Le 2 mars prochain à 14 heures la salle des ventes de Bayeux va disperser un certain nombre de livres anciens, dont des bulles papales et d’autres documents religieux qui, selon nos informations, proviendraient de la bibliothèque de l’ex-séminaire de Caen, dans le diocèse de Bayeux-Lisieux. Un patrimoine dont les fidèles du Calvados seront donc probablement privés à l’avenir.
Par ailleurs, une grande partie des livres du séminaire de Caen va être vendue le 28 mars prochain chez Me Thomas au Mans et dans d’autres ventes courant 2024 – le site de sa salle des ventes annonce une “importante vente de livres anciens, attention, 20.000 ouvrages […] provenant d’une congrégation […] seront répartis entre des ventes courantes et cataloguées“.
Le matin du 28 mars notamment les ouvrages religieux d’une moindre valeur seraient dispersés “en caissettes, les livres sur la tranche“, tandis que l’après-midi aura lieu la première vente cataloguée d’ouvrages plus spécialisés ou d’une plus grande valeur. Bref, des ouvrages qui auraient peut être été utiles aux actuels ou aux futurs prêtres seront dispersés, plutôt qu’être, par exemple, transmis aux prêtres et aux séminaristes de Normandie, du Maine et de Bretagne – puisque les séminaristes des diocèses (bas-)normands sont désormais formés à Rennes.
Par ailleurs, le diocèse de Bayeux Lisieux, quitte à vendre du patrimoine religieux, ne le fait pas toujours avec discernement. Un exemple parmi d’autres : le 18 juillet dernier, le diocèse de Bayeux Lisieux passe une convention avec un brocanteur, par laquelle il lui cède un “ensemble de meubles, dont bureau, fauteuil, semainier, cartonnier et divers, un ensemble d’objets religieux dont statuettes, crucifix et divers, ensemble de cadres et d’estampes, divers objets et boîtes, ensemble de tissus à usage anciennement liturgique“, le tout pour 1000 euros (oui, mille).
Deux objets de ce lot, même pas détaillés – à moins qu’ils ne figurent dans les “divers objets et boîtes“, ont été vendus à la vente d’art sacré en Alençon le 14 octobre dernier – il s’agit d’un encensoir et sa navette et d’un ostensoir de la toute fin XVIIIe, qui ont fait respectivement 800 et 8000 euros, hors frais. Ladite convention a été signée – étonnamment – par l’archiviste diocésain, nous la produisons ici.
L’évêque de Bayeux, Mgr Habert, avait été précédemment en poste dans l’Orne – où il a laissé de bons souvenirs. Le commissaire priseur d’Alençon lui a écrit, pour témoigner de son étonnement des conditions dans lesquels ces objets – et visiblement d’autres – ont été vendus – Monseigneur reconnaît ce 26 février qu’il aurait “peut-être du lui répondre“; il le peut encore du reste.
En présence de son évêque, M. Poichotte, économe diocésain, affirme que cette braderie de juillet dernier par l’archiviste du diocèse est “un dysfonctionnement suite auquel une procédure disciplinaire a été ouverte, sur laquelle nous ne pouvons pas communiquer“. A-t-il été le seul? “Oui, c’est le seul“. Est-il prévu de rappeler – comme l’ont fait d’autres diocèses, après des dérives semblables, les règles en matière de vente ou de valorisation des objets dans les biens diocésains, voire de communiquer sur le sujet ? “Il y a des règles qui existent, le droit canon existe“, mais on nous fait comprendre qu’il n’y aura pas de communication – ce qui pourrait pourtant éviter de nouveaux problèmes.
L’économe assume la dispersion d’une partie de la bibliothèque du séminaire de Caen “qui n’a pas d’utilité pour la mission de notre diocèse”
Le 26 février, nous avons contacté l’évêque de Bayeux-Lisieux directement, notamment après que des clercs et laïcs de son diocèse se soient émus de la dispersion du patrimoine de leur diocèse – et de l’ensemble des normands – aux quatre vents. C’est l’économe M. Poichotte, nommé en février 2022 et alors en poste comme économe du diocèse de Soissons – qui nous a répondu en présence de l’évêque Mgr Habert.
M. Poichotte explique : “pourquoi on vend ? Premièrement on n’a pas les lieux pour conserver ces ouvrages historiques, on n’en a pas les moyens. On a décidé de se séparer des ouvrages de valeur historique dont on n’a pas l’utilité pour la mission de notre diocèse. Pour conserver ceux qu’on garde, on a comme projet de construire à Caen un centre de conservation des archives, registres de catholicité etc. à la maison diocésaine“.
