Paix Liturgique consacre une nouvelle lettre sur la commission décidée par les soeurs de Pontcallec pour enquêter sur les exorcismes et les dérives psycho-spirituelles décrites dans la lettre 1021 et par mère Marie Ferréol dans Golias cet été; entre non-dits, travaux de l’historien auquel la commission a été confiée et contexte, il y a lieu de s’interroger sur les véritables objectifs de cette commission, à laquelle bien peu de temps – 12 à 15 mois – ont été laissés pour tenter de faire la lumière dans une crise qui a commencé bien avant la période donnée.
“Après la note du Saint-Siège où ce dernier tente d’intimider la justice dans le but de défendre – maladroitement – le cardinal Ouellet (lire notre lettre 1027), la panique semble gagner en puissance. Les dominicaines de Pontcallec ont annoncé mettre en place une commission pluridisciplinaire sur la crise psychologique et spirituelle qui a eu lieu « en 2012-2013 » dans leur congrégation – et principalement à Pontcallec – nous décrivons une partie de cette psychose dans notre lettre 1021.
Le communiqué des Dominicaines du Saint-Esprit indique en substance que cette commission, confiée à l’historien Paul Airiau, a été mise en place à la demande du cardinal Ouellet – ni au Canada, ni à Pontcallec, ni dans le traitement canonique de mère Marie Ferréol, ce dernier ne s’est pourtant illustré par la volonté de faire la lumière.
Bien plus souvent, le cardinal Ouellet a dévoyé les procédures canoniques et fait confier les enquêtes à des proches – c’est notamment le cas au Canada sur les abus sexuels où il est mis en cause (notre lettre 953 du 25 août 2023) pour se faire disculper et condamner sans possibilité d’appel ses opposants.
Sans vouloir d’emblée citer Clémenceau, au vu des nombreux non-dits et des partis-pris déjà visibles tant dans l’annonce de la commission que l’explication de texte dans les médias proches de l’épiscopat français, il est permis de se demander quels sont les véritables objectifs de ladite commission et va-t-elle servir, une fois de plus, à couvrir le cardinal Ouellet, accuser des innocents, et noyer la vérité ou les faits dérangeants ?
« Chargé personnellement par le Saint-Père de notre accompagnement, le Cardinal Ouellet a demandé la mise en place d’une commission pluridisciplinaire indépendante capable de faire la lumière sur les abus commis en 2012-2013 « leur origine, la réalité des faits, les traumatismes qu’ils ont causés » et « la manière dont ils ont été traités ».
La présidence de cette Commission a été confiée à l’historien Paul Airiau, (Commission-DSE@pm.me) docteur et agrégé en histoire, ancien membre de l’équipe de recherche socio-historique préparatoire à la CIASE.
Cette commission pluridisciplinaire comprendra en outre un historien, un ancien exorciste diocésain, un psychiatre, un ancien magistrat et une supérieure religieuse.
L’objectif fixé à la Commission est :
– décrire et comprendre la nature exacte des abus commis entre 2012 et 2013 sous l’angle des différentes disciplines ;
– identifier les causes qui ont permis de tels abus et leur inscription dans l’histoire de I ’Institut et de l’Eglise contemporaine ;
– cerner les conséquences des abus sur les victimes.
Le travail de cette commission, privilégiant une « écoute attentive des victimes », permettra de présenter des recommandations et points d’attention tant pour un meilleur accompagnement des victimes que pour la prévention des abus dans l’avenir ».
Précisons que cette commission chargée de la recherche de la Vérité ne disposera que d’un temps limité à 12 ou 15 mois maximum… Bien peu pour comprendre une situation qui en fait remonte à plus d’un demi-siècle…
La Croix et RCF tapent sur l’aumônier de l’époque… déjà jugé (et blanchi) par la justice canonique
La Croix dans un long article qui depuis a été modifié, et RCF qui l’a repris, explicitent la cible de ladite commission :
« À l’époque, avec l’arrivée de nombreuses novices d’une autre génération s’exprime, parmi les sœurs, l’aspiration à une évolution des fonctionnements internes. La communauté est aussi ébranlée par des révélations sur son fondateur, l’abbé Berto, qui fut le théologien privé de Mgr Lefebvre lors du concile Vatican II : alors que l’on songeait à une béatification, plusieurs témoignages, dont celui d’une sœur âgée, font état de gestes » inappropriés – qui conduisent à l’arrêt dudit processus.
