Le 21 septembre 2022, le Conseil permanent de la Conférence épiscopale italienne (CEI) a publié un message pour démasquer la culture de mort, en vue de la 45e Journée nationale pour la vie (5 février 2023). Il a été rendu public le 16 novembre.
« Dieu a créé toutes choses pour qu’elles existent ; ce qui naît dans le monde est porteur de vie : on n’y trouve pas de poison qui fasse mourir. » (Sg 1, 14)
1. LA PROPAGATION D’UNE « CULTURE DE MORT »
À notre époque où la vie est toujours plus complexe et plus exigeante, où les épreuves semblent insurmontables et leur poids parfois insupportable, cela nous amène de plus en plus souvent à une « solution » dramatique : donner la mort. Certes, on doit respect et bienveillance à chaque personne et à chaque situation, avec ce regard plein d’empathie et de miséricorde qui découle de l’Évangile. Nous sommes en effet conscients que certaines décisions mûrissent dans un contexte de solitude, d’insuffisance de soins, de peur devant l’inconnu… C’est le mystère du mal qui nous effraie tous, croyants et non-croyants. Cependant, cela n’empêche pas d’être préoccupé par ce constat : provoquer la mort devient progressivement une réponse toute prête, bon marché et immédiate à une série de problèmes personnels et sociaux. D’autant plus que derrière une telle « solution », on peut facilement deviner que se cachent d’importants intérêts économiques et des idéologies qui se font passer pour raisonnables et miséricordieuses, alors qu’elles ne le sont pas du tout.
Quand s’annonce un enfant que je ne peux pas porter, que je n’ai pas voulu, quand je sais qu’il naîtra handicapé ou que je pense qu’il limitera ma liberté ou mettra ma vie en danger… la solution est souvent l’avortement.
Quand une maladie m’est insupportable, quand je suis seul, quand je perds espoir, quand les soins palliatifs échouent, quand je ne supporte pas de voir souffrir un proche… l’issue peut être l’euthanasie ou le « suicide assisté ».
Quand la relation avec un partenaire devient difficile, parce qu’il ne répond pas à mes attentes… parfois l’issue est la violence qui va jusqu’à tuer ceux que l’on aime – ou que l’on croit aimer -, jusqu’à s’en prendre aux plus petits, à l’intérieur-même du foyer.
Lorsque le mal de vivre devient insupportable et que personne ne semble pouvoir briser le mur de la solitude… il n’est pas rare que l’on décide de mettre fin à sa vie.
Lorsque l’accueil et l’intégration de personnes fuyant la guerre ou la pauvreté entraînent des problèmes économiques, culturels et sociaux… on préfère les abandonner à leur sort, les condamnant de fait à une mort injuste.
Lorsque les motifs de conflit entre les peuples s’intensifient… les puissants et les marchands de mort proposent de plus en plus la « solution » de la guerre, en choisissant et en propageant le langage dévastateur des armes, qui sert avant tout leurs intérêts.
Ainsi, petit à petit, la « culture de mort » se répand et nous contamine.
2. POUR UNE « CULTURE DE VIE »
Le Christ mort et ressuscité – mais aussi la simple raison – nous indique un autre chemin : ne pas donner la mort mais la vie, être source de vie et toujours la servir. Il nous montre comment il est possible d’en saisir le sens et la valeur même lorsque nous la vivons comme fragile, menacée et épuisante. Il nous aide à accueillir la violence dramatique de la maladie et la lenteur de la mort, en dévoilant le mystère de notre origine et de notre fin. Il nous apprend à franchir ensemble les étapes difficiles de la souffrance, de la maladie dévastatrice, des grossesses qui bouleversent les plans et les équilibres… en offrant des relations empreintes d’amour, de respect, de proximité, de dialogue et de service. Il nous apprend à nous laisser interpeller par la volonté de vivre des enfants, des handicapés, des personnes âgées, des malades, des migrants, et de tant d’hommes et de femmes qui demandent avant tout le respect, la dignité et l’accueil. Il nous incite à éduquer les nouvelles générations à la gratitude pour la vie reçue et à l’engagement de la chérir avec soin, en nous et chez les autres. Il nous pousse à nous réjouir pour tous ceux, croyants de toutes confessions ou non-croyants, qui affrontent les problèmes en étant source de vie, payant parfois très cher leur engagement ; dans tous ces cas, nous reconnaissons l’action mystérieuse et vivifiante de l’Esprit, qui rend les créatures « porteuses de salut ». À ces personnes et aux nombreuses organisations actives sur différents fronts pour défendre la vie, nous adressons notre gratitude et nos encouragements.
