Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique, écrit :
Il en est de la présomption comme d’un boomerang, le réel finit toujours par vous revenir à la figure. Le concile Vatican II annonçait le « printemps de l’Eglise ». Soixante années plus tard nous voilà au cœur de l’hiver. Comme un mantra, le pape et les évêques continuent cependant de répéter : le concile, la fidélité au concile, etc. C’est « conformément aux décrets du Concile Vatican II » que le pape François, par le motu proprio Traditionis custodes, a décrété que « les livres liturgiques promulgués par les Saints Pontifes Paul VI et Jean-Paul II sont la seule expression de la lex orandi du Rite romain » (art 1), rayant d’un trait de plume 2 000 ans de Tradition liturgique.
Une Eglise anthropocentrique
Il a déjà été beaucoup écrit sur les textes du Concile. Il est une piste qui n’a peut-être, cependant, pas été suffisamment explorée, au sein de cette option propre au libéralisme catholique consistant à faire des concessions à la modernité pour mieux faire passer le message de l’Eglise. Paul VI et le concile opèrent un changement de paradigme radical. L’Eglise qui était le corps mystique du Christ (Mystici corporis Christi, Pie XII, 29 juin 1943) devient « experte en humanité » (Populorum progressio, Paul VI, 26 mars 1967). Dans le même temps où, selon la formule célèbre du discours de clôture du concile Vatican II par Paul VI, elle affirmait avoir « plus que quiconque le culte de l’homme ». De théocentrique, mieux christocentrique, l’Eglise devenait anthropocentrique. La liturgie devenait « autocélébration de la communauté » (L’esprit de la liturgie, cardinal Ratzinger) et le rappel des vérités de la foi laissait la place à un enseignement de plus en plus axé sur les sujets moraux et sociaux.
Une partie de l’Eglise poussait ces aspirations sociales à leurs conséquences extrêmes ralliant la théologie de la Libération et en appelant, par la modification des structures sociales à l’avènement, dès ici-bas, du Royaume des cieux. Dangereuse utopie à laquelle on doit, en particulier, le développement fulgurant de toutes les sectes protestantes en Amérique latine. De plus, cette humanité qu’il convenait de servir et dont il fallait célébrer le culte était, en réalité, une humanité profondément mutilée. L’optimisme conciliaire oubliait, de façon coupable, l’existence du péché originel, réalité de foi qui frappe tous les hommes. Enfin présentées sous un jour avenant, les vérités de l’Evangile ne pourraient, pensaient les novateurs, que susciter l’adhésion des foules émerveillées par leurs splendeurs et trop souvent, en réalité, rebutées par le contre témoignage des pratiquants qui n’étaient, selon l’expression de Patrick Buisson (La fin d’un monde), que « faussement proches ».
On fit tout pour dégoûter les fidèles qui quittèrent l’Eglise sur la pointe des pieds, les autres -athées, agnostiques ou indifférents- continuant de vaquer à leurs occupations hors de l’Eglise. Les communautés religieuses missionnaires se muèrent en « acteurs du développement », les aumôniers d’Action catholique se marièrent et les papes multiplièrent les encycliques sociales, ce qui n’est pas un mal en soi lorsqu’on n’incline pas vers la démagogie. Les questions liturgiques et proprement théologiques ou doctrinales furent un peu délaissées à l’exception notable de certaines encycliques du pape Jean-Paul II (Fides et ratio, 14 septembre 1998, Ecclesia de eucharistia, 17 avril 2003, etc) et de l’action en faveur de la liturgie traditionnelle du pape Benoît XVI (Summorum pontificum, 7 juillet 2007) qui, sans doute dépassé par l’ampleur de la tâche à accomplir, renonça au souverain pontificat.
