Mgr Christophe Kruijen, prêtre du diocèse de Metz, jusqu’en 2016 consulteur à la Congrégation pour la doctrine de la foi, a publié un article pour le numéro 165 de la revue Sedes Sapientiæ sous le titre Changer la doctrine de l’Église en matière d’homosexualité ? Quelques notes critiques.
Quoi qu’on en dise, l’enseignement de l’Église catholique sur l’homosexualité manifeste un extraordinaire respect et une promotion de la dignité de la personne qui vit une orientation sexuelle désordonnée, tout en affirmant que les actes sodomites ne peuvent jamais être ordonnés pour le bien. Mgr Kruijen a le mérite de résumer et d’aborder les objections les plus courantes à l’enseignement de l’Église sur le sujet, objections qui, à force d’être répétées comme si elles étaient évidentes, effritent peu à peu les convictions jusqu’alors substantiellement établies des catholiques.
L’auteur en présente six. Mais voici les trois plus insidieuses.
La première se résume ainsi : “La doctrine de l’Eglise reste à ce jour une condamnation des actes homosexuels, mais pas de l’homosexualité, car celle-ci n’est pas un choix”. Cette position qui, à première vue, peut apparaître comme une forme de respect pour ceux qui se retrouvent avec une orientation qu’ils n’ont pas choisie, cache en réalité une conception réductrice de la personne humaine. Il s’agit de comprendre qu’il n’est pas possible d’affirmer l’homosexualité d’une personne “dès sa naissance” comme on peut affirmer sa masculinité ou sa féminité. Dieu a créé l’homme mâle et femelle : il n’y a pas de troisième option. Soutenir que l’homosexualité d’une personne est une sorte de “troisième identité”, qui légitimerait les actes qui en découlent, est une grave erreur. Mgr Kruijen explique :
“L’Église refuse de faire des personnes homosexuelles une catégorie d’êtres humains à part, comme si elles étaient les seules à être privées de la possibilité de s’autodéterminer (…). Au contraire, elle les considère comme dotées de liberté au même titre que les personnes hétérosexuelles et donc capables de dominer leurs propres actes”.
La personne, précisément parce qu’elle est telle, émerge sur ses propres actes et est donc capable de les diriger et de les dominer. Comme l’écrivait sainte Catherine de Sienne, citée dans l’article, en reprenant les paroles de Dieu le Père, “l’âme est libre, libérée du péché dans le sang de mon Fils, et ne peut être obligée si elle ne veut pas consentir avec la volonté qui est liée au libre arbitre” (Dialogue de la Divine Providence, 51). Ceux qui prétendent qu’il est nécessaire que la personne ayant une orientation homosexuelle vive sa sexualité en contradiction avec la loi de Dieu révèlent qu’ils ont une conception erronée de l’homme et une méfiance totale à l’égard de la grâce.
“À une vision anthropologique déterministe et fondamentalement fataliste, la Révélation biblique et l’enseignement de l’Église qui en découle opposent une approche plus confiante dans les ressources de la nature humaine (notamment aidée par la grâce)”.
Cette vision pessimiste et fataliste de l’être humain sous-tend également d’autres nouvelles “ouvertures” morales dans les relations homme-femme, déplaçant ainsi la vie morale vers une déresponsabilisation continue de l’agent moral, à la recherche de ce qui peut réduire son imputabilité, plutôt que de se concentrer sur ce qui conduit au perfectionnement de la nature humaine. De la morale des vertus, nous glissons inexorablement vers la morale des excuses et des circonstances atténuantes.
Une autre réflexion porte sur l’objection selon laquelle, avec le pape François, l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité serait en fait développé. Mgr Kruijen rappelle la théologie du Magistère, “parfois minimisé à l’extrême (quand il dérange), parfois maximisé comme s’il pouvait s’élever au-dessus de Dieu lui-même (quand nous voulons qu’il confirme nos positions)”. En utilisant le langage clair de la théologie, le Magistère est en fait norma normata et non norma normans : le Magistère est normalisé par la Parole de Dieu, qui seule est la norme suprême. Ce qui signifie en substance que
“les doctrines professées par l’Eglise ne sont pas vraies parce que le Pape les affirme, mais c’est parce qu’elles sont vraies que le Pape a la mission de les garder saintement et de les exposer fidèlement”.
La plenitudo potestatis du Pontife romain n’a rien à voir avec l’absolutisme. Dans la très importante homélie prononcée à l’occasion de son installation dans la Chaire romaine, Benoît XVI a rappelé avec insistance, non sans une particulière clairvoyance, cette soumission du Pape à la Parole de Dieu. Mgr Kruijen cite également un document officiel de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi portant précisément sur la primauté du Successeur de Pierre :
“Le Pontife romain est – comme tous les fidèles – soumis à la Parole de Dieu (…). Il ne décide pas selon sa propre volonté, mais il donne voix à la volonté du Seigneur, qui parle à l’homme dans les Écritures vécues et interprétées par la Tradition ; en d’autres termes, l’episkopè de la Primauté a les limites qui procèdent de la loi divine et de l’inviolable constitution divine de l’Église contenue dans la Révélation”.
Enfin, l’objection dangereuse selon laquelle ceux qui condamnent l’homosexualité adopteraient une approche excessivement littérale et fondamentaliste des Saintes Écritures est abordée. En se référant précisément aux textes bibliques des deux Testaments, “la tradition bimillénaire de l’Église a vu dans ces actes une grave atteinte au sixième commandement du Décalogue”. Le Magistère de l’Église a ainsi constamment condamné les actes homosexuels. C’est précisément cet ancrage dans la Parole de Dieu qui annule d’emblée toute tentative de modifier l’enseignement de l’Église. La réponse donnée par le cardinal Christoph Schönborn le 23 octobre dernier concernant la possibilité pour le Pape de modifier le Catéchisme sur ce sujet est donc surprenante et irréaliste. Sans parler de la déclaration du cardinal Hollerich l’année dernière.
Mgr Kruijen conclut :
“Du point de vue des principes de la doctrine catholique, il est donc faux de dire, comme certains le font aujourd’hui, que l’enseignement de l’Eglise sur l’homosexualité pourrait et devrait être modifié à la lumière des connaissances scientifiques actuelles ou, plus banalement, des changements sociaux contemporains. Cet enseignement, en effet, ne repose pas sur le raisonnement humain, mais sur la révélation divine”.
Il est donc clair que l’acceptation d’un changement sur ce point déclencherait une dynamique dévastatrice, qui
“se traduira inévitablement par des révisions ou des pertes doctrinales de plus en plus nombreuses et étendues. Une telle dilapidation du dépôt de la foi conduirait finalement à la destruction du christianisme lui-même, au profit d’une religiosité dont les normes ne découlent plus en dernier ressort de la Révélation, mais d’opinions dominantes (mainstream) toujours changeantes en fonction du temps et du lieu”.
Un tel christianisme peut plaire, mais il y a un problème : il n’est pas capable de sauver.