Similaire dans son parcours et sa formation au cardinal Parolin, avec lequel il partage la même opposition à la messe traditionnelle, le cardinal Gugerotti, possible plan B à la place du cardinal Parolin, réussit le tour de force d’avoir des erreurs assez similaires – le cardinal Parolin avec la Chine, le cardinal Gugerotti avec l’Azerbaïdjan. Cette fois, pas de catholiques azéris vendus aux communistes, mais des chrétiens arméniens abandonnés de tous, surtout de ceux qui se prétendent leurs amis… Quant aux investissements de la fondation Heydar Aliev au Vatican, notamment en matière de patrimoine, ils posent la question d’éventuelles contreparties sonnantes et trébuchantes aux accords secrets entre le Vatican et la Chine – et d’autres questions plus dérangeantes encore – qui en profite, pour quel(s) montant(s) et au prix de quelles renonciations ?
« En 2015, sous le prédécesseur du cardinal Gugerotti au poste de préfet des Églises orientales, le pape François a élevé saint Grégoire de Narek (951-1010), moine, poète et écrivain mystique arménien du Xe siècle, à la dignité de Docteur de l’Église. «En commémorant sa fête par une messe dans la basilique Saint-Pierre en 2023, le cardinal Gugerotti a déclaré que, au milieu de « l’énorme individualisme » et de l’agressivité « féroce » d’aujourd’hui qui parfois « semblent invincibles », saint Grégoire de Narek s’attaque à ces maux « avec une brillante vision spirituelle, précisément dans la mesure où il a voulu prendre sur lui les péchés de tous, comme l’a fait Jésus.
En arménien, Gugerotti a lu cette prière tirée des œuvres de Narek : « Je prends sur moi les péchés du monde entier, car je suis personnellement coupable des péchés de tous. Et je te les présente, Seigneur, afin que tu aies pitié de tous. »Il est « très rare dans l’histoire du christianisme d’avoir une telle attitude, mais elle est profondément convaincante », a déclaré alors le cardinal.
Néanmoins cela n’a pas empêché le cardinal, fidèle à l’Ostpolitik, de rencontrer en novembre 2024 à Bakou les dirigeants de la Fondation Heydar Aliyev, du nom de l’ancien président azerbaïdjanais, le cardinal a remercié au nom du Pape la présidente de la Fondation, Mehriban Aliyeva (vice-présidente du pays et épouse du président Ilham Aliyev, fils d’Heydar) pour le financement azerbaïdjanais au Vatican : restauration des catacombes, étroite coopération avec les Musées du Vatican et la Bibliothèque apostolique, numérisation des manuscrits d’archives, travaux de restauration à Saint-Paul-hors-les-Murs, visites des archéologues du Vatican en Azerbaïdjan.
A cette occasion, il n’a jamais été question pour le cardinal Gugerotti de condamner l’exode forcé des 100.000 arméniens du Haut-Karabagh après la défaite militaire de l’état autoproclamé, les profanations d’églises commises par des membres de l’armée azérie, les pillages, destructions de lieux de culte, tombeaux de saints, et même de cimetières laissés derrière eux par les habitants arméniens, dont l’Azerbaïdjan essaie d’effacer la présence millénaire par tous les moyens, notamment en abattant systématiquement les croix. Ne rien dire sur ces faits pourtant connus ne revient pas, par le silence et le refus de les condamner, à légitimer la persécution et l’effacement des chrétiens, en Arménie et ailleurs ?
Au contraire, le cardinal Gugerotti a « souligné que, sur fond d’expansion des conflits religieux dans le monde, la politique de multiculturalisme mise en œuvre par le gouvernement azerbaïdjanais, la coexistence pacifique des diverses religions dans le pays et la liberté de croyance religieuse constituaient la plus grande contribution à la paix ».
« Quand on a de tels frères en religion, nul besoin d’ennemis »
L’éloge des dirigeants de la fondation Aliev par Claudio Gugerotti n’a pas échappé au journal franco-arménien Nor Haratch :
« Depuis quelques temps nous assistons à une véritable « lune de miel » entre certaines Églises, leurs serviteurs et le régime de Bakou. Ceux-ci appartiennent aux « cercles proches » de l’empire aliévien, et leurs faits et gestes – bien qu’incompatibles avec les valeurs qu’ils prêchent – ne nous étonnent qu’à moitié. Visiblement, le caviar et les pétrodollars pèsent lourd… Mais le fait qu’un haut dignitaire du Vatican tienne des propos plus que mièvres à l’égard de l’Azerbaïdjan – en omettant tout ce qu’il se devait de dire – donne matière à réfléchir. Là encore, et sans doute, le caviar et les pétrodollars… Lorsqu’on a de tels « frères en religion », nul besoin d’ennemis… »
L’aveuglement – volontaire ou non – du cardinal Gugerotti sur l’Azerbaïdjan, qui n’est pas sans rappeler l’irénisme du cardinal Parolin quant à la Chine, ne date pas d’aujourd’hui – et comme pour Parolin, remonte au début des années 2000, comme le relève IRPI :
« Certains considèrent le cardinal Claudio Gugerotti de Vérone comme un simple intermédiaire, tandis que d’autres le voient comme le protagoniste du canal privilégié établi avec Bakou.