« C’est dans ce contexte qu’est nommé en [mars] 2011 à Pontcallec, un nouvel aumônier, de la Fraternité Saint-Pierre, le père François Cadiet », indique la Croix, qui oublie de préciser que l’intéressé reçoit deux lettres de mission, de l’évêque de Vannes et de ses supérieurs de la FSSP.
« Très vite, la supérieure locale de l’époque, mère Marie de la Trinité, lui confie trois sœurs qui lui semblaient « bloquées ou ralenties dans leur progression spirituelle », pour les faire exorciser . Si la gouvernance de l’époque a été écartée en [été] 2013 et l’aumônier remercié, aucune sanction formelle n’a été prise, au grand dam des victimes », poursuit la Croix, qui conclut que la commission Ecclesia Dei et le père de la Soujeole nommé en 2013 par celle-ci avaient réussi à ramener le calme, ont classé ce qui concerné l’abbé Berto et ont conclu qu’il n’y avait pas de manifestations du démon.
En 2021, « l’ancienne supérieure de Pontcallec a été renvoyée de l’institut en 2021. Celle qui aurait plaidé pour une vie de pénitence est aujourd’hui dans une autre communauté religieuse, avec l’ancienne maîtresse des novices et profès temporaires, qui l’avait suivie dans les exorcismes ».
Seulement voilà – l’ancien aumônier a bénéficié d’une vraie procédure canonique, avec respect du contradictoire, et a été jugé – définitivement – en mars 2023. Selon nos informations, il a prouvé à son procès canonique que l’évêque de Vannes – Mgr Centène, qui soutenait l’inverse – lui avait bien donné les pouvoirs pour les exorcismes qu’il avait pratiqué et qu’à l’époque, les personnes exorcisées les avaient bien vécu et lui étaient reconnaissantes. Pour toute peine, toujours selon nos informations, il a été condamné à ne pas faire d’exorcismes pendant deux ans.
Par ailleurs, il n’y a eu – en tout et pour tout – sur cette période, que trois exorcismes pour lesquels les pouvoirs ont été demandés à chaque fois à l’évêque de Vannes, Mgr Centène, qui les a remis. Le premier, fin 2011, sur une sœur envoyée ensuite dans la communauté Eucharistein dans le Var, à sa demande, puis deux autres, en 2012-13. Par ailleurs, l’aumônier n’était pas seul à les pratiquer – deux autres prêtres sont impliqués, ainsi que deux évêques, dont celui de Vannes.
Pas un mot des Dominicaines sur les agapethérapies (et les Béatitudes)
En revanche, dans le communiqué qui met en place la commission, pas un mot sur les agapethérapies que décrit par le menu mère Marie Ferréol dans Golias (lettre 1021) et qui ont laissé des traces à long terme.
Lesdites Agapethérapies, d’après leur présentation officielle citée par Golias (n°149/150 mai 2013), sont arrivées « du Québec à Cacouna en 1980, puis en France dans les maisons des Béatitudes, du Verbe de Vie ou des Foyers de Charité » et ont été mises en place par « Bernard Dubois, médecin pédiatre et membre de la communauté des Béatitudes et Daniel Desbois, psychothérapeute, [qui] sont les initiateurs de l’Agapê ». Après une intervention musclée de la DDASS en 2003 au Château Saint-Luc où étaient alors pratiquées la majeure partie des agapethérapies, ce terme est abandonné par l’association Anne Peguy Agapê fondée le 1er octobre 2003 et transférée au Puy-en-Velay le 24 octobre 2005 – mais aujourd’hui et au moins jusqu’au 8 décembre 2013 , quand Mgr Brincard reconnaît la structure comme association privée de fidèles, reste intimement liée aux Béatitudes.
