-être quelques idées en place.

Se suicider n’est ni signe de culpabilité, ni signe d’innocence. Sinon Jeffrey Epstein ou le père Carricart seraient des martyrs.

La justice et la miséricorde appartiennent à deux registres différents, et pour qu’il y ait miséricorde, il faut qu’il y ait justice.

Oser dire que « En Église, il n’y a ni prescription, ni présomption d’innocence », c’est tout simplement faux. C1321 CIC/1983: « Quiconque est retenu innocent jusqu’à ce que le contraire ne soit prouvé. » Quant à la prescription elle demeure la règle, même si elle peut être révoquée au cas par cas lorsqu’il s’agit de violences sexuelles sur mineurs.
En revanche, il existe effectivement des « mesures conservatoires », et c’est heureux, qui permettent d’éviter que le potentiel agresseur ne continue d’être au contact de potentielles victimes. C’est l’équivalent dans notre droit français des « mesures préventives ». Personne ne s’en plaint quand il ne s’agit pas de prêtres.

Par « prescription », j’imagine, Père, que vous voulez dire quelque chose comme « droit à l’oubli après des années de bonne conduite ».
C’est méconnaître de façon abyssale la spécificité des crimes sexuels.
Pour des raisons que les neurosciences ont mis au jour depuis plusieurs années déjà, on sait aujourd’hui que la moyenne des personnes agressées durant l’enfance et l’adolescence ne parle qu’à l’âge de 52 ans. (Source : Brave Movement
https://share.google/mZZ2oGfmykPchOC7R)
On peut très bien n’avoir aucune alerte pendant des décennies sur quelqu’un et tout à coup des dizaines de signalements.
C’est ce qui se passe avec Betharram, par exemple.

Oui, le père Petitclerc avait écrit des choses remarquables sur la pédagogie, et il s’occupait de gamins dont personne ne s’occupait.
Raison de plus pour être d’autant plus respectueux et précautionneux avec eux. Tous ceux qui travaillent avec des populations difficiles savent que l’on doit être intraitable sur le RESPECT.
Je ne vais parler ici que de ce qui a été reconnu.

Non, on n’entre pas dans la douche d’un enfant pour « un problème d’eau chaude ».
D’autant que les problèmes d’eau chaude se règlent rarement au niveau de la douche.

Non, on ne met pas ses mains sur les cuisses d’un enfant sous prétexte qu’on est « tactile ». Ces gamins si difficiles, même un éducateur stagiaire sait que le contact physique leur est souvent extrêmement compliqué. Et les cuisses ce n’est pas n’importe où.

Le couplet sur Jésus choisissant des pécheurs est indécent. La pédocriminalité n’est pas d’abord un péché, c’est un crime. A ma connaissance, Jésus n’a pas choisi de criminel parmi les douze. Et certainement pas de criminel fuyant la justice. Arrêtez de confondre les deux plans.
Et pour l’anecdote, dans ma concordance, il y a 12 fois justice et 11 fois miséricorde dans les 4 évangiles ; et si on prend le NT entier, le ratio passe à 91 pour 41. Oui, la justice importe à Jésus.

Quant à « porter plus d’attention aux problèmes vraiment contemporains »…
Je reprends in extenso votre formulation : » Les alertes de la Ciivise sur les 300.000 enfants abusés chaque année en France ».
D’abord je me permets de rectifier: le chiffre est de 160.000 et non 300.000 (vous confondez avec les 330.000 de la CIASE sans doute), et c’est déjà épouvantable.
Ensuite, ces 160.000 enfants sont victimes dans tous les cadres: familial, amical, clérical, autre. Ne croyez pas que la CIIVISE ne s’occupe que des victimes d’inceste. Si vous lisez son rapport, ou même vous intéressez à ce que son titre veut dire (Commission Indépendante sur l’inceste ET LES VIOLENCES SEXUELLES FAITES AUX ENFANTS) vous verrez que les enfants victimes de prêtres sont comptés dedans.
Oui, la cyberpédocriminalité est un problème endémique. Des responsables de séminaires me disent que c’est une préoccupation constante pour eux aussi.
Dans les écoles catho comme ailleurs, les violences sexuelles entre mineurs explosent. Le dernier appel au secours reçu chez moi date de la semaine dernière.
S’imaginer, pour toutes ces problématiques, que le « discours de l’Eglise » serait un paravent efficace à lui seul c’est se cacher derrière son petit doigt.
La vérité, c’est que nous avons à être humbles plus que les autres, parce que pas plus que les autres nous n’avons fait bien, en revanche plus que les autres nous avons donné des leçons de morale pendant que les victimes s’empilaient dans nos sacristies.
La vérité, c’est qu’une fois encore nous hagiographons un prêtre condamné en première instance au motif qu’il s’est probablement suicidé, comme si cela voulait dire quoi que ce soit.
La vérité, c’est que personne ne pleure les dizaines de victimes qui se suicident en silence.
Que l’on pousse des cris d’orfraie sur l’euthanasie mais que personne ne parle de ces victimes qui achètent un billet pour la Suisse ou la Belgique après des années de torture.
La vérité, c’est que nous sommes en pleine dissonance cognitive.
Soyons francs et disons le franchement : si l’on accepte de laisser tomber le principe de précaution pour protéger les enfants, combien d’enfants sommes-nous prêts à sacrifier pour être certains d’avoir la messe pas trop loin et tous les dimanches si possible ?
Parce que c’est de cela, et de rien d’autre, qu’il s’agit.