Ce devait être l’un des chantiers du pontificat de François : la reconfiguration de l’épiscopat américain selon une ligne plus « accommodante », plus pastorale et moins marquée par l’insistance sur des sujets sensibles (la communion des responsables publics, la priorité donnée eu combat pour la vie…). Mais les observateurs constatent depuis 2016 que les tentatives n’ont pas abouti malgré les créations de cardinaux, dont certains sont à la tête de sièges importants: Mgr Blaise Cupich (Chicago) et Mgr James Tobin (Newark) en 2016, Mgr Wilton Gregory (sur le siège de Washington depuis 2019) en 2020, McElroy (San Diego) en 2022, puis enfin Mgr Christophe Pierre, le nonce apostolique aux États-Unis, en 2023.
Si on pouvait attendre des nominations significatives à partir des créations cardinalices significatives de 2016 – et même du voyage du pape François en 2015 aux États-Unis dont certains pensèrent qu’il devait tenir lieu de “lit de justice”-, il n’en a rien été. Non seulement les nominations classiques continuent, comme on l’a vu récemment dans le diocèse de La Crosse, mais l’épiscopat américain continue à s’engager sur les sujets qui lui tiennent à cœur comme le « renouveau eucharistique ». Le catholicisme américain reste “identitaire” et ses représentants les plus médiatiques ne situent pas sur une ligne libérale, à l’instar de Mgr Barron, très présent sur les réseaux sociaux. La preuve d’un substrat “wojtylo-ratzingérien” difficile à éradiquer.
On compte donc peu d’évêques acquis au pape actuel. Certains les comptent même sur les doigts d’une main. Outre Mgr Chupich ou Mgr Tobin, il y a Mgr John Stowe (Lexington), un franciscain. Pour donner un ordre de grandeur, la moitié des évêques américains ont été renouvelés depuis l’accession de François au souverain pontificat en 2013. Il se dit même qu’il devient difficile de trouver des candidats chez les prêtres qui, en même temps, seraient progressistes… L’éviction de Mgr Strickland, évêque de Tyler, qui aurait pu constituer un contre-exemple dans ce redressement pontifical fait surtout figure d’exception.
L’aveu de Robert Mickens
Ce constat d’un échec est aussi fait par les partisans du pape actuel. Même Robert Mickens le reconnaît, lui qui regrette que l’USCCB (la conférence épiscopale des États-Unis d’Amérique) n’ait pas rendu hommage à Mgr Thomas Gumbleton, décédé il y a peu de temps et figure du progressisme épiscopal catholique. Est-ce le signe que l’on a bien tourné la page et que le pontificat actuel n’est pas un retour à certaines polarisations des années 1980 (l’épiscopat américain avait, par exemple, condamné la dissuasion nucléaire) ? Le combat pour la vie n’a pas été dilué dans d’autres combats, au grand dam de certains promoteurs, et les évêques américains restent extrêmement fermes sur l’avortement, comme on l’a encore constaté l’année dernière. La décision de la Cour suprême de juin 2022 qui privait le recours à l’avortement de toute base constitutionnelle – une décision dans laquelle les progrès de la recherche embryologique ont eu une influence – a été saluée (y compris par les jésuites américains). Elle couronne tout un combat pour la vie entamé depuis plusieurs décennies par le mouvement “pro life”.
Une ligne classique à la tête de l’USCCB et dans ses instances
Les présidents de la conférence épiscopale américaine qui se succèdent depuis 2013 sont en effet des figures « classiques »: le cardinal DiNardo a été élu à la tête de l’USCCB en 2016, puis il a été remplacé en 2019 par son vice-président, Mgr José Gomez, archevêque de Los Angeles, auquel succéda Mgr Timothy Broglio en 2022. Comme si cet échec de personnalités progressistes à la tête de l’USCCB était tendancielle et jamais démentie. On a déjà un précédent relativement éloigné avec la défaite de Mgr Kicanas en 2010, pourtant encensé des deux côtés de l’Atlantique… Il est vrai que c’était sous Benoît XVI. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’effet “François” et c’est bien ce qui surprend.