Or les Béatitudes sont une communauté connue pour de nombreux problèmes d’abus sexuels et spirituels, des exorcismes sauvages, un noviciat à Autrey qui a fermé après plusieurs tentatives de suicide et de nombreux abus (lire l’enquête de la Croix Hebdo 13 janvier 2023, RC 16/1/2023) ; le 21 janvier 2023 Riposte Catholique publiait des extraits du rapport confidentiel de Mgr Santier, ex-évêque de Coutances, Luçon puis Créteil, fait en 2011 sur les « dangers du psycho-spirituel » dans les sessions Agapê – Mgr Santier, lui-même rattrapé par des abus sexuels et spirituels commis dans l’école de la Foi à Coutances, est un expert en la matière.
Pour rappel, « La supérieure nous mettait tout le monde malade. Elle traitait sur place celles qui ne pouvaient pas se déplacer et pratiquait ces thérapies infernales [les agapethérapies] sur ces pauvres petites sœurs qui cherchaient le bon Dieu. On a du fermer le foyer. Il n’y avait plus personne pour s’occuper des enfants », se rappelait-t-elle dans les colonnes de Golias. Le foyer a effectivement fermé à cette époque – l’explication avancée alors est de permettre aux novices de consacrer plus de temps à leur vie religieuse.
Fondées sur des « introspections à la recherche des blessures d’enfance devenues des entraves spirituelles », lesdites thérapies conduisaient certaines religieuses, « sous prétexte de pardonner à leurs parents, à [revenir] chez elles pour les injurier », continue mère Marie Ferréol. « Lors d’une session, une sœur m’a raconté avoir façonné un fœtus avec de la pâte à modeler, puis l’avoir bercé pour le guérir des blessures infligées par sa mère ». Ces témoignages correspondent bien au déroulement détaillé d’une retraite Agapê, mis en ligne par Golias (149/150) en mai 2013.
Un autre oubli : la crise de Pontcallec est bien plus ancienne que 2012-13
Un autre oubli, de taille, dans la communication des Dominicaines de Pontcallec – mais nous savons (lire notre lettre 1025) que les non-dits et euphémismes y sont nombreux : la situation de crise dans la congrégation en général et dans la maison de Pontcallec ne date pas de 2012-13.
D’ailleurs le processus lancé par mère Marie-Hyacinthe pour béatifier l’abbé Berto était une tentative de rompre avec la crise – marquée par le départ de plusieurs sœurs et une tentative de suicide plusieurs années avant la période 2011-13. Cependant loin de restaurer l’unité, elle avait conduit à exacerber les différences de vue et de positions au sein de la communauté, où au moment de l’arrivée de l’abbé Cadiet, plus d’un tiers des sœurs sont sous antidépresseurs.
Surtout, il y a déjà eu des exorcismes avant 2011-2013 – information capitale que là encore, la communauté passe sous silence. Que des exorcismes soient demandés à un aumônier et que lui-même demande des pouvoirs à l’évêque ne sont une innovation.
Des recherches sur les prêtres à l’origine de l’opposition à Vatican II et la virilité des prêtres
Sur son profil Viadeo, Paul Airiau déroule ses fonctions et ses publications, qu’il est intéressant de reprendre ici.
• 1994 – maintenant : après avoir occupé de nombreux postes à l’année dans l’Académie de Versailles puis dans celle de Paris, en lycée ou en collège, notamment en ZEP, j’ai été affecté à un poste fixe en 2009 au Collège de la Grange aux Belles (75010), établissement en ZEP du groupe 5 (indicateurs socio-éducatifs peu favorisés).
