De Marion Duvauchel :
C’est tout de même inhabituel que de se voir offrir, un 15 août, jour de la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, un programme « chrétien ». Arte nous a donné un petit moment de grâce avec le téléfilm d’Ilan Duran Cohen, le métis de Dieu. Le titre est un peu absurde, le métissage spirituel, cela n’existe pas, mais le film est bon. Laurent Lucas prête ses traits à Jean-Marie Lustiger et Aurélien Recoing incarne Jean-Paul II. Casting réussi sur le plan de la ressemblance physique comme d’ailleurs sur le plan de l’interprétation.
L’institut Jean-Marie Lustiger a pris très nettement ses distances avec cette biographie romancée. Dans un communiqué officiel, il rappelle en préambule qu’il s’agit d’une « œuvre de fiction » et que la scénariste et le réalisateur « se sont librement inspirés de certaines données biographiques et historiques ».
Comme si on ne s’en doutait pas.
L’Institut a pour mission de faire connaître l’œuvre du cardinal, avec les missions suivantes :
- Assurer un fond d’archives de référence : www.institutlustiger.fr
- Recueillir des témoignages
- Superviser les publications concernant le cardinal Lustiger
Ah… Peut-être tout simplement que l’Institut Lustiger eût souhaité superviser aussi cette réalisation cinématographique.
Voici la suite de cette mise en garde de l’Institut Lustiger, gardien du temple de la vie et de la personnalité de ce juif converti au christianisme, qui a maintenu sa fidélité à Israël jusque sur son épitaphe.
« La dramaturgie du film repose sur leur vision et leur interprétation de la personnalité d’Aron Jean-Marie Lustiger, de ses relations familiales, ainsi que de sa relation – ici très romancée – avec Jean-Paul II. L’affaire du Carmel d’Auschwitz constitue l’un des nœuds du scénario. Parfois proche, parfois loin de la réalité, cette fiction pourra toucher le téléspectateur. Elle devrait le conduire à redécouvrir la vie et toute l’action de Jean-Marie Lustiger.»
Je veux bien croire que les membres de l’Institut Lustiger connaissent intimement les relations que Mgr Lustiger a entretenues avec Jean-Paul II pendant toute la durée de leurs deux existences relativement longues. Mais pour mettre en scène des relations d’une manière vivante, on voit mal comment faire autrement que par le dialogue, avec l’élasticité inévitable de la fiction avec la réalité.
En visionnant ce film, tous ceux qui ne connaissent pas ou n’ont pas connu intimement le cardinal ne pourront s’empêcher de s’interroger : fumait-il comme un troupier ? Avait-il avec son entourage des relations aussi familières (le jeune prêtre qui l’assiste l’appelle « Lulu ») ? Était-il irascible ?
Ce qu’on sait sûrement parce qu’il y eut des témoins, (mais que le téléfilm ne dit pas), c’est qu’à peine nommé à Orléans, il s’empressa de détruire l’autel et de modifier les lieux de son église. Grande intelligence. Il brisait ainsi les cadres matériels des habituelles vestales pétries d’usages et dont l’hostilité à tout changement contribue dans toutes les paroisses, aujourd’hui encore, à les vider des énergies transformatrices. Et il leur envoyait un signe : le patron dans l’Église, c’est lui. C’est sûr, c’est un caractériel !!
Quant aux relations romancées avec Jean-Paul II, on se doute bien que l’échange entre les deux hommes dans la papamobile toute nouvellement sortie de la tête des ingénieurs est une fiction. Nous ne sommes pas si bêtes. Mais qu’elle est délicieuse.
Qu’elle est délicieuse encore la scène qui réunit le pape et un aréopage de cardinaux solennels autour de la nomination de Lustiger comme évêque d’Orléans. L’un de ces vénérables prélats signale, avec ce ton empreint de componction ouatée qu’on leur prête traditionnellement, la rumeur qui court à son propos :
– On dit qu’il est caractériel.
Et la sublime réponse de Jean-Paul II :
– Mgr …, pensez-vous que l’Église de France ait besoin d’une carpette de plus??
Si non e vero, si ce n’est vrai, c’est bien trouvé…
Pour ceux qu’intéresse la relation entre ces deux hommes d’exception on trouve une vidéo de l’INA qui l’évoque au moment où court la rumeur selon laquelle le pape appellerait Jean-Marie Lustiger à de hautes fonctions.
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu
Si la fiction a mis en scène ces relations en prenant une certaine liberté avec la réalité, il n’en reste pas moins vrai que les deux hommes partageaient la même vision de l’Église et qu’on ne nomme à de hautes fonctions que ceux qui sont proches de cette vision. Il suffit de voir les cardinaux nommés par le pape actuel.
Le film ne fera pas que « toucher » ceux qui ignorent tout ou l’essentiel de cet homme de l’Église de France : les uns iront vérifier ce qui est vrai et ce qui est fictionnel ; d’autres iront relire ses ouvrages ; d’autres encore s’interrogeront peut-être sur le poids du cinéma dans la construction d’une grande figure de l’histoire et de l’histoire de l’Église.
Ce téléfilm ne triche pas : il se présente comme un téléfilm. Et pour une fois, les hommes d’Église y sont présentés et mis en scène avec humour, avec bienveillance, dans les difficultés de leur vie de prêtre et de prélat et leur réalité incarnée : fils de…
Fils d’une mère morte dans les camps.
Le cardinal Lustiger est aussi un enfant qui a grandi sans mère.
Outre qu’il est bon de voir que le jour de l’Assomption, une chaîne propose un programme adapté au monde chrétien, il est réconfortant de constater que l’essentiel des qualités manifestées par Mgr Lustiger au cours de son existence ont été respectées : le courage, la foi, l’espérance, l’énergie pastorale. Beaucoup de force, d’intelligence, de courage, de sagesse et de piété. Pour mémoire, tous dons de l’Esprit Saint.
J’ignore s’il a vraiment parlé de la formation des prêtres dans les termes qu’on lui prête dans ce film : une formation médiocre. S’il l’a fait, il n’a fait que dire la vérité. S’il ne l’a pas fait, ma foi, on ne pourra s’empêcher de croire qu’il l’a sans aucun doute pensé.
Qu’eût pensé le cardinal de cette biographie romancée? J’ose croire qu’il aurait aimé la liberté avec laquelle sa vie et sa personne sont mises en scène, comme aussi la bienveillance qui tisse tout ce qui touche à la vie de l’homme, du fils et du pasteur. C’est suffisamment rare pour être salué.