Alors que les langues continuent à se délier au sujet des abus et des gestes inappropriés imputés à l’abbé Pierre par plusieurs victimes, y compris des femmes en situation de précarité qu’il aidait, le diocèse de Grenoble vient de raviver la polémique en indiquant qu’il avait reçu une lettre de dénonciation de gestes déplacés – des attouchements, en somme, commis en 1980 lors d’une séance de dédicace, missive qui a dormi dans un tiroir depuis vingt ans.
Comme l’expliquait Mgr Eychenne sur France Bleu Isère, “c’est une personne qui, lors d’une signature de livre en Belgique en 1980, a rencontré l’abbé Pierre. Elle était la dernière, un peu isolée. L’abbé Pierre aurait alors eu des gestes déplacés, il se serait mal comporté. Elle dit avoir été ‘molestée’ par l’abbé Pierre. Elle souhaitait obtenir des excuses de l’abbé Pierre qui en 2005 était déjà très âgé“. La lettre avait d’abord été adressée aux Capucins, puis transférée au diocèse de Grenoble où l’abbé Pierre exerçait en début de carrière, puis, comme l’explique encore Mgr Eychenne, “l’évêque d’alors a demandé aux Capucins de nous adresser cette personne pour l’aider, pour clarifier la situation mais nous n’avons pas eu de suite“. Il s’agit probablement de Mgr Louis Dufaux, coadjuteur de Grenoble en 1988-89 puis évêque de 1989 à 2006.
L’évêché de Grenoble s’était déjà endormi sur l’affaire Ribes dès 1977
Quand en janvier 2022 éclate, juste après le départ de Mgr de Kerimel pour Toulouse, l’affaire Ribes, du nom de ce prêtre-artiste qui a fait plus de 70 victimes sur les trois diocèses de Grenoble, Saint-Etienne et Lyon, principalement des enfants, il apparaît au grand jour que le diocèse de Grenoble a singulièrement manqué de réactivité.
Dressant le bilan du premier anniversaire du rapport de la Ciase, Paix Liturgique écrivait alors : “la gestion de cette affaire est un résumé de ce qu’il ne faut pas faire – et que les diocèses font quand même. Mgr Kerimel, évêque de Grenoble, qui a liquidé la zone inter-pastorale de Vienne en 2006 – sa relative indépendance a permis à Mgr Mondesert, son unique responsable, de ne dépendre d’aucune autorité, et à l’abbé Ribes qui y était attaché, de bénéficier d’une grande liberté – n’a pas voulu entendre parler de l’affaire avant son départ.
Aux familles des victimes, on a expliqué que les archives de l’abbé Ribes ont été brûlées en 1994, y compris les photos et les dessins de ses jeunes victimes, nues : circulez, il n’y a (plus) rien à voir ! Quant à l’administrateur provisoire du diocèse de Grenoble, l’abbé Lagadec, il a pris le parti d’opposer un silence obtus à toutes les demandes des victimes, et de ne plus répondre à personne. Quant au séminaire des aînés de Vienne-Estressin, où vivait et officiait l’abbé Ribes, il a été déménagé”.
C’est d’ailleurs sous l’épiscopat de Mgr Dufaux que les Eudistes se sont chargés de déménager le séminaire des aînés de Vienne-Estressin, où vivait l’abbé Ribes jusqu’à son décès en 1994, vers Orléans avec ses mauvais souvenirs… D’ailleurs, c’est un séminariste de ce séminaire de vocations tardives, d’Estressin, qui en 1976-77 avait alerté sa hiérarchie après avoir découvert des cartons de dessins d’enfants très indécents dans les affaires personnelles de l’abbé Ribes, et avoir été ému par ses goûts en matière de pornographie. Son signalement avait là encore été passé sous silence par sa hiérarchie, tandis qu’il était écarté de la prêtrise.