Depuis la fin de l’année 2024, le diocèse d’Annecy en Savoie reçoit des témoignages d’anciens élèves d’Abondance – plusieurs dizaines, dont 8 depuis la parution d’un article avec les témoignages de victimes dans la presse locale – qui ont subi des abus et des violences à l’internat de cet établissement au pied des pistes de ski, principalement de 1960 à 1985. La plupart des témoignages mettent en cause l’abbé Colineau, décédé, maître de l’internat de 1960 à 1985, pour abus et violences sur les élèves.
Les anciens élèves victimes dénoncent un « huis clos bien gardé » propice aux pires abus et brimades, qui échappait d’ailleurs au contrôle du diocèse d’Annecy puisqu’il s’agissait alors d’un établissement dépendant du diocèse de Nanterre, qui recouvre le territoire des Hauts-de-Seine. Comme l’explique un ancien élève sur le groupe Facebook des anciens, l’établissement avait en effet été fondé en lien avec Sainte-Croix de Neuilly, « un collège, un institut privé catholique, dirigé par […] Jean de Clarens , abbé, ancien préfet de Sainte Croix de Neuilly, suite aux horreurs de la guerre , dont l’intention était à vocation d’aérium pour élèves atteint d’affection pulmonaires« .
En effet en 1947 l’abbé Jean de Clarens, préfet des secondes à Sainte Croix de Neuilly, achète 8 millions de francs l’ancien hôtel Edelweiss à Abondance, et ouvre le collège en octobre 1948. Une grande partie des élèves historiques viennent des environs de Neuilly et se retrouvent donc en internat à des centaines de kilomètres de chez eux.
France 3 Rhône Alpes a retracé le parcours de l’abbé Colineau : « On y apprend que Michel Colineau a été ordonné prêtre à Abondance en 1960 et qu’il a assuré dès l’automne de cette année, la rentrée scolaire à Sainte-Croix-des-Neiges. On y apprend également qu’au cours de sa vie, il a adopté neuf enfants. Après 25 ans à Abondance, il est nommé curé des paroisses des Gets et de La Côte-d’Arbroz en 1985« . Il y est décédé en 1998 à 64 ans.
La télé locale a aussi contacté le maire des Gets de l’époque, qui rendait hommage au prêtre décédé sur le site de de la mairie; il a été son ancien élève et n’a rien remarqué d’anormal : « Denis Bouchet, maire des Gets entre 1989 et 2001 se dit surpris et explique n’avoir jamais été alerté quant aux agissements de Michel Colineau dénoncés par les anciens élèves de Sainte-Croix-des-Neiges : « Ça m’étonne complètement. Je n’ai entendu aucun bruit à ce niveau et il gérait pas mal de gamins à l’époque pour le catéchisme. Je n’ai eu aucune plainte ».
L’ancien maire décrit un homme ayant « laissé un bon souvenir » aux Gets : « Il venait aux sorties d’anciens, il allait aux manifestations du musée, il avait béni l’orgue de l’église… Il s’est battu pour des projets locaux ». En 1960, Denis Bouchet fait par ailleurs sa première rentrée à Sainte-Croix-des-Neiges, en même temps que l’abbé Colineau : « Il était tout jeune prêtre. Dans mes souvenirs, tout allait bien« .
Comme le relève un ancien élève, « l’éventail des punitions appliquées par [l’abbé] Colineau était visiblement concocté pour isoler, fragiliser, vulnérabiliser. La quarantaine, la nuit au piquet dans l’escalier, la journée au lit sans repas, les couverts confisqués au réfectoire (manger avec les doigts, ça rabaisse bien). Le sommet, c’était la lesssive, avec la condamnation suprême « si vos camarades vous cassent la gueule à la prochaine promenade, je ne pourrai pas les blâmer », le permis de tabasser délivré aux apprentis caïds« .
François-Gérard Choppin de Janvry, victime d’abus de l’abbé Colineau dans les années 1960, a témoigné auprès de la CIASE en 2021 puis en juin 2023 auprès de la cellule d’écoute du diocèse de Tours, après que celle du diocèse d’Annecy ait « refusé d’ouvrir le dossier car le prêtre était mort depuis longtemps » (!) En novembre il a été reçu par Mgr Jordy, évêque de Tours – mais toujours pas par celui d’Annecy, qui est aujourd’hui Mgr le Saux.
