Le 14 janvier dernier une commission d’études pluridisciplinaire a été lancée par les délégués pontificaux aux Foyers de Charité Laurent Landete et Christine Foulon; ladite commission, financée par la Fondation des Foyers, devra faire la lumière sur l’histoire des Foyers de Charité, marquée dès le début par la figure controversée de Marthe Robin, qualifiée par certains spécialistes de “fraude mystique” et de nombreux abus de la part de fondateurs des foyers de Charité. Le rapport devra être remis en octobre 2026 puis publié.
A ce jour la réforme des Foyers de Charité, souhaitée par Rome, patine franchement, sur fond de déficit de la plupart des foyers, mais aussi d’un nombre important de victimes – 200 sur les 1000 membres dans le monde, selon une lettre de novembre 2022 de l’ex-délégué pontifical Mgr Dubost, parti début 2024 sur fonds de désaccords profonds avec la communauté, et de communautés vieillissantes.
Dans sa lettre de mission les délégués pontificaux expliquent leur objectif : “rendre compte de manière objective de cette histoire tourmentée, comprendre comment l’Œuvre a pu connaître et, éventuellement faciliter, de telles dérives au-delà des fautes personnelles qui ont été commises, identifier les leviers à même de supprimer les facteurs qui ont pu les favoriser et garantir ainsi aux victimes comme aux membres des Foyers, aux parents et élèves des établissements ou aux retraitants que tout sera fait pour que les abus constatés ne puissent se reproduire“.
L’aspect pluridisciplinaire est aussi précisé : “la discipline historique pourra ainsi permettre d’appréhender les évolutions de la gouvernance en s’attachant en particulier à comprendre la genèse des Foyers comme elle cherchera à analyser la concomitance des abus dans des circonstances variées ; la théologie s’intéressera à la façon dont les intuitions initiales ont pu se cristalliser dans des textes et des pratiques et éventuellement se déformer ; la sociologie pourra à la fois envisager les déterminants sociaux de l’émergence de l’œuvre et les mécanismes systémiques qui se sont progressivement mis en place ; les disciplines juridiques devront regarder dans quelle mesure le fonctionnement des Foyers a été conforme aux règles de l’Église comme au droit commun des États“.
Les objectifs assignés à l’étude sont les suivants :
- ANALYSER le cadre social et ecclésial dans lequel l’Œuvre des Foyers est née ets’est développée ;
- • RETRACER l’enchaînement des crises de gouvernance que l’Œuvre a connu depuis les années 1970, puis proposer une histoire des abus commis, dont les premiers semblent dater des années 1950, sans vous limiter aux abus sexuels mais en cherchant aussi à rendre compte des cas manifestes d’abus d’autorité ou d’emprise psychologique ;
- IDENTIFIER les fondements théologiques et doctrinaux qui ont guidé le développement de l’Œuvre ;
- EXAMINER ces fondements non seulement au regard de la théologie catholique et du magistère de l’Eglise mais aussi dans leurs conséquences concrètes pour le gouvernement des Foyers ;
- RELEVER les dérives qui ont pu en découler au regard tant des règles ecclésiales que du droit des personnes ;
- INTERROGER de façon critique les moyens pris pour donner corps à l’ambition de coexistence des états de vie dans un même lieu comme la traduction de la notion de paternité spirituelle ;
- ÉTUDIER les mécanismes psychologiques et communautaires qui ont pu favoriser abus et situations d’emprise sans que des mesures correctives ne soient intervenues
Communiqué de presse
Le 9 janvier 2025, les travaux de la commission indépendante d’étude pluridisciplinaire sur les Foyers de Charité ont été lancés par sœur Christine Foulon, co-déléguée pontificale avec Laurent Landete.
Cette étude a pour objet de mettre à la disposition de tous une histoire partagée de l’Œuvre des Foyers, particulièrement celle des abus commis, sans se limiter aux abus sexuels mais en cherchant aussi à rendre compte des cas manifestes d’abus d’autorité ou d’emprise psychologique. Elle permettra aussi d’identifier les leviers à même de supprimer les facteurs qui ont pu favoriser ces dérives, garantissant ainsi aux membres des Foyers, aux retraitants et à toute personne accueillie dans un Foyer que tout est et sera fait pour qu’aucun abus, quel qu’il soit, ne puisse se reproduire.
L’appel à une commission pluridisciplinaire (historique, théologique, sociologique, juridique) favorisera la mise à disposition d’un fondement solide pour engager la réforme de l’Œuvre des Foyers en n’écartant aucune thématique ni champ d’action.
