Libération a publié un article sur le legs de plus de 17 millions d’euros par Blanche L, héritière et pharmacienne franco-colombienne, au diocèse de Gap en 2012, sous Mgr Di Falco – un legs miraculeux venu d’une personne qui n’a jamais fréquenté ni habité le diocèse, qui a permis à l’intéressé de rénover à grand frais un ancien couvent pour en faire le centre diocésain Pape François, près de l’église des Cordeliers à l’entrée est du centre-ville gapençais, et d’échaufauder un projet de 21 millions d’euros au sanctuaire du Laus, que son successeur Mgr Malle a fait annuler, tant il était hors de propos et trop lourd pour le diocèse. Aujourd’hui, ce legs universel est contesté par la nièce de la donatrice, et une enquête préliminaire a été confiée à la Brigade de répression de la délinquance astucieuse.
En 2003 et 2005 Blanche Laurens avait tout donné à sa nièce par deux testaments, mais dans les deux documents, elle « prévoyait un don de 150 000 euros à l’association diocésaine de Gap. Loin de signer une quelconque proximité avec cette organisation – «qu’elle ne fréquentait pas», dixit Isabelle – ce pécule était destiné à l’entretien d’une mémoire familiale, dont le caveau se trouve dans le village de Ristolas (Hautes-Alpes)« .
Sauf que Blanche L a fini par donner tout son patrimoine au diocèse de Gap : « comment la nonagénaire est-elle passée d’un legs raisonné de 150 000 euros au don de l’entièreté de son patrimoine ? Isabelle Laurens en est sûre, sa tante a été manipulée par un quarteron de professionnels du droit organisés «en équipe» : «En quelques années, ils ont totalement coupé ma tante de sa famille, et ont joué de son état de santé très dégradé», décoche-t-elle. L’enquête se concentre aujourd’hui sur trois acteurs principaux, dont les rôles semblaient répartis : un avocat, Jean Christophe Bernicat, qui s’est arrogé une place de plus en plus importante auprès de Blanche Laurens. Un secrétaire, qui se chargeait des formalités administratives, Christian Munch. Et un notaire, désormais retraité, Albert Collet« . Le premier conteste vigoureusement tout ce qui lui est reproché, via son avocat.
Un testament au diocèse de Gap donné dans des conditions troubles et un raisonnement altéré ?
Selon sa nièce, Blanche L a été progressivement isolée par les trois hommes : « elle va constater une présence assidue d’au moins deux des trois hommes dans le quotidien de Blanche. «Bernicat passait très souvent chez elle, et lorsqu’il était là, la porte était fermée de l’intérieur. Lorsque je sonnais, on ne m’ouvrait pas», assure Isabelle Laurens« . Puis sa santé se dégrade. En 2010, le diagnostic d’une »« démence avec syndrome frontal» est posé. « Parmi les premiers effets constatés, ses proches notent son agressivité, l’incohérence de certaines actions et pensées, la négligence de son hygiène et une attitude proche du syndrome de Diogène, forme extrême d’accumulation compulsive« . En 2012, « les médecins découvrent que Blanche Laurens est sous «traitement habituel» d’Atarax et de Rohypnol, soit la combinaison d’un anxiolytique et d’un somnifère, cocktail très risqué chez les personnes âgées ».
Au printemps 2012, son frère adresse une demande au juge des tutelles et envoie un expert psychiatre examiner sa soeur : « le 24 avril, Jean-Marcellin Laurens dépêche un expert psychiatre pour qu’il examine sa sœur, et joigne son certificat à la demande de mise sous tutelle. Le constat se révèle alarmant : Blanche Laurens est «une dame en bien petite forme», note-t-il, «maigre, petite et frêle, avec le bras gauche en écharpe […], la tête écroulée à droite». Il ajoute : elle ne se rend pas compte «de la contradiction de ses attitudes […]. Ses explications sont peu claires et peu rassurantes». Enfin, il confirme l’existence «d’une dégénérescence cérébrale […]. Mme Laurens peut encore donner un avis sur des choix, mais elle peut aussi léser ses intérêts par erreur ou influence. Une mesure de protection est donc nécessaire.»
