Après la parution d’articles dans le Parisien et la presse polonaise mettant en cause le père Eugeniusz Plater-Syberg – personnalité reconnue en Pologne et en France – pour des abus au petit séminaire polonais de Paris dans les années 1970 à 1984, le diocèse de Sens-Auxerre a lancé un appel à témoignages sur ce prêtre en poste à Saint-Valérien dans l’Yonne entre 1984 et le milieu des années 2010, mais sans le nommer. Il y a à ce jour 14 victimes connues.
Le diocèse de Sens-Auxerre a été informé que le prêtre qui a longtemps été au service de la paroisse de Saint-Valérien et y résidait jusqu’à ces derniers jours, a commis des actes d’agression sexuelle sur des mineurs alors qu’il était au service du séminaire polonais de Paris, entre les années 1970 et 1984.
Rien de cela n’est mentionné dans le dossier qui le concerne à l’archevêché de Sens-Auxerre.
Aucun autre signalement n’a été fait à son sujet concernant des actes commis dans l’Yonne. Ceci doit cependant être vérifié.
Nous invitons les personnes qui auraient pu être victimes, dans l’Yonne ou ailleurs, depuis 1986, ou qui auraient quelque témoignage à apporter, à se manifester auprès des autorités civiles, gendarmerie ou police.
Ces personnes peuvent aussi, ensuite, se manifester auprès de la cellule accueil-écoute du diocèse à l’adresse suivante : [email protected]
Chaque acte de ce type engendre des bouleversements profonds et durables chez les personnes qui en sont les victimes. L’Eglise catholique doit, d’abord, protéger, elle doit aussi écouter, reconnaître et réparer.
Pour le diocèse de Sens-Auxerre
Pascal Wintzer, archevêque
15 septembre 2025
Abus et tortures : le calvaire des élèves du petit séminaire polonais de Paris
Le Parisien a interrogé plusieurs victimes du père Plater-Syberg, qui témoignent de violences et d’abus. Extraits :
« Les premières agressions remontent aux années 1960. « J’ai été molesté par ce prêtre en qui j’avais mis toute ma confiance de garçonnet timide, se souvient Adam. Tout se déroulait derrière un rideau, dans sa chambre-bureau. Il me donnait un verre d’eau et me déshabillait entièrement. »
« Il a pris une ceinture en cuir, m’a fouetté, jusqu’au sang » Lointain parent du prêtre, le petit Adam était contraint de l’accompagner durant les week-ends et les vacances. « Quand il venait dans ma chambre, je sentais qu’il me faisait des choses. Certaines nuits, j’arrivais à le chasser. Souvent, je constatais sur mon corps qu’il m’était arrivé quelque chose. »
Au petit séminaire, Eugène Plater utilisait une pièce surnommée « salka chorych » (chambre de malade, en polonais) où il isolait les élèves souffrants. « Il n’utilisait pas de thermomètre, mais ses doigts », témoigne une victime. « Il n’était pas qualifié, mais se portait volontaire pour ces examens pour des raisons que nous connaissons tous », dit une autre. En réalité, de la torture et des viols.
Ulf s’en souvient très bien. Il avait 10 ans. « J’avais des cicatrices sur le ventre. Il les utilisait comme prétexte pour m’examiner. Un jour, il m’a assis sur ses genoux, fesses nues vers lui. Il a pris une ceinture en cuir, m’a fouetté, jusqu’au sang. » Le garçonnet crie, en allemand : « Pourquoi ? » Le curé s’arrête, lui caresse la tête. « Puis il m’a mis à quatre pattes sur son lit pour me violer.
[…]
aujourd’hui, tous posent la même question : l’Église était-elle au courant ? Au début des années 1980, Plater est écarté des plus jeunes du séminaire. « Cela prouve que la direction savait et qu’ils essayaient de limiter la casse », estime Adam. « Plater a disparu, sans explication », se remémore Piotr. En vérité, le curé est muté dans l’Yonne.
Derrière le masque du respectable éducateur se cachait aussi un homme à l’entregent immense. Parmi ses connexions : Karol Wojtyla, un autre Polonais, devenu Jean-Paul II. Une amitié dont subsistent des photos d’une visite du Saint-Père, rue des Irlandais, tout sourire, au milieu des élèves, avec Eugène Plater.
Dans les années 1980, l’homme coordonna l’aide humanitaire à la Pologne ― alors sous loi martiale ― gérant plus de 360 comités à travers la France, qui acheminèrent nourriture et médicaments vers son pays. De quoi en faire un héros, « généreux » et « engagé », comme le décrivait il y a peu la presse régionale dans l’Yonne. Une aura qui a participé à lui forger un bouclier contre toute mise en cause. « Il avait la réputation de se sentir au-dessus des autres, et beaucoup de contacts étrangers très influents dans l’Église », se souvient Janusz Osowiecki, directeur du petit séminaire de 1982 à 1988, qui dit n’avoir « jamais su ».
En 2011 et 2025 l’abbé Plater reconnaît les faits
Confronté par ses victimes en 2011, il avoue les faits, mais affirme que rien ne s’est produit dans sa paroisse icaunaise de Saint-Valérien : « en 2011, plusieurs victimes décident de confronter le prêtre lors d’une conférence d’anciens élèves, à Sens (Yonne). Surprise : devant eux, il avoue. « Je vis avec des remords quotidiens. Les accusations portées contre moi sont justes. Je les reconnais. J’ai commis des crimes. Je reconnais ma culpabilité », peut-on l’entendre dire en polonais, dans un enregistrement que nous avons écouté. Il admet même les lourdes conséquences de ses actes : « Ces crimes ont causé beaucoup de souffrances et j’ai appris récemment que Louis (le prénom a été changé) avait mis fin à ses jours, au moins en partie de ma faute. » Dans le même souffle, il se dédouane : « Je suis à Saint-Valérien depuis vingt-cinq ans. J’ai eu un contact constant avec des enfants, avec qui je partais en excursion. Rien de tel ne s’est reproduit ! »
Le père Plater affirme avoir prévenu l’évêque d’alors, Mgr Patenôtre, mais le diocèse dément et indique ne rien avoir dans ses archives.
Début septembre 2025 il
reconnaît à nouveau, cette fois au micro d’une radio locale, avoir commis des attouchements.
Il a défendu un prêtre auteur d’abus écarté par Mgr Giraud
« Quand j’avais décidé d’écarter l’abbé Tribut (un prêtre condamné pour des agressions sexuelles en 2023), le père Plater m’avait écrit, de manière très véhémente, que je devais faire acte de miséricorde, car ce collègue avait aussi accompli de bonnes actions », se souvient Hervé Giraud. En clair : un prédateur présumé en protégeait un autre, pourtant condamné« .
Comme à son habitude – à Poitiers il se
targuait d’avoir une «
armoire » avec les casseroles de ses prêtres, dont la reconstitution à Sens-Auxerre semble en bonne voie, Mgr Wintzer dit ne pas être au courant avant que l’INIRR ne le contacte : «
Il était recommandé par les évêques de Pologne, nous n’avions pas de raison d’avoir des doutes », se souvient-il. Et d’assurer « apporter sa collaboration pleine et entière à l’Inirr dans la démarche de recueil d’informations », indiquant que « lorsque cette étape (…) sera achevée », il pourra « saisir l’instance canonique qui dira le droit et ce qui doit être fait par l’évêque ». « Si les faits sont établis », ajoute-t-il« .