Alors que bien des évêques continuent franchement de traîner des pieds pour entendre les victimes d’abus et assurer la transparence sur les affaires d’hier ou d’aujourd’hui, Mgr de Bucy, évêque d’Agen, en a pris le contre-pied en décidant la suspension du curé de Tonneins, Philippe d’Halluin, et l’ouverture d’un procès canonique après plusieurs signalements dans les années 2000 à 2020 pour agressions sexuelles sur des personnes majeures et mineures; plusieurs signalements, transmis en 2015 et 2022 à la justice civile ont été classés sans suite, mais l’enquête canonique a été rouverte.
Comme l’explique France 3, « les faits remonteraient du début des années 2000 jusqu’en 2021, date à laquelle le père Philippe d’Halluin est nommé curé de la paroisse Saint-Pierre des Rivières à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne. Des « agressions sexuelles sur des personnes majeures et mineures », précise l’évêque d’Agen, Mgr Alexandre de Bucy ce dimanche 5 octobre, par l’intermédiaire d’un communiqué. C’est lui qui a révélé l’affaire et décidé de suspendre temporairement le prêtre depuis samedi. Fait encore plus rare, l’évêché précise qu’un procès pénal canonique s’ouvrira d’ici quelques jours pour plusieurs mois. . « La justice civile n’est pas allée plus loin, mais j’ai entendu la souffrance de ces personnes, poursuit l’évêque. Comme le recommande Rome, j’ai donc ouvert une enquête canonique ».
Mgr de Bucy : « Il faut faire la vérité«
A Sud-Ouest, Mgr de Bucy développe : « La première étape intervient l’année dernière : je reçois deux personnes qui se sont plaintes du père Philippe d’Halluin, et qui lui reprochent des gestes dont on aurait dit autrefois qu’ils étaient inappropriés et qu’aujourd’hui la justice qualifierait d’agression à caractère sexuel. J’emploie ici le conditionnel, dans la mesure où le père Philippe d’Halluin bénéficie de la présomption d’innocence. Ensuite, je découvre après avoir reçu ces deux personnes qu’il y a eu d’autres signalements le visant, qui avaient été réalisés auprès de mes prédécesseurs, Mgrs Herbreteau et Descubes, mais aussi auprès du procureur de la République. Enfin, d’un point de vue personnel, j’ai entendu la souffrance de ces personnes, une souffrance d’autant plus grande que la justice ne souhaite pas poursuivre.
J’ai décidé d’ouvrir une enquête canonique, comme le recommande Rome en pareil cas. L’official, un prêtre enquêteur venant d’un autre diocèse, a mené une enquête préalable, recueilli les déclarations faites auprès du procureur de la République, entendu les victimes, examiné les faits, et il a envoyé ses investigations à Rome au Dicastère pour la Doctrine de la foi [DDF, anciennement Congrégation pour la Doctrine de la foi, NDLR], qui est chargée des questions relatives aux faits d’agressions sexuelles sur mineurs. Après examen des pièces, cette instance m’a demandé d’ouvrir un procès pénal canonique extrajudiciaire« .
Mgr de Bucy explique que dans cette affaire, il y a « moins d’une dizaine [de victimes]. Ce sont, pour trois ou quatre d’entre elles, des adolescentes que le père fréquentait dans le cadre de la pastorale, les autres des adultes fragiles rencontrés en marge de ses fonctions d’aumônier au sein de l’hôpital psychiatrique de la Candélie. Les faits dénoncés sont disséminés sur plus d’une vingtaine d’années, les plus récents remontent à 2020″.
Il explique aussi sa volonté de tirer cette affaire au clair : « à Lourdes, lors de la Conférence des évêques de France, j’ai pu rencontrer d’autres victimes d’autres diocèses. Et j’ai lu aussi un certain nombre d’ouvrages sur le sujet qui m’ont énormément touché. Je veux prendre au sérieux ces paroles parce que, souvent dans les institutions, et pas uniquement l’Église – on peut citer l’institution familiale –, elles n’ont pas toujours reçu l’écoute qu’elles méritaient. Je ne suis pas le seul à me positionner ainsi. Il y a quand même aujourd’hui un certain nombre d’évêques qui sont dans cette dynamique. En mon âme et conscience, après avoir lu et entendu les deux personnes qui se disent victimes du père d’Halluin, il m’a semblé, par respect pour celles-ci, qu’il fallait aller plus loin, dans le sens où il faut faire la vérité. Parce que je crois que la vérité est toujours gagnante. En médiatisant cette affaire, j’attends aussi que d’éventuelles victimes se manifestent auprès de la cellule d’écoute du diocèse« .
Sa vocation au Mali, ex-pompier volontaire et toute sa carrière dans le diocèse d’Agen : qui est le père d’Halluin?
Objecteur de conscience en 1975, Philippe d’Halluin part pour le Mali où il reçoit la vocation en 1977 d’un père Blanc italien en mission. Il rentre en France au séminaire de Poitiers, puis en second cycle à Bordeaux. En insertion pastorale à Casteljaloux, il y devient pompier volontaire. En 1998 il devient l’aumônier du Syndicat d’incendie et de secours de Lot-et-Garonne (Sdis 47), à la demande du président de l’époque, André Touron, et reste pompier volontaire jusqu’à ses 65 ans en 2019.
Comme il l’explique à Sud-Ouest en 2023, « ordonné prêtre en 1982, Philippe D’Halluin, 69 ans, a passé toute sa carrière, à l’exception de ses années maliennes [1986-1994 avec la JAC à Kimparana], en Lot-et-Garonne : Monbahus, Castillonnès, Port-Sainte-Marie, Sainte-Livrade-sur-Lot [2004-2013], Pont-du-Casse et enfin Tonneins, où il espère rester jusqu’à sa retraite, dans six ans. « Le Lot-et-Garonne, c’est ma terre de vie. J’y suis attaché et, surtout, je voulais rendre à l’Église lot-et-garonnaise ce qu’elle m’avait donné. Saint François de Sales a dit : ‘‘Fleuris là où Dieu t’a planté’‘. Je me suis épanoui dans chaque lieu où j’ai été. ». En 2013-2021 il est aussi responsable des aumôneries du Centre Hospitalier d’Agen (Hôpital Saint Esprit, Centre de gérontologie de Pompeyrie) et du Centre Hospitalier « La Candélie » et était avant sa suspension Doyen du Confluent et membre du conseil presbytéral.
En 2020, quand il ouvrait son porte-monnaie à Rue 89 Bordeaux, celui qui était curé depuis 23 ans affirmait loger une famille d’immigrés au presbytère, et un jeune malien, mineur, pour qui la mairie n’avait pas trouvé de solution, chez lui.
« Désormais suspendu temporairement, il s’est retiré dans une communauté religieuse de la région. Sa mise en retrait lui permettra de « conduire sa défense de la manière la plus juste possible », insiste Mgr de Bucy. Une cellule d’écoute diocésaine a été mise place et peut être jointe par mail (parolesdevictimes[@]diocese47.fr) en toute confidentialité« .