C’est pourtant dans ces conditions que Blanche L donne tout au diocèse de Gap : « le 7 juin 2012, Blanche Laurens va «dicter» son ultime testament à l’office notarial d’Albert Collet. Elle va donc y désigner l’association diocésaine de Gap comme légataire universelle. Celle-ci devra alors léguer à son tour la moitié du patrimoine à son homologue de Paris. «Ma tante avait alors une élocution laborieuse, heurtée, avec ses pics d’agressivité, il me paraît impossible qu’elle ait pu guider la rédaction d’un tel acte», estime Isabelle Laurens. En l’état, la jurisprudence est d’ailleurs claire : le testament doit être «une énonciation verbale et spontanée» ». Elle est rappelée à Dieu le 26 janvier 2013.
La dérive des dépenses sous Mgr Di Falco
Ce legs universel, inespéré, constitué d’immeubles – dont deux ont été rapidement vendus par le diocèse pour financer la rénovation du centre diocésain – et de fonds, donne des ailes à Mgr Di Falco. Comme le rappelle Libération, « Le 8 février 2012, soit quatre mois avant la date de rédaction du dernier testament de Blanche Laurens, une étrange société civile immobilière – la SCI de Gap et d’Embrun –, au capital social de 1000 euros, est immatriculée au tribunal de commerce des Hautes-Alpes. Or, cette structure est détenue à 98 % par l’association diocésaine de Gap présidée par Jean Michel Di Falco ». Cette SCI est dotée de 18 millions d’euros en 2015, une fois le transfert des fonds effectué. En juin 2012, Mgr Di Falco annonce en grande pompe l’architecte lauréat qui doit ériger une nouvelle basilique tout en bois au Laus, pour 21 millions d’euros, par l’architecte Philippe Madec. Il prévoit encore que cette basilique sera son luxueux tombeau – mais se voit refuser en 2016 d’y être inhumé.
Le 23 septembre 2019, dans un discours aujourd’hui introuvable en ligne, Mgr Di Falco tresse les louanges de la donatrice : « C’est grâce à un legs de sa part que tous ces travaux ont été réalisés,sansimpactsur notre budget de fonctionnement. Cette personne n’était pas du diocèse, elle n’a même jamais habité dansle département. A l’origine, elle désirait donner tousses biens au diocèse de Paris. Mais c’est en prenant conscience de la pauvreté des diocèses ruraux et en découvrant l’activité du diocèse de Gap et d’Embrun qu’elle a finalement décidé d’en accorder une partie à notre diocèse.» Mais sa nièce affirme que Blanche L. n’a jamais eu de telles idées.
Cependant à l’arrivée de Mgr Malle, suite à un audit financier qui révèle le caractère dépensier de la gestion de Mgr Di Falco et des factures à payer pour 20 millions d’euros, le grand projet du Laus est abandonné et les travaux du centre diocésain arrêtés en catastrophe – en 2021, une chapelle n’avait pas été rénovée sur les lieux, et l’éclairage du parc n’était pas finalisé.
Le diocèse de Gap entame un long et poussif redressement de ses finances en 2018, vend la résidence de l’évêque en ville – elle aussi rénovée à grands frais par Mgr Di Falco, mais sa situation reste, plusieurs années plus tard, fragile. En 2020 le diocèse a encore 8 millions d’euros de dettes, dont 3.8 liées à la SCI de Gap et d’Embrun. Il annonce en 2023 « entamer » son « désendettement (2.5 millions d’euros) » et continuer à réduire sa masse salariale.
Mgr Di Falco et les diocèses de Gap et Paris contestent
« Jointes également, les associations diocésaines de Gap et Paris «contestent entièrement les accusations portées contre elles», déclarent leurs conseils Clémence Bertin-Aynes et Olivier Morice, arguant de la probité du testament de juin 2012. Sur leurs sites internet, on retrouve néanmoins trace de deux protagonistes de l’intrigue, et non des moindres : Albert Collet et Jean-Christophe Bernicat. Le premier y est présenté comme «conseiller juridique bénévole» de l’antenne parisienne, où il est chargé «de l’étude des dossiers de succession.» Le second a, lui, assisté les deux associations comme avocat. Mais, jure-t-il, «seulement à compter de 2013, postérieurement au décès de Blanche Laurens».
Mgr Di Falco a réagi par communiqué sur son Linked In :