• 2004 – 2006 : Maître de conférences de méthode de 2e année de 1er cycle, 2e semestre, « L’Europe en questions au XXe siècle : politique, cultures et identités »
Maître de conférences de méthode de 2e année de 1er cycle, 2e semestre, « Histoire de l’Europe occidentale au XXe siècle : politique, sociétés, cultures et identités »
• 2004 – 2009, Université Paris XII, : chargé de cours de 1ère année de DEUG d’Histoire puis de 1ère année de Licence d’Histoire, 1er semestre, « Histoire de la France, 1789-1871 »
• 2006 – maintenant, Institut d’Eudes Politiques de Paris : Maître de conférences de méthode de 2e année de 1er cycle, 2e semestre, « Histoire et droit des Etat
Il y liste aussi nombre de ses articles :
– « Disputatio Dei. Les catholiques français partisans de l’ “héritage chrétien”. », pp. 197-208 in La Constitution européenne. Élites, mobilisations, votes., Antonin Cohen, Antoine Vauchez (eds). Bruxelles : Éditions de l’Université de Bruxelles, coll. Etudes européennes, 2007.
– « Le prêtre catholique : masculin, neutre, autre ? Des débuts du XIXe siècle au milieu du XXe siècle », pp. 192-207 in Hommes et masculinités de 1789 à nos jours. Contributions à l’histoire du genre et des sexualités en France. Coordonné par Régis Révenin, préface d’Alain Corbin. Paris, Éditions Autrement, collection Mémoires/Histoire, 2007.
– « Le prêtre catholique : une virilité problématique et incertaine (1775-1914) », in Histoire de la virilité, ss dir. Alain Corbin et Georges Vigarello. Paris : Éditions du Seuil, coll. L’Univers historique,2011.
– « Essai d’histoire profane d’Humanæ Vitæ. », pp. 9-46 dans Corps, raison et foi : l’actualité d’Humanæ vitæ. Colloque du Collège des Bernardins, le 18 octobre 2008. Paris : Collège des Bernardins, Éditions Parole et Silence, 2009 (version audio )
– « Les séminaire diocésains français, 1880-1914. », pp. 71-89 in Revue de l’histoire de l’Église de France., n° 226, janv.-juin 2005.
– « La formation sacerdotale en France, du XIXe au XXe siècle. », pp. 23-44 in Archives de sciences sociales des religions., n° 133, 2006 (lire)
– « Pie XII, le révélateur. », site internet Religioscope, mis en ligne le 22 avril 2002 (lire).
– « La légitimité incertaine (1814-1853) : retour sur les faux Louis XVII. », pp. 115-127 in Revue d’histoire du XIXe siècle., n°. 39, 2009/2.
Un regard critique sur l’abbé Berto
Dans le cadre de sa thèse, Paul Airiau a déjà travaillé sur l’abbé Berto et sa théologie, à partir de son journal des années 1920 et d’une partie des lettres qu’il écrivait aux dominicaines de Pontcallec dans les années 1960.
L’intéressé explique à la Croix que la commission mènera, « d’une part, une enquête historique à partir des sources et de toutes les pièces produites à cette occasion, d’autre part, des entretiens – menés dans les normes d’une enquête sociohistorique – avec les personnes victimes, ainsi que tous les acteurs de l’époque disposés à parler ».
Dans cette affaire qu’il reconnaît « complexe, aux multiples tiroirs », Paul Airiau, souligne l’indépendance de sa commission. « Nous ne sommes pas au service de la justification de l’institut, ni même au service du pape, mais nous enquêtons afin de poser un avis historique, canonique, théologique voire spirituel afin que l’institut puisse s’en saisir, accompagner au mieux les victimes et mener sa réflexion sur son identité et son avenir ».
Comme le présente le Forum Catholique en 2007, « actuellement professeur d’histoire-géographie dans des établissements secondaires publics de l’Académie de Paris, également maître de conférences à l’IEP de Paris et chargé de cours à l’Université de Paris XII Créteil, il oriente ses recherches en histoire religieuse contemporaine. Il travaille plus spécifiquement sur le catholicisme intransigeant et les prêtres (“La formation sacerdotale en France, du XIXe au XXe siècle, Archives de sciences sociales des religions, n° 133, 2006, pp. 23-44 ; Le prêtre catholique : masculin, féminin, neutre, autre ?”, à paraître dans Histoire des masculinités en France, 1789-1945, Paris, Editions Autrement, coll. Mémoires, 2007).