« J’avais mis mon témoignage rédigé avec la cellule d’écoute du diocèse de Tours sur Facebook avec mon nom et mes coordonnées« , explique François Choppin de Janvry. « Les témoignages d’anciens élèves ont commencé à affluer, j’en ai collecté 30 à ce jour, et quarante élèves en tout se sont fait connaître en tant que victimes auprès de l’établissement ou du diocèse d’Annecy« .
Mgr Dessoulier, supérieur de Sainte Croix de Neuilly, dont dépend alors le collège Sainte Croix des Neiges, aurait « été mis au courant des agissements de l’abbé Colineau par un élève surveillant de terminale qui l’a pris sur le fait. Il lui en a parlé à deux reprises, Mgr Dessoulier n’a rien fait ».
Au moins huit autres auteurs d’abus et de violences
D’autres témoignages sur le groupe des anciens mettent en cause un surveillant décédé en 2016, D.H, pour quatorze victimes d’abus et de violences, un autre surveillant laïc de la fin des années 1980, A.B, pour violences et « relations avec des élèves mineures« , M.F, agent d’entretien , pour une agression sexuelle sur un élève, et un professeur d’histoire et géographie laïc – notamment pour violences. Un autre religieux, l’abbé Rinetti est mis en cause pour avoir tabassé un élève de cinquièmes « au sol, à grands coups de pied« , en 1976. L’abbé Jean de Clarens, premier directeur décédé en 1967, est lui aussi mis en cause pour deux tabassages d’élèves particulièrement brutaux, dans les années 1960, dont celui d’un « élève tellement frappé qu’il ne pouvait plus porter de lunettes« ; un autre chef d’établissement, B.B, est cité pour violences. Il y a à ce jour huit agresseurs recensés dont quatre auteurs d’abus, deux seraient encore en vie. Les témoignages vont du début des années 1960 à 2009.
L’enseignement diocésain fait un signalement au procureur, une enquête ouverte
Sur la base des 14 premiers témoignages de victimes, « selon le procureur de République de Thonon-les-Bains, Xavier Goux-Thiercelin, une enquête judiciaire a été ouverte suite au signalement transmis au parquet par le directeur diocésain de l’enseignement catholique de Haute-Savoie le 12 mars 2025. L’enquête a été confiée à la Brigade de recherches de Thonon-les-Bains cosaisie avec la Section de recherches de Chambéry ». Le signalement fait à Tours par une autre victime, il y a deux ans, et l’enquête qui s’est ensuivie, sera joint au dossier.
L’enseignement catholique du diocèse d’Annecy a communiqué :
Suite aux révélations de violences physiques et agressions sexuelles au collège-lycée Ste Croix des Neiges à Abondance
dans les années 1960-1990
Des anciens élèves du collège-lycée Ste Croix des Neiges à Abondance signalent avoir fait l’objet de violences physiques et agressions sexuelles entre 1960 et 1990, alors qu’ils étaient présents dans cet établissement placé à ce moment-là sous la responsabilité de l’établissement Ste Croix de Neuilly (diocèse de Nanterre).
Un signalement de ces situations a été effectué par le directeur diocésain de l’Enseignement catholique de Haute-Savoie au procureur de la République de Thonon les Bains.
Nous condamnons fermement ces violences du passé qui nous révoltent. Ces actes sont une trahison inacceptable de notre mission éducative. Nous exprimons notre soutien à toutes les victimes. Nous savons l’impact profond et durable de leurs traumatismes mais il est important que la parole se libère, que toute la lumière soit faite et que d’autres potentielles victimes osent parler.
Nous réaffirmons notre engagement total dans la lutte contre les abus. La protection des mineurs est une priorité absolue dans nos établissements. Un programme est déployé depuis 2018 pour prévenir et mettre en place des mesures de protection adaptées et agir dans les établissements : des dispositifs ont été mis en place pour comprendre les enjeux de la maltraitance, prévenir en déployant des mesures de protection adaptées et agir face à une situation en établissement. Nous poursuivons avec détermination la formation des adultes à la vigilance, à la prévention des abus et à la lutte contre toute forme de violence.
La DDEC rappelle les coordonnées disponibles :
- CAAVAS (Cellule d’Accueil et d’Accompagnement des Victimes d’Abus Sexuels) [email protected] – 06.47.16.34.66
- Direction de l’Enseignement catholique [email protected] – 04.50.33.09.25
Le 13 mars dernier la direction de l’établissement a exprimé par courrier sa solidarité avec les victimes et invité les anciens élèves qui auraient été victimes d’abus et de violences à témoigner :