Alors que des révélations d’abus dans divers établissements et communautés religieuses ont lieu de façon presque quotidienne, combien de témoignages dorment dans les pages des livres, des biographies ou d’articles de presse anciens ? Ainsi, une biographie et des témoignages de victimes permettent de mettre au jour des abus dans deux établissements lassalliens (encore!) liés par l’Histoire, Saint-Nicolas d’Issy et l’école d’Igny, aujourd’hui respectivement La Salle Saint-Nicolas, à Issy les Moulineaux, dans le diocèse de Nanterre, et La Salle Saint-Nicolas d’Igny, en Essonne, dans le diocèse d’Evry.
Des années 1950 aux années 1990, les sombres secrets de l’internat d’Igny (91)
Editée en 2000 par les éditions Denoël, l’autobiographie de Pierre Tourlier, chauffeur de François Mitterrand pendant vingt ans, aborde le sujet sans détour, dès les premières pages : « Mon père me mit, mon frère et moi, dans une pension, à Saint-Nicolas d’Igny, un établissement religieux […] Cette pension m’apparut très vite comme une prison. Mais pour les enfants de dix et onze ans que nous étions, il y avait pire encore : les tentatives d’abus perpétrées par des « frères » abjects […] Je me souviens encore des immenses dortoirs regroupant cinquante lits […] et surtout de la chambre close où dormait le »frère », lieu de tous les abus et de tous les dangers. Cet enfer a duré trois ans. J’en suis sorti indemne, y compris physiquement, mais à jamais dégoûté de cette religion« .
Pierre Tourlier étant né en 1943, les faits décrits ont eu lieu en 1953-1956.
Cependant, bien plus tard, un autre surveillant d’internat de ce même établissement a été mis en examen en 2011, pour des faits d’agressions sexuelles sur deux élèves remontant à 1995-96, et condamné à deux ans de prison avec sursis, ainsi qu’une interdiction d’exercer avec des mineurs.
Mais il y avait d’autres victimes : « deux autres victimes se sont également signalées, mais n’ont pas répondu aux diverses convocations. A la suite à ces révélations, des courriers ont été envoyés à 950 familles dont les enfants étaient placés en internat entre 1991 et 2011. Aucune autre victime éventuelle ne s’est manifestée« . Combien d’autres auteurs – et combien d’autres victimes – dans les décennies entre les faits décrits par Pierre Tourlier dans son autobioraphie et ceux de la fin des années 1990 qui ont fait l’objet d’un procès en 2011 ?
Abus à Saint-Nicolas d’Issy : une victime témoigne en 2014
Un ancien élève témoigne dans les colonnes de Psychologie Magazine, en 2014, plus quarante ans après les abus qu’il a subi dans l’internat en 1971 ; dans son témoignage, il indique l’existence d’au moins une autre victime du même auteur – un surveillant laïc violent, qu’il a retrouvée et contactée :
« J’ai été abusé et violé au collège catholique Saint-Nicolas d’Issy-les-Moulineaux à l’âge de 11 ans. J’étais en internat. Le véritable souvenir, la prise de conscience, a eu lieu en 2011, lorsque je suis tombé sur une photo de classe sur internet. J’ai laissé un message à mon camarade en lui disant que ça ne s‘était pas bien passé pour moi à l’époque. Il m’a appelé le lendemain en me disant que lui aussi avait été battu, torturé et violé dans cet établissement. Il avait lancé cette photo un peu comme une bouteille à la mer.
Cela se passait dans les dortoirs. Le surveillant de nuit me faisait mettre les mains sur la tête jusqu’à ce que je sois épuisé et me demandait de me présenter à lui. « Vous me direz quand vous serez prêt.» On ne sait pas trop ce que ça veut dire quand on a dix ans. Donc je le rejoignais dans sa guitoune et là commençaient des attouchements, des choses sordides« .
Saint-Nicolas d’Issy : les archives des Lassaliens auraient opportunément brûlé ou disparu ?
Face à ses souvenirs, il a recontacté un ancien surveillant qui à l’époque lui avait demandé de ne pas parler des abus qu’il subissait à ses parents : « Je me suis aussi souvenu d’un autre surveillant qui m’avait pris à part pour me dire que le mieux était de ne pas en parler à mes parents et que Dieu s’occuperait de la suite. J’ai retrouvé cet homme et il a finit par avouer qu’il avait connu maintes affaires de pédophilie dans cet établissement, mais qu’il n’avait pas de souvenirs exacts.
Il a donc contacté l’établissement, et là on lui a dit de circuler, qu’il n’y avait plus rien à voir, et que les archives de l’époque avaient disparu : « J’ai donc contacté le collège, bien que mon avocate m’ait dit qu’il y avait prescription et que porter plainte ne changerait pas grand-chose. L’établissement nous a répondu que l’ancien collège n’existait plus, que tout avait été reconstruit, et qu’il fallait s‘adresser aux archives à Lyon. Mais comme par hasard, les archives avaient brûlé ou disparu« .
Et de constater à l’époque : « C’est un peu une claque qu’on reçoit en tant que victime quand la justice nous dit « Votre crime n’existe pas, je ne peux pas le traiter ». Pourtant, le nom du surveillant doit toujours figurer sur les Palmarès de l’établissement, de l’époque – l’ancêtre des plaquettes annuelles avec les photos de classes, et vu l’ancienneté des faits, sur une pierre tombale…