Lorsque nous lui demandons si ce projet est chiffré, il nous répond qu’il “ne sait pas“; où irait l’argent de la vente des livres ? il tente, évasif : “dans le fonctionnement du diocèse“. Idem, lorsque nous lui demandons s’il a été envisagé de transmettre les fonds historiques aux organismes publics qui ont les moyens de le conserver (bibliothèque municipale, archives départementales, université etc.) il nous a été répondu que “nous avons vendu certaines oeuvres aux usagers publics qui cherchaient à les acquérir spécifiquement, mais ils n’ont pas la capacité de tout prendre“.
Du reste, l’on s’interroge pourquoi le diocèse de Bayeux-Lisieux n’envisagerait pas de mutualiser cette charge avec d’autres diocèses, par exemple celui de Coutances dont la moitié du grand séminaire (qui abrite déjà les archives et la bibliothèque, sur un des niveaux) est vide depuis longtemps – même si ces derniers temps un coworking y a été inauguré, dans une toute petite partie.
“Nous n’avons pas à communiquer sur ces ventes” : honnis ceux qui demandent des comptes !
Nous demandons à l’économe pourquoi la maison de vente au Mans – et celle de Bayeux – n’ont pas communiqué sur l’origine des livres, pourquoi est-il indiqué – à tort, visiblement, qu’ils proviennent d’une “congrégation“. Réponse : “ce n’était pas notre intention, il y a certainement eu une erreur humaine“.
Mais quelques minutes plus tard, M. Poichotte s’insurge presque : “nous n’avons pas à communiquer sur ces ventes. Je ne vois pas l’intérêt de communiquer sur ce type de sujet. Quand une paroisse veut vendre une maison, un bien, c’est le conseil économique paroissial qui le décide, nous n’allons pas l’afficher partout dans le diocèse“.
Sauf que le diocèse de Bayeux-Lisieux, comme bien d’autres, dépend de la générosité publique – qui s’exprime notamment à travers les quêtes, le casuel, les legs ou encore le denier du culte. À ce titre, il serait au moins moralement obligé de tenir ses fidèles et clercs informés de sa gestion, et de rendre des comptes. Dans les comptes de l’année 2022, publiés en juillet 2023, l’on apprend que le diocèse, qui a 29,7 millions d’euros de fonds propres, et 10,7 millions d’euros de fonds dédiés ou liés aux legs, a perçu 9 072.630 euros de dons manuels (et 98 093 283 euros en 2021) ainsi que 1,9 millions de legs, donations et assurances vies en 2022 (1,3 millions d’euros pour ce poste en 2021). Le résultat d’exploitation se dégrade en un an, mais reste positif (828 000 euros en 2022, 1,153 millions d’euros en 2021). Le résultat courant (959 000 euros en 2022, 1,4 millions d’euros en 2021) se dégrade en un an mais reste largement positif.
A la page 12 du rapport des commissaires aux comptes, on apprend que le produit des quêtes, assurances et dons a augmenté de 408.000 euros pendant l’exercice et les produits d’exploitation de 683 000 euros; “les legs représentent 1,846 k€ sur l’exercice 2022, contre 1.262 en N-1, cette augmentation est principalement liée au pèlerinage de Lisieux qui a reçu des legs importants sur l’exercice“. Au 31 décembre 2022, les legs en instance s’élèvent à “1.464 k€” si on lit la page 20.
Le résultat des divers secteurs est en revanche plus contrasté, avec un effondrement pour la Curie (1,7 millions d’euros en 2021, 33 000 euros en 2022) et une baisse pour la “direction Lisieux” (829 000 en 2022, 1,4 millions d’euros en 2021). Les effectifs font apparaître des effectifs significatifs (page 27) – mais il n’est pas précisé s’il s’agit ou non d’équivalents temps plein : 74 postes en tout, 27 pour la Curie, 24 pour les paroisses, 20 pour la direction des pèlerinages, 3 à l’INSR, et les trois plus haut cadres dirigeants (membres du conseil d’administration) n’ont reçu “aucune rémunération ni avantage en nature“.
Reste à comprendre pour quelle raison le diocèse de Bayeux-Lisieux a dispersé une partie de son patrimoine et sa bibliothèque, et à se demander si nous n’assisterons pas un jour à la vente de l’anneau, de la crosse et de la mitre de Monseigneur, avant fermeture et extinction des feux.
Résultat financier par secteur – page 25 des comptes 2022 du diocèse de Bayeux Lisieux
C’était effectivement une référence à Mgr Lefebvre qui a d’ailleurs actif en Normandie à Mortain – Vatican II fit de l’ex scolasticat des Spiritains, l’Abbaye Blanche, une communauté des Beatitudes qui s’est éteinte à son tour (1984-2011), les lieux sont passés dans le privé et il est vaguement question d’y aménager diverses activités…