Il a publié L’Eglise et l’Apocalypse du XIXe siècle à nos jours (Paris, Berg International, 2002), L’antisémitisme catholique aux XIXe et XXe siècles (Paris, Berg International, 2002), Cent ans de laïcité française, 1905-2005 (Paris, Presses de la Renaissance, 2005), et, en collaboration avec Régis Burnet, Da Vinci Code : les coulisses d’une fiction (Tours, CLD, 2006).
Il a travaillé par ailleurs sur l’abbé Berto dans le cadre de sa thèse, Le Séminaire français de Rome du Père Le Floch (1904-1927) (3 vol.). Thèse de doctorat : Institut d’études politiques – Paris (Histoire), 2003 ».
En 2009, il publie un abrégé de sa thèse dans la revue Catholica, ainsi résumé : « Paul Airiau, agrégé d’histoire, chargé de la rédaction de la revue Résurrection, parle ici des têtes pensantes du « catholicisme intégral » français des années cinquante, avec leurs capacités et faiblesses. Ces personnalités peu connues sont cependant intéressantes à considérer et comprendre : lorsque le pouvoir de la Curie de Pie XII sera balayé par les événements de la première session de Vatican II, ce sont ces hommes, ou d’autres de leur entourage, un milieu marginalisé activement et passivement, avec toute la dépréciation qui résulte de fait de cette situation, qui vont prendre en charge l’opposition au mouvement conciliaire ».
En l’occurrence, il s’intéresse aux fondateurs de la Pensée catholique, sous un jour critique et politique : « les quatre fondateurs de la Pensée catholique sont bientôt quinquagénaires. Nés au tournant du siècle, Lucien Lefèvre (1895–1987), Henri Lusseau (1896–1973), Victor Berto (1900–1968) et Alphonse Roul (1901–1969) sont issus du Grand Ouest français (Loire-Atlantique, Vendée, Morbihan et Seine-Inférieure). Leurs origines sociales diffèrent (le père de l’abbé Lefèvre est professeur de Lycée, le père de l’abbé Berto est officier colonial), leur formation antérieure diverge (seul l’abbé Berto est diplômé de l’Université).
Ils s’y rencontrent tous les quatre et y conquièrent leurs grades : l’abbé Lefèvre, docteur en théologie, bachelier en droit canonique, y a été élève de 1919 à 1925 ; l’abbé Roul, docteur en philosophie et en théologie, de 1919 à 1926 ; l’abbé Berto, docteur en théologie et de l’Académie Saint-Thomas, de 1921 à 1926 ; le chanoine Lusseau, docteur en théologie, en Ecriture sainte et de l’Académie Saint-Thomas, de 1918 à 1924. Cette commune formation les marque pour toujours.
Ils sont en effet formés sous l’égide du P. Henri Le Floch c.s.s.p. (1862–1950), nommé en 1904 recteur de cette institution pontificale fondée en 1853.
[…] L’enseignement y est intransigeant et intégral, et se définit négativement : antilibéralisme, antilaïcisme, antimodernisme, antisillonisme. Cependant, tous les élèves ne se coulent pas dans ce moule. Si peu de problèmes se manifestent avant 1914, la période qui suit la Première Guerre mondiale est plus agitée et des clans théologico-politiques se constituent. Les fondateurs de la Pensée catholique ont choisi le camp intransigeant et intégral. Ils demandent avant tout l’application totale de la vérité catholique, en particulier en ce qui concerne les relations entre l’Eglise et l’Etat et la place sociale qui doit être reconnue à l’Eglise. Aussi sont-ils favorables à une action de tous les catholiques afin d’obtenir une puissance politique susceptible de remettre en cause les lois laïques issues de la sécularisation républicaine des années 1878–1914.