3. DONNER LA MORT, CELA FONCTIONNE VRAIMENT ?
D’autre part, il faut se demander si la tentative de résoudre les problèmes en éliminant des personnes est vraiment efficace.
Sommes-nous sûrs que la banalisation de l’interruption volontaire de grossesse élimine la blessure profonde qu’elle génère dans l’âme de nombreuses femmes qui y ont eu recours ? Des femmes qui, dans de très nombreux cas, auraient pu être soutenues dans un choix différent et non pas regretté, comme du reste le prévoit la loi 194 elle-même à l’article 5. Cette prise de conscience est à l’origine d’un malaise culturel et social qui grandit dans de nombreux pays et qui, au-delà de polarisations idéologiques injustifiées, alimente un débat profond visant à renouveler les réglementations et à reconnaître le caractère précieux de chaque vie, même lorsqu’elle est encore invisible : l’existence de chaque personne reste unique et inestimable dans toutes ses phases.
Sommes-nous certains que le suicide assisté ou l’euthanasie respectent pleinement la liberté de ceux qui les choisissent – souvent épuisés par le manque de soin et de relation – et témoignent d’un amour véritable et responsable de la part de ceux qui les accompagnent vers la mort ?
Sommes-nous sûrs que la racine profonde des féminicides, de la violence contre les enfants, de l’agressivité des « baby gangs »… n’est pas précisément cette culture de la désacralisation croissante de la vie ? Sommes-nous sûrs que derrière le phénomène croissant des suicides, même de jeunes, il n’y a pas l’idée que « la vie est à moi et que j’en fais ce que je veux ? »
Sommes-nous sûrs que le rejet des migrants et des réfugiés et l’indifférence à l’égard de leur situation constituent la stratégie la plus efficace et la plus digne pour faire face à ce qui n’est plus seulement une urgence ?
Sommes-nous sûrs que la guerre, en Ukraine comme dans les pays des nombreux « conflits oubliés », est réellement capable d’apporter une réponse aux causes de son déclenchement ? « Alors que Dieu dirige sa création et que nous les hommes, nous sommes appelés à collaborer à son oeuvre, la guerre détruit. Elle détruit aussi ce que Dieu a créé de plus beau : l’être humain. La guerre défigure tout, même le lien entre les frères. La guerre est folle, son plan de développement est la destruction » (1).
4. LA « CULTURE DE MORT » : UNE QUESTION SÉRIEUSE
Choisir comme solution de donner la mort soulève une grave question éthique, car cela remet en cause la valeur de la vie et de la personne humaine. La confiance fondamentale dans la vie et dans sa bonté – pour les croyants, enracinée dans la foi – qui les amène à voir un potentiel et de la valeur dans toute existence, est remplacée par l’orgueil de juger si une vie, même la sienne, vaut la peine d’être vécue, et quand elle en vaut la peine, et de s’arroger le droit d’y mettre fin. Il est également inquiétant de constater que les grands progrès de la science et de la technologie, qui nous permettent de manipuler et de mettre fin à la vie toujours plus rapidement et massivement, ne s’accompagnent pas d’une réflexion adéquate sur le mystère de la naissance et de la mort, dont nous ne sommes manifestement pas maîtres. La détresse de beaucoup face à la situation dans laquelle tant de personnes et de familles ont vécu la maladie et la mort à l’époque du Covid a montré qu’une approche purement fonctionnelle de ces dimensions de l’existence est tout à fait insuffisante. Peut-être est-ce parce que nous avons perdu la capacité de comprendre et de faire face aux limites et à la douleur qui habitent l’existence, que nous croyons y remédier par la mort ?
5. RENOUVELER L’ENGAGEMENT
Que la Journée pour la vie renouvelle l’adhésion des catholiques à l’« Évangile de la vie », l’engagement à démasquer la « culture de mort », la capacité à promouvoir et à soutenir des actions concrètes en faveur de la vie, en mobilisant toujours plus d’énergies et de ressources. Qu’elle renforce un amour qui sache devenir prière et action : une soif de vie et une annonce de sa plénitude que Dieu désire pour ses enfants ; un style de vie conjugale, familiale, ecclésiale et sociale, capable de semer la bonté, la joie et l’espérance même lorsqu’elle est entourée des ombres de la mort.