Les Délégués Pontificaux remercient les membres de la commission d’avoir accepté cette mission, essentielle pour l’avenir de l’Œuvre des Foyers de Charité, et leur garantissent tous les moyens nécessaires pour la réussir.
La commission devrait rendre son rapport en octobre 2026.
Les membres de la Commission Indépendante d’Étude Pluridiscplinaire pour les Foyers (CIEP)
- M. Florian Michel, professeur d’histoire à l’université Paris 1 ;
- M. Christian Sorrel, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Lyon 2 ;
- M. Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas ;
- Mme Isabelle Jonveaux, docteur en sociologie, chargée de cours à la Privat Pädagogische Hochschule Augustinum Graz, chargée de cours à l’université de Fribourg depuis mars 2024 ;
- Père Pascal Thuillier, docteur en théologie, supérieur du Séminaire des Carmes de l’Institut Catholique de Paris ;
- Père Laurent Lemoine, théologien et psychanalyste.
Comme le précise la Croix, “l’un des membres, l’historien Florian Michel, avait déjà participé à la commission d’étude sur l’Arche, qui avait remis en janvier 2023 un rapport de 900 pages faisant la lumière sur les abus et l’emprise perpétrés par Jean Vanier et Thomas Philippe“.
“Il ne s’agit pas de refaire l’enquête sur Marthe Robin mais de l’inclure dans un panorama plus vaste”
La lettre de mission ne s’attarde pas spécialement sur le cas de Marthe Robin et les oeuvres du père Finet, mais la commission devra s’y pencher, ne serait-ce que dans le cadre de la refonte de la formation interne aux Foyers de Charité, indique la Croix : “Dans cet objectif de formation, se pose la question du statut des œuvres du père Georges Finet, mis en cause pour abus sexuels sur des jeunes femmes mineures, souvent dans le cadre de la confession. Avec en arrière fond également l’ombre de Marthe Robin, déclarée vénérable par l’Église catholique en 2014, mais accusée en 2020 de « fraude mystique » dans un ouvrage retentissant du carme Conrad de Meester. Un dossier éminemment complexe, qui justifie que son procès de canonisation soit actuellement « en pause », selon les délégués pontificaux, sans être formellement arrêté. « Sur ces points, le travail de la commission aidera beaucoup », anticipent-ils“.
Comme l’explique Florian Michel à la Croix, les Foyers de Charité sont “une communauté qui porte beaucoup d’interrogations, qui doit revisiter ses fondements. Il y a nécessité d’écrire une histoire objective, un récit documenté, partagé, qui ne soit ni légende dorée ni polémique“. Cependant “il ne s’agit pas de refaire l’enquête sur Marthe Robin – le matériau est déjà ample, une enquête de canonisation est en cours avec un dossier de 14 000 pages, il y a aussi les travaux de Conrad de Meester, de Joachim Bouflet, de Thierry Coustenoble, les réponses que ces travaux ont suscitées… – mais de l’inclure dans un panorama plus vaste, une histoire institutionnelle des Foyers, de leur fondation dans les années 1930 jusqu’aux années 2000”.
La commission devra aussi se pencher sur le cas des bergers – responsables de foyers – auteurs d’abus : “au moins une demi-douzaine de prêtres de la première génération des pères de Foyers ont été identifiés comme « abuseurs », dans des sens distincts : Georges Finet à Châteauneuf-de-Galaure, André Van der Borght à Tressaint, Michel Tierny à Courset… Ces abus sont-ils, ou non, systémiques ? Y a-t-il une dynamique interne à ces phénomènes ? Sont-ils, ou non, une série de produits dérivés mimétiquement d’un schème initial qui serait celui de Marthe Robin et du père Finet ? Les questions sont ouvertes, et la commission part sans hypothèse préconstruite“.