Ce n’est pas un hasard si le dernier livre de Mgr Schneider La messe catholique est sous-titré : Remettre Dieu au centre de la liturgie. Qu’en pense Mgr Aupetit, ancien archevêque de Paris qui déclarait benoîtement à l’antenne de Radio Notre-Dame le 6 septembre 2021 « Les catholiques se divisent souvent pour des questions subalternes comme, par exemple, la façon de célébrer la messe » ? Subalterne la manière de célébrer la messe où se renouvelle le sacrifice du calvaire ? Où s’accomplit le sacrifice de notre Rédemption ? Mais quelle est donc la religion de Mgr Aupetit ?
Une débâcle morale
La liturgie cessa d’être la prière de l’Eglise et devint la « rencontre qui permet à l’homme de devenir pleinement homme » (§33, Desiderio desideravi, François, 29 juin 2022). L’ecclésiologie s’étant « ouverte » de manière libérale (oecuménisme, rapport aux autres religions, liberté religieuse) et ce « grand déménagement » (Guillaume Cuchet) faisant, de fait, que les vérités de la foi n’étaient plus enseignées, les souverains pontifes firent le choix d’investir le champ moral et social d’Humanae Vitae (Paul VI, 25 juillet 1968) à Laudato si (François, 24 mai 2015) en passant par Evangelium vitae ( Jean-Paul II, 25 mars 1995) et Centesimus annus (Jean-Paul II, 1 mai 1991). Les faits sont là. Brutaux ! Têtus ! Irrécusables ! Jamais l’emprise sur les sociétés, en particulier occidentales et anciennement chrétiennes, de ce que Jean-Paul II a appelé la « culture de mort » (Evangelium vitae) n’a été aussi forte, ce dont ont clairement témoigné, tout récemment, les élections de mi-mandat aux USA.
En France les évêques qui ne s’étaient pas opposés, selon le témoignage de Simone Veil, à la dépénalisation de l’avortement, en sont à assister, les bras ballants, à la légalisation de l’euthanasie et à la constitutionalisation de l’IVG. Mais il y a plus grave. Le vendredi saint 2005 lors de la méditation du chemin de croix le cardinal Ratzinger remplaçant le pape Jean-Paul II, déjà très affaibli et au seuil du grand passage, déclarait :
« Que de souillures parmi l’Eglise et particulièrement parmi ceux qui dans le sacerdoce devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! (…) Souvent, Seigneur, ton Eglise nous semble une barque prête à couler, une barque qui prend l’eau de toute part. Et dans ton champ nous voyons plus d’ivraie que de bongrain ».
Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger disposait certainement, alors, d’informations qui seraient rendus publiques dans les années à venir, à propos de scandales sexuels mettant en cause des évêques et des prêtres, voire des cardinaux. Quelle est la crédibilité du discours moral de l’Eglise de France, face aux autorités politiques et aux puissances médiatiques, alors qu’une part notable de sa hiérarchie est empêtrée dans des affaires dont la simple fornication est la moins grave des manifestations ? « Quand le singe veut monter au cocotier, il faut qu’il ait les fesses propres » affirme un dicton exotique. Nous en sommes loin.
Tout restaurer dans le Christ
Dans sa première encyclique (E supremi apostolatus, 4 octobre 1903), le saint pape Pie X présentait ainsi son programme :
« Nous déclarons que Notre but unique dans l’exercice du suprême Pontificat est de « tout restaurer dans le Christ » afin que « le Christ soit tout et en tout ».
Quoiqu’en dise le cardinal André Vingt-Trois, les temps que nous vivons sont bien plus dramatiques qu’à l’époque des Borgia car la crise actuelle de l’Eglise est non seulement morale mais aussi liturgique, doctrinale et disciplinaire. De ce fait, aucune restauration morale ne sera possible si elle n’est pas précédée d’une véritable réforme intellectuelle et spirituelle remettant non plus l’homme mais le Christ au cœur de la vie de l’Eglise. Pas le Christ de « Oui-oui au pays au pays des bisounours » dont les célébrations conciliaires ne nous rebattent que trop les oreilles. Mais le Christ crucifié, mort et ressuscité, pour nous délivrer de l’esclavage du péché. Un Christ traditionnel pourrait-on dire. Le Christ de toujours, tout simplement.