Très instruit et polyglotte, ambitieux et assoiffé de pouvoir, le cardinal Gugerotti connaît la famille Aliyev depuis 2002, du vivant de l’ancêtre Heydar, au pouvoir depuis 1969. Dans les cercles du Vatican, Gugerotti était surnommé « Don Stambecco » (« Père Bouquetin ») en raison de son carriérisme précoce et effréné, comme l’ont révélé certains prélats restés anonymes dans leur livre à succès « Via col vento in Vaticano » ( 1999).
Au début des années 2000, Gugerotti a rencontré les autorités azerbaïdjanaises en tant que nonce pour le Caucase du Sud, poste qu’il a occupé en 2001. Auparavant, cette nonciature auprès du Saint-Siège ne comprenait que la Géorgie et l’Arménie. C’était l’époque où la Russie garantissait un cessez-le-feu dans la région, après la victoire de l’Arménie sur l’Azerbaïdjan lors du premier conflit. La haine ethnique, qui alimente encore le conflit, commençait à s’apaiser, mais le nonce Gugerotti qualifiait l’Azerbaïdjan de « pays symbole de coexistence pacifique entre peuples de religions différentes ».
La « coexistence pacifique » est mise en avant par le régime autocrate azéri pour polir son image dans les instances internationales et auprès des pays occidentaux, mais cache en réalité difficilement un islamisme politique de plus en plus revendiqué, des relations de plus en plus étroites avec le régime islamiste politique turc d’Erdogan et une politique systématique d’effacement de la présence chrétienne dans le Haut-Karabagh, après avoir fait fuir la population, ainsi que des revendications territoriales croissantes en Arménie dont la population craint d’être rayée de la carte par le voisin avec le silence complice des acheteurs de son pétrole – l’Azerbaïdjan réclame maintenant Syunik et le sud de l’Arménie pour créer une continuité territoriale avec son enclave du Nakhitchevan plus à l’ouest.
Dix ans après le début de sa mission de nonce apostolique en 2011, Gugerotti a signé l’accord historique qui, pour la première fois, régit les relations entre Bakou et l’Église catholique. Lors de la ratification – rappelle un livre publié en 2019 par la Fondation pour la promotion des valeurs morales de Bakou, intitulé « Le christianisme en Azerbaïdjan » – Gugerotti « a exprimé sa gratitude au gouvernement [azéri] pour avoir créé les conditions qui ont rendu possible [l’accord], soulignant que notre pays est toujours resté attaché aux principes de tolérance et soulignant que cet accord était le premier document de ce type, le Vatican n’ayant jamais signé un tel accord avec aucun État auparavant ».
« L’Azerbaïdjan », a déclaré Gugerotti dans son livre, « a une fois de plus fait preuve de tolérance. Le monde entier en a été témoin. Je suis certain que ce document recevra un écho positif à l’échelle internationale et restera dans les mémoires comme un grand événement historique. La réaction de la presse dès le premier jour nous le confirme. Au nom du Trône et de la Couronne, j’adresse mes plus sincères remerciements au président Ilham Aliyev et au gouvernement azerbaïdjanais pour tout cela.»
Une demande de commentaires envoyée par IrpiMedia au secrétariat du cardinal concernant les événements tragiques au Karabakh est restée sans réponse, tout comme une demande de clarification concernant le rôle de Monseigneur Gugerotti dans la naissance et le développement des relations entre le Saint-Siège et la Fondation Heydar Aliyev , le bras économique et diplomatique de l’Azerbaïdjan ».
Quel est le prix des investissements de la fondation Alyev dans le patrimoine du Vatican ?
Comme le relève IRPI Média, la fondation Heydar Aliev finance aussi largement des restaurations au Vatican, notamment des « catacombes romaines (celles des saints Marcellin et Pierre sur la Via Casilina, mais aussi celles de Commodille [2012]), les Musées du Vatican (la restauration de la statue de Zeus dans le Musée Pio Clementino, qui fait partie des Musées, ainsi que les anciens cabinets de la Salle Sixtine), la Bibliothèque apostolique du Vatican (plus de 3 000 mille livres et 75 manuscrits) ». Le dernier projet concerne l’entretien des revêtements en marbre de Saint-Paul hors les murs…
Comme le relève Cath.ch lors du renouvellement de l’accord de mécénat de la fondation Alyev avec le Vatican en mars 2021, tout cet argent a un prix : l’absence de condamnation par le pape François des persécutions subies par les arméniens : « L’invasion du Haut-Karabagh, zone contestée, par les forces azéries pendant l’automne 2020, a d’ailleurs donné lieu à une réaction modérée de la part du Saint-Siège, qui s’est toujours abstenu de désigner l’Azerbaïdjan comme agresseur, malgré les appels de la communauté chrétienne arménienne et du patriarche suprême de tous les Arméniens, Karekin II. Lors d’un Angélus le 27 septembre 2020, le pape avait demandé des « gestes de paix ». Quelques mois plus tard, à l’occasion de son discours au corps diplomatique, le 8 février 2021, il a déploré la crise dans le « Caucase méridional », mais n’a pas mentionné spécifiquement l’Arménie ou l’Azerbaïdjan ».