L’Action française est donc un allié privilégié : le « politique d’abord », s’il n’est pas vrai dans l’ordre des principes, l’est dans l’ordre pratique. Leurs productions théologiques de cette époque témoignent de ces choix qui sont loin de faire l’unanimité dans le catholicisme français, mais qui, à Rome, bénéficient de la sympathie de nombre de leurs confrères séminaristes et du cardinal Billot, très proche du recteur ».
Pour sa thèse, il s’appuie surtout sur les sources suivantes :
• Journal de l’abbé Victor-Alain Berto, 19/12/1922-25/02/1926, manus., avec ajouts postérieurs ss d. L’original (archives des Dominicaines du Saint-Esprit, Notre-Dame de Joie, Pontcalec) a été dactylographié (54 p.) a une date inconnue. Une copie se trouve au séminaire Saint-Pie X d’Écône (Suisse) de la Fraternité Saint-Pie X. C’est cette version, dont une photocopie a été fournie par l’abbé Grégoire Célier fspx, qui a été utilisée
• Notre Dame de Joie. Correspondance de l’abbé V.–A. Berto, prêtre, 1900-1968. Paris : Nouvelles Editions Latines, 1974. 333 p. : notes, index.
• Le Cénacle et le Jardin. Intelligence et spiritualité du sacerdoce à travers les écrits de V.-A. Berto prêtre. Tetxtes réunis et présentés par Bruno Le Pivain. Préface par Dom Robert Le Gall. Bouère : Dominique Martin Morin, 2000. 414 p. : fac-sim. [Contient des extraits du Journal de l’abbé Berto, des notes de retraites, des fragments de lettre à d’anciens élèves du Séminaire français.]
• Divers écrits de l’abbé Berto lui-même dans la Pensée Catholique
• Un article d’Itinéraires, « Une opinion sur l’Action Française. », pp. 77-92 in Itinéraires., n° 122, 04/1968.
Une thèse éminemment politique pour descendre en flammes les piliers de l’opposition à Vatican II en France ?
Dans sa thèse, il accuse carrément l’abbé Berto d’avoir été le propagateur de l’Action Française au sein du séminaire français (cf. pages 679/80, 683, 687, 688). Et son mémoire, à l’IEP en 1994 en DEA d’Histoire, a un titre bien plus direct : « Mémoire : La Pensée catholique, 1946-1956 : romanité à la française ou “intégrisme” ? ».
Dans sa thèse, la visée politique de la critique du séminaire Français de Rome et de la formation de l’abbé Berto transparaissent clairement page 727 : « ainsi, l’apocalyptisme est-il la ligne officielle du P. Le Floch, et les conférences de saint Thomas sont le critère de l’appartenance au Séminaire. Elles en disent l’âme et l’esprit, de combat contre les puissances des ténèbres, les catholiques non transigeantistes et les autres. C’est à une affirmation claire et nette de son intransigeantisme que se livre le supérieur, soutenant ainsi les conférenciers dans leur propagande maurrassienne (trois d’entre eux y participent : V. Berto, A. Roul, R. Dulac) ». Page 822, il enfonce le clou : « Certains de ces prêtres doivent nous retenir car ils furent parmi les piliers de ce qui fut appelé, après 1945, et dans le sens que le mot et la notion prirent alors, l’intégrisme ou, souvent aujourd’hui, le traditionalisme. Rappelons quelques jalons. La Pensée catholique, qualifiée à mots couverts d’intégriste, ou presque, dès sa naissance en 1946, fut fondée par les abbés Roul, Berto, Lefèvre et le chanoine Lusseau ».
Paul Airiau a effectivement travaillé sur l’abbé Berto – dont les écrits sont actuellement relus par deux théologiens. Mais a-t-il accepté la présidence de cette commission sans parti-pris et sans autres objectifs d’arrière-plan ? On peut légitimement en douter.
Un président de la commission avec un parti-pris contre la Tradition ?
