Alors que les propos du responsable du dicastère de la communication du Vatican, Paolo Ruffini, déposer les oeuvres de l’ex-jésuite slovène Marko Rupnik – accusé de multiples agressions sexuelles notamment sur des religieuses d’une communauté qu’il avait fondée, incardiné désormais dans un diocèse slovène et très proche du Pape François – ne serait “pas une réponse chrétienne“, Mgr Micas, pressé de faire déposer les mosaïques de Rupnik sur le sanctuaire de Lourdes, laisse entendre que s’il est personnellement favorable au démontage des oeuvres, mais faute de consensus il n’en fera rien et qu’il se borne à ne plus les mettre en lumière. Un communiqué qui suscite de vives critiques de certaines victimes de Rupnik…d’autant que malgré au moins 15 victimes connues et trois enquêtes canoniques, la justice ecclésiastique traîne vraiment en longueur…
Ce communiqué suscite aussi une très forte incompréhension des fidèles du diocèse de Tarbes-Lourdes, dont certains nous ont écrit, ainsi que d’autres victimes d’abus sexuels du clergé, dans le diocèse et ailleurs. “Mgr Micas a-t-il cédé devant les importantes protections de Marko Rupnik pour espérer faire carrière ailleurs que dans le diocèse de Tarbes Lourdes ?“, se demande une victime d’abus sexuels dans un diocèse voisin, en constatant que “pour l’Eglise, la parole et le vécu des victimes continue à n’avoir que peu d’importance, malgré les promesses de la CEF en 2021 et d’autres évêques, ailleurs dans le monde, depuis“.
Mgr Micas communique, ce 2 juillet : “A la suite de la révélation des nombreuses agressions pour lesquelles Marco Rupnik a été mis en cause, la question s’est posée du devenir des mosaïques qu’il a créés pour le Sanctuaire de Lourdes et qui sont apposées à l’entrée de la basilique Notre-Dame du Rosaire. De nombreuses personnes victimes de violences sexuelles et d’abus de la part de clercs ont en effet manifesté leur souffrance et la violence que constituait désormais pour elles cette exposition.
Entre mai et octobre 2023, avec le Recteur du sanctuaire, nous avons constitué une commission pour discerner la réponse à apporter à cette question difficile. Parmi les membres de cette commission, se trouvaient des personnes victimes (françaises et de nationalité étrangère), mais aussi des experts spécialistes de l’art sacré, juristes, personnes engagées dans la prévention et la lutte contre les abus, chapelains de Lourdes. La commission a travaillé depuis novembre 2023 jusqu’à maintenant. Dans le même temps, j’ai pu également écouter et lire les avis de très nombreuses personnes qui ont voulu d’elles-mêmes m’envoyer leur contribution : cardinaux et évêques, artistes, juristes, personnes victimes, pèlerins, etc…
Aujourd’hui, je constate que les avis sont très partagés et souvent clivés. Faut-il laisser ces mosaïques où elles sont ? Faut-il les détruire ? Faut-il les retirer ou les exposer ailleurs ? Aucune proposition ne fait consensus. Les prises de position sont vives et passionnées.
Pour ma part, mon opinion personnelle est désormais claire : cette situation n’a rien à voir avec d’autres œuvres dont l’auteur et les victimes sont décédés, parfois depuis plusieurs siècles. Ici, les victimes sont vivantes et l’auteur l’est aussi. Par ailleurs, j’ai compris au fil des mois qu’il n’était pas de ma responsabilité de raisonner à partir du statut d’une œuvre d’art, de sa « moralité » qu’il faudrait distinguer de celle de son auteur. Mon rôle est de veiller à ce que le Sanctuaire accueille tout le monde, et tout particulièrement ceux qui souffrent ; parmi eux les personnes victimes d’abus et d’agressions sexuelles, enfants et adultes. A Lourdes, les personnes éprouvées et blessées qui ont besoin de consolation et de réparation doivent garder la première place. C’est la grâce propre de ce Sanctuaire : rien ne doit les empêcher de répondre au message de Notre-Dame invitant à y venir en pèlerinage. Parce que cela est devenu impossible à beaucoup, mon avis personnel est qu’il serait préférable de déposer ces mosaïques.
Cette option ne rassemble pas largement. Elle rencontre même une véritable opposition chez certains : le sujet soulève les passions. Aujourd’hui, la meilleure décision à prendre n’est pas encore mûre, et ma conviction devenue décision, qui ne serait pas assez comprise, rajouterait encore plus de division et de violence.
Je continuerai donc à travailler plus encore avec des personnes victimes, pour discerner ce qu’il conviendra de faire, ici à Lourdes, pour honorer l’exigence absolue de consolation et de réparation. Dès maintenant, et de façon concrète, j’ai décidé que ces mosaïques ne seraient plus mises en valeur comme elles l’étaient jusqu’à présent par les jeux de lumière lors de la procession mariale qui rassemble les pèlerins chaque soir. C’est un premier pas. Nous discernerons, avec les personnes de bonne volonté qui accepteront de nous aider, les pas suivants.