Aucun « bergoglien » n’a par ailleurs pu être élu à la tête d’un comité épiscopal (il y en plusieurs : pour la vie, etc.) : le cardinal Cupich fut battu en 2017, puis en 2022, le cardinal Tobin fut à son tour battu par Mgr Coakley (l’archevêque d’Oklahoma-City a) au poste de secrétaire de la conférence épiscopale américaine. En 2023, aucun cardinal n’ayant obtenu de François le chapeau rouge ne s’est lancé pour être à la tête d’un comité épiscopal.
Il ne reste plus beaucoup de temps
La situation est telle que même le cardinal Wilton Gregory qualifie Joe Biden de « catholique de cafétéria ». De l’aveu d’un prélat, que l’on dit lié au pape actuel, c’est significatif. Comme s’il existait dans l’Église américaine – et aussi universelle – un « état profond » empêchant ou contenant les “folies”. Les “têtes de pont” du pape sont par ailleurs âgées: le cardinal Cupich a déjà 75 ans et le cardinal Gregory 76. Le nonce apostolique est, quant à lui, né en 1946. Il ne reste donc pas beaucoup de temps, et ce qui n’a pu être fait au moment où la situation était relativement favorable au pape François (entre 2016 et 2018, soit avant les révélations de Mgr Vigano) pourra difficilement être rattrapé dans les mois à venir… Rappelons qu’il reste encore 8 diocèses à pourvoir, dont une éparchie de rite oriental. 15 autres diocèses, dont 8 archidiocèses, ont à leur tête des prélats qui sont âgés de 75 ans ou plus: selon le canon 401 du Code de droit canonique, “l’évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié de présenter la renonciation à son office au Pontife Suprême qui y pourvoira après examen de toutes les circonstances”. Mais rien n’empêche que les évêques ayant dépassé l’âge de 75 ans puissent continuer à exercer leur ministère faute de décision du pape. Est-ce parce que ce dernier sait qu’il ne peut plus faire grand chose ? Alors autant ne pas trancher.
Il est vrai que l’épiscopat américain nous fait rêver mais le nombre de messes traditionnelles baisse significativement dans ce pays. Dommage.
Il serait peut-être temps que l’épiscopat étatsunien, sous la pression des évêques traditionnels avec Mgr Strickland à leur tête, “reprenne en main” le gouvernement du Saint-Siège sans attendre que le pape François 1er “passe la main” à son successeur.
Cela pourrait être le premier signal d’une reprise en main du gouvernement de l’Eglise universelle. On n’attend que cela après avoir tant d’années de “post-conciliarisme”, synonyme d’hiver spirituel sans précédent.
Le néo-catholicisme étant placé depuis ses origines sous le quadruple signe du dialogue, interconfessionnel et interreligieux, de l’inclusion, hier uniquement pastorale, et demain probablement synodale, du renouveau, adogmatique et liturgique, et de l’unité, ad extra mais aussi ad intra, on voit mal, à la lecture de cet article, en quoi ce courant de pensée parvient à tenir ses promesses, dans le domaine de l’unité au sein de l’épiscopat mondial.
De toute façon, si jamais un minimum d’instinct de survie commence ou continue davantage à se manifester, depuis l’intérieur de l’Eglise, notamment en Amérique du Nord et en Afrique, on assistera bientôt au tournage du film suivant : “l’esprit du Concile (l’irénisme utopiste), ou comment s’en débarrasser”.
S’il est bergoglien rigide et sectaire, car les bergogliens, EUX, ont apparemment le droit de l’être, le successeur de François pourra rendre le tournage de ce film un peu plus compliqué, mais pourra-t-il s’y opposer, d’une manière frontale et totale ? Il est permis d’en douter.