Paroissien plutot classique de Saint-Germain l’Auxerrois qui a plutôt mal vécu la tentative de prise de son église par les fidèles de la messe traditionnelle, père de neuf enfants, chercheur sur l’enseignement religieux des XIXe-XXe et sur la laïcité, celui qui est aussi professeur d’histoire-géographie en ZEP au collège public de la Grange aux Belles dans le 10e arrondissement de Paris a été membre du GREC en 2007 et est toujours membre de la très discrète communauté Aïn Karem, qui fait de l’évangélisation de rue et est essentiellement présente à Paris et à Provins.
En octobre 2020 il explique comment il enseigne la laïcité à ses élèves : « face à ses collégiens, Paul Airiau doit se garder d’« enseigner la laïcité comme une religion civile ou une idéologie d’État ». Et en même temps, « leur faire comprendre qu’ils doivent accepter les règles de vie collective en vigueur en France, même s’ils peuvent les critiquer ». Le tout en évitant une contestation des enseignements. Pour contourner les pièges, ce professeur déroule avant tout « une lecture juridique de la laïcité, en exposant les choix qui ont conduit à l’adoption de ce dispositif ». Et plutôt que d’affirmer qu’en France « on peut se moquer de tout », il préfère énumérer « ce dont on peut, ou pas, se moquer », en montrant l’évolution dans le temps ».
Mais sont nettement plus intéressantes ses réponses au Forum Catholique en 2007. Il y dresse notamment le bilan du GREC dont il fait partie : « quoi qu’on en pense à Rome, à Econe et ailleurs, les “théologiens en veston” sont une catégorie repérée par les historiens depuis les années 1920… Les laïcs doivent avoir toute leur place, et il faut absolument défendre l’idée que les affaires tradoches ne sont pas seulement des affaires de curés ».
Golias prend un SCUD au passage : « nous avons peu d’affinités avec l’univers psycho-intellectuel du magazine tendre et grinçant qui se fait appeler GOlias et dont les enquêtes journalistiques manquent de la plus élémentaire rigueur que l’on demande à un étudiant de première année de licence d’histoire ou tout simplement à un élève du secondaire ».
Le Bref Examen critique aussi : « le bref examen critique est en partie du P. Guérard des Lauriers (Guériers des Laurards comme disaient ses jeunes frères dominicains qui subissaient, au sens strict du terme, ses réflexions métaphysiques sous forme de cours inbitables). Il est focalisé sur une lecture antiprotestante de la messe, et considère implicitement que le texte seul suffit à assurer la validité d’un sacrement. J’émets sur ce dernier point des doutes ainsi que sur la lecture de Trente qui sous-tend le texte. Ottaviani et Bacci l’ont assumé, ok. Ce sont des cardinaux, ok. A part ça, leurs arguments ne me convainquent pas, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à reprendre dans la messe concoctée par Bunigni et consorts (les réformistes liturges ) ».
Puis il livre son regard sur le monde tradi, en « observateur depuis quinze ans » : « le sentiment d’aborder un univers différent, où l’on est sûr d’avoir envers et contre tout raison, et où l’on se vit dans un conflit incessant avec le monde pervers (pour aller vite). Bref, la certitude de la vérité, des paroles qui sauvent, etc. Ce qui conduit à mon sens à ne pas percevoir un point fondamental : les traditionalistes sont tout autant que les autres catholiques et les autres Français travaillés de l’intérieur par la modernité et l’individualisme.
[…] Le traditionalisme innove aussi, tout en ne voulant jamais qu’actualiser l’intransigeantisme. Les Éditions Clovis, de la Fraternité Saint-Pie X, ne rééditent pas seulement des ouvrages du XIXe siècle, mais publient aussi des romans contemporains pour adolescents : il faut conquérir une jeunesse progressivement apparue, en répondant à ses attentes […] Au plan symbolique, l’armée est un mythe. La valorisation guerrière issue de la geste révolutionnaire et napoléonienne converge avec la mythologie chevaleresque et nobiliaire réinterprétée dans la mystique de l’officier-chef-meneur d’homme. […] L’apposition apocalyptico-prophétique d’un Sacré-Cœur sur le drapeau tricolore exprime cette intransigeantisme préservé, qui doit cependant réinterpréter en sa faveur les trois couleurs. Cette réappropriation subversive se retrouve avec la musique bretonne (certaines chansons du groupe Tri Yann, composé d’anciens enseignants publics et se revendiquant de gauche, connaissent un véritable succès), ou celtisante.