En ce qui concerne Marthe Robin, la commission a prévu de demander l’accès à de nombreuses archives : “c’est un objet historique assez extraordinaire, qui a été peu examiné, sauf récemment à travers les études de Conrad de Meester et de Thierry Coustenoble. C’est un défi historique, intellectuel, ecclésial… Mais il n’est pas sûr que nous parvenions à démêler tous les fils. Sur son dossier médical, par exemple, elle n’a vu qu’un médecin, dans les années 1940, le beau-frère du père Finet, puis plus rien jusqu’à sa mort. Ce qui n’a pas été fait dans les années 1970-1980 ne peut plus l’être. Cela étant, notre méthode va reposer sur l’analyse des archives, la recontextualisation, la mise en lien entre les archives de tel ou tel endroit qui se répondent et qui pourront donner des éclaircissements. Pour cela, nous allons solliciter officiellement tous les archivistes diocésains pour un recensement des fonds disponibles. À Valence, Saint-Brieuc, mais aussi dans la communauté Saint-Jean. À Rome également, nous espérons avoir accès aux archives de plusieurs dicastères : la doctrine de la foi, les laïcs, la cause des saints…”
“Un certain nombre de théologiens pervers ont cherché à Châteauneuf de Galaure une validation”
Florian Michel revient sur la figure de Marthe Robin, que l’on retrouve en toile de fond d’autres créateurs de communautés nouvelles du Renouveau charismatique français, et d’autres auteurs d’abus : “un certain nombre de fondateurs de communautés nouvelles sont allés chercher à Châteauneuf-de-Galaure, dans la chambre de Marthe Robin, la confirmation de leur intuition, la validation céleste. On le voit bien avec le père Marie-Dominique Philippe qui dit que Marthe Robin a été « la première sœur contemplative de Saint-Jean », la communauté qu’il a fondée. Mère Myriam – Tünde Szentes –, la fondatrice des Sœurs mariales, a prononcé ses vœux dans la chambre de Marthe Robin, qui lui a servi de modèle : la femme souffrante, mystique, à la fois inaccessible et non soumise… Nous allons naturellement reprendre les conclusions des différentes enquêtes publiées ces dernières années – celle de la Ciase, celle sur Jean Vanier, celle des frères de Saint-Jean, puisque dans chacun de ces rapports, Marthe Robin apparaît en toile de fond […] Ce qui me semble vérifiable, c’est qu’un certain nombre de théologiens pervers ont cherché à Châteauneuf-de-Galaure une validation. Le père Thomas Philippe envoyait dès les années 1950 des personnes qu’il accompagnait spirituellement auprès de Marthe Robin”.
Heureusement, comme le dit Florian Michel, que “la commission part sans hypothèse préconstruite“, sinon qu’est ce que ça serait…
Réforme et formation dans les foyers
La Croix explique aussi que malgré les frictions et les résistances internes, les délégués pontificaux ont lancé plusieurs chantiers de réformes exigées par Rome, notamment sur le plan de la formation : “Parallèlement à cette commission, les délégués pontificaux, épaulés depuis septembre 2024 par une nouvelle direction générale et s’appuyant sur un conseil provisoire composé à la fois de membres des Foyers et de personnes extérieures, ont commencé leur travail de réforme. Plusieurs grands chantiers sont en cours, concernant le processus de gouvernance, l’accompagnement des victimes ou encore la formation.
Jusqu’à récemment, la formation dans les foyers était quasi inexistante. « Pour certains membres âgés, cela se limitait à l’homélie du prêtre », déplore ainsi sœur Christine Foulon. Un déséquilibre renforçant la possibilité d’emprise des pères de Foyers sur les autres membres. Face à cette grave lacune, la nouvelle direction a décidé de « mettre en place un programme de formation global et continu » à tous les niveaux, aussi bien pour d’éventuels nouveaux entrants que pour les membres plus anciens, prêtres, responsables de foyers ou encore conseils d’administration. « Formation sur des réalités d’Église, mais aussi très humaines : gestion de l’argent, ressources humaines, formation à l’écoute et à l’accompagnement… », détaille Benoît Durieux, le nouveau directeur général”.
Depuis 2016, 103 départs, 116 décès et 116 entrées
La Croix fait un point statistique sur les Foyers de Charité qui continuent à accueillir des postulants et des novices, sans avoir pourtant réglé sur le fond les affaires d’abus et les doutes sérieux quant aux oeuvres et figures majeures de la communauté : “aujourd’hui, les Foyers de charité comptent près de 900 membres répartis dans 68 foyers. Si l’œuvre a connu une grosse hémorragie entre 2016 et 2022 – 103 départs, qui s’ajoutent aux 116 membres décédés –, elle a également accueilli 116 nouveaux entrants, dont la moitié en Afrique.
Laurent Landete en tire les conséquences : « Dans un avenir proche, il faudra certainement fermer des foyers, en regrouper d’autres, notamment en France. ». Aujourd’hui, les nouvelles entrées ne sont pas gelées, avec la possibilité seulement d’engagements temporaires d’une durée de trois ans. Une décision prise « pour ne pas décourager les membres », selon Laurent Landete. «
La formation des nouveaux membres semble s’être améliorée : “en 2023-2024, trente nouveaux membres, venant majoritairement de pays africains, ont suivi une année complète de formation au Foyer de charité de Branguier, dans le Sud de la France, mettant notamment l’accent sur la connaissance de soi, la prévention des abus ou encore la réparation. « Des choses ont émergé à Branguier », se réjouit Christine Foulon, qui souhaite que la libération de la parole et le travail commencés en France servent de « catalyseurs » pour le reste du monde”.