Il me revient comme « Gardien de la Grotte », et au-delà de la question précise du devenir de ces mosaïques, d’avancer concrètement, encore et toujours dans l’accueil des personnes victimes et de toutes les personnes blessées, fragiles et pauvres à Lourdes. Tel sera mon travail pour les mois qui viennent, avec celles et ceux qui accepteront de continuer à m’y aider. Je confie cette situation à la miséricorde de Dieu et à l’intercession de Notre-Dame de Lourdes et de sainte Bernadette.
Mgr Jean-Marc Micas
Ce communiqué a suscité une réaction de plusieurs victimes de Marko Rupnik, via leur avocate :
Dans les colonnes de la Croix, cinq des victimes, une italienne, une française, une slovène et deux autres femmes qui souhaitent rester anonymes, se disent prêtes à rencontrer Mgr Micas. Ce dernier précise aussi que “« pour enlever [les mosaïques de Rupnik], il n’y a, en réalité, pas besoin de les détruire ». « Les mosaïques ne sont pas collées sur la basilique Notre-Dame-du-Rosaire (…) Nous pourrons donc les décrocher et, si on le souhaite, les exposer ailleurs », plaide-t-il.
La triste ironie de la Providence est que c’est devant ces mosaïques, oeuvre d’un abuseur multirécidiviste, que les évêques français ont fait amende honorable pour les abus sexuels du clergé, lors de l’assemblée plénière de la CEF de l’automne 2021 après le rapport de la CIASE. Quel triste symbole !
Plus tôt, une des victimes, la mosaïste Soeur Samuelle, rejointe par quatre autres, a écrit à tous les évêques et responsables de sanctuaires dans le monde qui ont des oeuvres de Marko Rupnik pour demander leur retrait : comme explique l’auteur de cette lettre dans La Vie, “la lettre de notre avocate, maître Laura Sgrò, a été envoyée aux responsables d’Église du monde entier, évêques et congrégations religieuses, qui possèdent ces œuvres, et demande que celles-ci soient déplacées. C’est-à-dire qu’elles soient soustraites à la vue des fidèles, par égard pour les victimes et par égard également pour les chrétiens qui viennent prier dans ces lieux.
Il n’est pas question de destruction, ni de se prononcer sur la qualité de ces mosaïques. Il ne s’agit pas non plus de se prononcer ou d’anticiper sur le verdict du procès canonique en cours. Ni même de se positionner directement dans les débats actuels concernant la séparation des artistes de leurs œuvres. Ce que nous demandons, c’est que ces œuvres soient déplacées, éventuellement dans d’autres lieux, mais pas dans des lieux de prière“.
Par ailleurs le cardinal O’Malley, président de la commission pontificale pour la protection des mineurs et américain, a écrit le 26 juin aux responsables de la Curie pour leur demander de n’utiliser qu’avec prudence les oeuvres de Marko Rupnik, par égard pour les victimes :
“Nous devons éviter d’envoyer un message selon lequel le Saint-Siège serait indifférent à la détresse psychologique dont souffrent tant de personnes. Ces derniers mois, poursuit le communiqué, des victimes et des survivants d’abus de pouvoir, d’abus spirituels et d’abus sexuels ont contacté la commission pour exprimer leur frustration et leur inquiétude croissantes face à l’utilisation continue des œuvres d’art du Père Marko Rupnik par plusieurs bureaux du Vatican, dont le dicastère pour la Communication”. Pour le cardinal, la Curie romaine devrait faire preuve d’une «prudence pastorale», en cessant la diffusion de ces œuvres. Il rappelle en outre qu’une enquête est en cours au dicastère pour la Doctrine de la foi concernant les allégations d’abus concernant le Père Rupnik sur plusieurs femmes, et que ce dernier a été exclu de la Compagnie de Jésus en 2023.
Très bon article. Effectivement j’ai réagi après ce communiqué de Mgr Micas. Il ne se mouille pas ! et c’est un scandale que ces mosaïques ne soient pas mises ailleurs que dans ce lieu et j’ai eu la même réaction de dire que quand on pense que c’est là que les Evêques ont prié pour les victimes d’abus etc..
J’ai ensuite envoyé un message au diocèse de Tarbes-Lourdes pour dire mon désaccord et que c’est un scandale de tergiverser encore. J’ai dit également que malheureusement on irait prier la Sainte Vierge dans d’autres lieux et ce n’est pas ce qui manque en France et en Europe.
Une autre voie consensuelle pourrait par exemple être utilisée. Ne pas déposer les mosaïques mais les recouvrir d’une peinture spécifique blanche – bleutée en adéquation avec le voile de la TSVM, sans omettre de déposer la signature de l’artiste
Je suis juste une chrétienne pratiquante et ne suis pas concernée par ces problèmes d’abus sexuel. Pourtant, j’ai été très gênée lorsque nous avons visité le sanctuaire du Padre Pio, en descendant vers son tombeau, de voir ces immenses mosaïques en repensant à toutes les victimes, et à ce qu’elles peuvent ressentir en voyant ces mosaïques Encore présentes dans tant de sanctuaires religieux, du coup je n’ai pas eu envie de les prendre en photo, moi qui aime tant les mosaïques ! De toute façon, j’ai toujours trouvé les grands yeux de ces visages absolument vides, sans âme et sans émotions. Après coup, cela ne m’étonne guère finalement….
Laissons le Pape François à ses ” jeux de cirque ” au Vatican .