La logique du corps et des gestes conduit à une réelle transigeance, où le plaisir individuel s’impose malgré l’intransigeantisme intellectuel. Le vêtement féminin est aussi un signe : les jupes au dessus du genou s’opposent aux jupes en dessous, et les réactions peuvent être virulentes. […] Cependant, le couple n’est pas encore moderne. La danse, rock ou rap compris, se pratique à deux, car la mythologie romantique s’est imposée jusque dans les milieux apocalyptiques. Le couple est un absolu, lieu et moyen de réalisation du bonheur individuel, de sanctification en termes catholiques. […] Enfin, faut-il évoquer une certaine technophilie ? Je me souviens ici en particulier d’une comparaison que deux prêtres de la Fraternité Saint-Pie X opérèrent devant moi, naturellement, entre leurs deux téléphones portables (1998) : taille, autonomie, poids, aspect ».
Suit un long développement, qui s’achève sur sa position : « la position que je tiens et que même cet objectif là, tout comme l’objectif qui est le mien que soit évangélisé le monde entier in fine avant ma mort et même demain, est insuffisant par rapport à ce qui doit nous être donné gratuitement un jour : des cieux nouveaux et une nouvelle terre car le Fils aura soumis tous ses ennemis et remis la puissance à son Père, et alors Dieu sera tout en tous. Bref, ici-bas nous n’avons rien à espérer de mieux que cela – mais ce ne sera plus alors ici-bas comme nous en avons l’habitude.
Comme on le voit, j’oscille entre spiritualité, théologie, histoire, sociologie. Ce que je désire est de les faire converger pour permettre de penser et de vivre cette espérance dans un monde qui s’est structuré en rejetant cela. Car la modernité est autre chose que du paganisme, et autre chose aussi que le péché originel, ou la réitération de l’orgueil satanique. Le naturalisme dénoncé par les papes est sorti du christianisme, et cela change radicalement les choses. Nous ne pouvons pas faire comme si cette réalité nous était étrangère. Elle est ce que nous pourrions être sans ce que nous avons reçu, elle est aussi ce que nous sommes, c’est-à-dire notre péché ».
En-dehors de Paris, point de salut : « Pendant très longtemps, j’ai élu le Sacré-Cœur de Montmartre, puis Saint Germain l’Auxerrois (y compris un certain 7 mars 1993 où je vis pénétrer dans cette église, alors que nous achevions de chanter Attende Domine, une troupe venue en touriste depuis StNic), où la liturgie était plutôt à l’honneur, puis maintenant une autre paroisse parisienne. Bref, en dehors de Paris je constate la vacuité liturgique, surtout lorsque les messes sont célébrées par des prêtres âgés ».
L’affaire de la Sœur Marie Ferréol pourrait être le sujet d’un roman sur les dérives d’une institution religieuse. On pourrait y ajouter la disparition mystérieuse du curé de Ploërmel venu dire la messe à Pontcallec et éventuellement les frasques du curé de Brocéliande pour corser le tout. Tout cela est un mélange de « Port-Royal » de Montherlant, du « Nom de la Rose » d’Umberto Eco, des enquêtes du père Brown de Chesterton, de « l’île aux trente cercueils » de Maurice Leblanc, du « Chien des Baskerville » de Conan Doyle, etc…, sur fond de landes bretonnes dans la haute vallée de la Scorff. Je propose la chose à Houellebecq. Le sujet est scabreux et polémique, mais d’une extrême richesse.
Moi, je préfère “Port Royal ” de Montherlant: “Au nom de la Rose”, c’est limite comme choix de lecture : tâchez d’avoir meilleur goût, cher Marek (grand éclat de rire).