Les évêques de Suisse ont dégainé une mesure novatrice pour lutter contre les abus, notamment spirituels – soumettre tous les agents pastoraux et aumôniers à un test psychologique renforcé, qu’ils ont appelé « assessment« . Reste à savoir qui va le pratiquer, sur quels critères, et s’il faut déléguer à des laïcs, fussent-ils psychologues, un contrôle et un choix dont visiblement l’Eglise n’a pas ou plus le courage, voire les compétences…
« Cet assessment obligatoire sera probablement la plus délicate parmi les mesures présentées le 29 janvier 2025 par l’Église catholique en Suisse. Le risque de difficultés et de contestations est grand. La procédure d’assessment psychologique (évaluation de compétences) a été mise au point en collaboration avec le professeur Jérôme Endrass, chef de recherche et développement à l’Office pour l’exécution judiciaire et la réinsertion du canton de Zurich, et avec son équipe. Il servira de base pour une procédure de sélection rigoureuse et uniforme à l’échelon national.
À l’avenir, les candidats au ministère et les futurs agents pastoraux devront tous passer cette évaluation. Elle est composée d’un examen psychologique, d’un entretien axé sur les compétences et d’un autre examen psychologique approfondi. Ces trois éléments permettront de s’assurer que la personne qui souhaite exercer comme agent pastoral dispose des compétences de base nécessaires. La Conférence des évêques en a approuvé l’introduction et la mise en œuvre à l’échelon national dès le milieu de l’année 2025 »
Dans le document de 2023 sur la mise en oeuvres des mesures de prévention des abus dans l’Eglise catholique suisse, une pleine page présente cet assessment, encore en cours de définition :
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Tribunal pénal canonique national : faire mieux que la France
Comme nous l’avions déjà écrit, les évêques suisses ont décidé de s’inspirer de la France en créant un tribunal pénal canonique national : « à l’automne 2024, les services compétents du Vatican à Rome ont approuvé la création d’un tribunal pénal et disciplinaire canonique national. Un groupe de travail, placé sous la direction de Mgr Joseph Bonnemain, est en train d’établir les bases juridiques correspondantes. Ce groupe de travail comprend, outre des experts en droit canonique internes à l’Église, des spécialistes du droit civil.
Le but du tribunal est de réduire le risque de partialité et de garantir l’application correcte et uniforme à l’échelon national des lignes directrices et normes pénales propres à l’Église pour la gestion des cas d’abus. De manière analogue à la procédure pénale publique, les droits de protection, d’information et de procédure des personnes concernées seront définis et garantis dans la procédure pénale canonique. Dans tous les cas, les lois pénales civiles suisses priment et les autorités de poursuite pénale interviendront. Sur le plan juridique, les questions sont complexes. Il s’agit entre autres des garanties de procédure et des droits des victimes. Sur le plan pratique, il faudra déterminer les critères d’engagement des juges et le financement du tribunal« .
Néanmoins en mai dernier certaines limites du TCPN français étaient pointées par les Suisses : « les conflits de loyauté connus, qui devraient être résolus par un détachement de la juridiction ecclésiastique de chaque diocèse à un niveau national, persistent au sein du tribunal français. Le problème structurel central de la juridiction interne de l’Eglise a ainsi été déplacé, mais pas résolu, estiment les observateurs. Autre point non résolu: les victimes n’ont pas la possibilité de participer à la procédure, car la justice ecclésiale ne prévoit pas le statut de partie civile. Elles sont tributaires du fait que leur dossier soit correctement géré et pris en charge par les offices et les avocats de l’Eglise compétents« .
Le canoniste Nicolas Betticher proposait des solutions pour éviter ces écueils : « la nomination des juges et des avocats devrait également avoir lieu à Rome, sur la base d’une liste de candidats établie par la CES, la Conférence centrale (RKZ) et l’Union des supérieurs religieux (KOVOS). L’indépendance serait ainsi garantie. En outre, il faudrait s’assurer qu’il y ait une répartition des tâches analogue à celle de la justice pénale séculière. Autrement dit, que les juges, le ministère public chargé de l’enquête et la défense soient séparés« .
D’autres limites du Tribunal canonique français sont apparues avec le temps mais ne semblent pas avoir été retenues en Suisse, notamment le manque de juges et surtout de financement, les diocèses semblant assez réticents à détacher les uns comme l’autre. De même, certains diocèses font plus ou moins ouvertement obstacle à l’ouverture des enquêtes canoniques préalable, ce qui suscite une frustration légitime pour les victimes.
Une étude historique sur les abus rendue en 2027
Enfin l’Eglise suisse aura son équivalent de la CIASE – en plus universitaire et sur la base des documents d’archives. Mais il faudra encore attendre un peu : « depuis janvier 2024, l’étude historique de trois ans, mandatée par l’Église à l’Université de Zurich et financée à hauteur de 1,5 million de francs, se poursuit. Les résultats seront présentés en 2027. En 2023 déjà, les évêchés, les Églises cantonales, ainsi que les communautés religieuses s’étaient engagés à ne plus détruire de documents en lien avec des cas d’abus« . En revanche l’équivalent suisse de la CORREF, la KOVOS, a implosé après que les communautés de religieuses aient refusé de payer une étude historique sur les abus semblable, arguant du fait qu’elles ont été « plutôt victimes que les coupables ».
Les protestants suisses, eux, ont refusé de confier une étude similaire à l’université de Lucerne pour un coût semblable, en critiquant le coût justement – peu de chose pour des églises chrétiennes plutôt riches, et le fait qu’elle soit « trop ouverte à la société« . Peut-être ne voulaient-t-ils pas trouver des milliers de victimes et d’abus comme en Allemagne…