Si les plaintes des anciens élèves du collège Notre-Dame de Bétharram pour abus physiques et sexuels continuent à affluer – 132 à ce jour, les responsabilités des uns et des autres continuent à s’établir, et elles ne sont pas toutes du fait de l’Eglise ou de la congrégation. Ainsi, comme nous l’écrivions samedi dernier, l’inspection du collège aujourd’hui en 2025 a vocation à rattraper le déni de celle de…1996 qui avait conclu à l’éloignement du professeur lanceur d’alertes au sujet des violences que subissaient les élèves de l’établissement.
Contacté par France 2, l’inspecteur d’académie auteur du rapport reconnaît avoir bâclé le travail et ignoré l’alerte de l’enseignante, qui affirme avoir été “contrainte au silence“. Les propos de l’inspecteur peuvent interpeller sur l’intention ou non, à l’époque, de l’inspection d’académie, d’étouffer l’affaire – sur ordre ou au nom du sempiternel “pas de vagues” : “c’était vraiment du raccourci et du pressé. J’ai très certainement fait un rapport qui correspondait à ce que j’ai vu et entendu ce jour-là, mais pas forcément à ce qui se passait après ou avant”, dit-il.
Résultat, 30 ans de perdus pour les victimes, et des victimes qui auraient pu être évitées, car si les faits signalés commencent dès l’après-guerre, ils durent jusque dans les années 2010 pour les plus récents.
Fort logiquement, le porte-parole de l’association des victimes, Alain Esquerre, a fait part de son étonnement et de sa sidération : “j‘entends son acte de contrition, et faute avouée est à demi pardonnée“, explique Alain Esquerre, mais il se dit tout de même “sidéré” par “la désinvolture et la légèreté de cet inspecteur d’académie régional qui doit enquêter sur le dossier Bétharram et qui n’enquête pas sur la perte d’audition de cet enfant” dont le tympan a été percé après un coup au visage porté par un surveillant en 1996. Un inspecteur “payé pour faire un travail” et qui “nous dit aujourd’hui qu’il fait son acte de contrition en disant que ce travail” n’a pas été fait à l’époque.
Il se dit “ révolté car la “légèreté” de cet inspecteur “entraîne une très grande responsabilité en termes de violences qui se sont poursuivies ensuite à Bétharram -et notamment après 1996- et qui empêchent les pouvoirs publics d’agir et d’aller plus loin sur ce dossier, et même qui empêchent la justice d’enquêter“.
Relevant la mise en cause dans le rapport de l’enseignante lanceuse d’alerte, Alain Esquerre constate que le rapport “met en cause Françoise Gullung, une professeure de mathématiques excellente, qu’il ne rencontre pas parce qu’elle a le nez cassé du fait qu’elle a été bousculée par des élèves -accidentellement soi-disant. Mais par contre, il la décrit avec un état d’esprit très négatif parce qu’il écoute tous les enseignants de Bétharram. Et le crime de Françoise Gullung, c’est de donner à ses élèves le numéro d’urgence, le 119 [numéro du service Allô Enfance Maltraitée]. Les politiques, comment vous voulez qu’ils agissent si la fonction publique d’État ne fait pas le job pour lequel elle est payée ?”
Hôpitaux, services sociaux, forces de l’ordre : qui a fait son devoir ?
D’autres questions, sur d’autres responsabilités d’acteurs publics, peuvent être posées. Quid ainsi de l’hôpital, et des médecins, qui recevaient régulièrement des enfants de Bétharram ensanglantés par les corrections qu’ils recevaient de leurs encadrants ? Quid des services sociaux, et des signalements qu’ils auraient dû faire ? Quid des plaintes et des mains courantes déposées par certains élèves, voire leurs parents?
Et quid, in fine, de l’omerta collective – on n’apprend que maintenant, dans les sujets d’actualité ou les commentaires sur le groupe Facebook des victimes, laissés par des villageois de Lestelle-Betharram, que tout le monde savait, et que tout le monde était dans le déni.
Comment protéger les enfants, et comment faire oeuvre de justice, si tant de monde est d’accord pour ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir et ne rien faire ?
Le procureur de la République précise que deux plaintes contre des personnels de Bétharram ont été classées
Cet après-midi, le procureur de la République de Pau a indiqué que deux plaintes avaient été classées, en 2005 et 2011-13 contre deux laïcs membres de l’établissement. Encore du temps perdu pour les victimes :
- 2005, pour des faits de viol et d’agression sexuelle commis par un laïc encadrant de l’établissement
- 2011-13 pour des faits de viol et d’agression sexuelle commis par un autre laïc membre de l’établissement.
Dans les deux cas le classement est motivé pour “infraction insuffisamment caractérisée“. Quand on ne veut pas trouver… on récolte un Betharram et des dizaines de victimes.