En mai dernier, la cour constitutionnelle de Colombie a tranché en faveur de deux journalistes qui enquêtent sur les abus sexuels du clergé en Colombie depuis sept ans et exigé de l’Eglise la déclassification des archives portant sur des milliers de prêtres auteurs d’abus – les journalistes n’ont obtenu des réponses favorables des instances ecclésiastiques que pour 600 noms, sur moins d’un septième de leurs demandes.
Nombre de victimes se heurtent depuis des années au mur de silence des diocèses concernés, tandis que les prêtres auteurs d’abus encore vivants sont, à de rares exceptions, encore en poste. L’imprescriptibilité des abus sur mineurs a été adoptée en 2021 en Colombie mais n’est pas rétroactive, ce qui bloque les enquêtes de la justice civile.
Comme l’explique El Pais, « la Cour constitutionnelle a statué en faveur de deux journalistes qui ont déposé des dizaines de requêtes en protection contre plusieurs diocèses et communautés religieuses à travers le pays, demandant la publication intégrale de dossiers contenant des allégations d’abus sexuels sur mineurs. Selon eux, l’Église ne leur a fourni que 13 % des données demandées, ce qui leur a permis de révéler les noms de plus de 600 prêtres accusés de pédophilie au cours des deux dernières années.
« Nous sommes très heureux. Cette décision garantit une réponse complète aux 137 pétitions que nous avons envoyées », a déclaré lors d’un entretien téléphonique Juan Pablo Barrientos, l’un des journalistes les plus actifs dans les enquêtes sur les cas de pédophilie au sein de l’Église du pays. Avec Miguel Ángel Estupiñán, il a découvert des centaines d’accusations de pédophilie contre des dizaines de prêtres. « Si, avec une fraction des informations, nous en dévoilions plus de 600, avec les 87 % restants, nous pourrions atteindre jusqu’à 5 000 prêtres dénoncés », prédit le journaliste.
Le tribunal a également ordonné lundi au parquet général de fournir les données demandées par une autre journaliste, Andrea Díaz Cardona. La journaliste de la BBC avait sollicité des informations en janvier 2024 concernant des allégations de crimes sexuels contre de hauts responsables de l’Église catholique. Le parquet n’ayant pas pleinement répondu à sa demande, la journaliste a entamé une procédure judiciaire, désormais conclue. Les juges ont accordé 48 heures à l’agence pour répondre aux questions portant sur les 86 affaires pénales faisant l’objet d’une enquête pour des crimes commis entre 1992 et 2021« .
Néanmoins il y a encore du chemin pour la prise de conscience des évêques en Colombie – comme dans d’autres pays d’Amérique Latine eux aussi ébranlés par des scandales d’abus à répétition (Argentine, Chili, abus chez les Jésuites en Bolivie). Ils se sont opposés, ainsi qu’un prêtre jésuite, à la décision de la cour constitutionnelle et affirmé qu’elle jugeait que « tous les prêtres de l’Eglise catholique étaient coupables à priori« . La cour constitutionnelle de Colombie n’a pas encore donné de date limite à l’Eglise catholique en Colombie pour ouvrir ses archives, mais cette décision permet de constater que si l’Eglise faillit à ses devoirs en matière de lutte contre les abus et de transparence, d’autres prendront le relais – la société civile, les plus hautes instances juridiques ou l’Etat.