La Croix dressait le 18 décembre dernier un état de la situation en France, un an après le controversé texte Fiducia Supplicans qui semblait autoriser les bénedictions aux couples de même sexe, à rebours de l’enseignement traditionnel de l’Eglise sur la famille et le mariage, initiative qui a suscité d’intenses levées de bouclier dans les églises nationales de pays entiers – notamment sur le continent africain, dans le monde russe, en Asie, dans une partie de l’Amérique et même de l’Europe… Il a même poussé les coptes orthodoxes à suspendre sèchement le dialogue théologique avec l’Eglise catholique. Un an plus tard, aucune formule de bénédiction n’existe vraiment, ni un cadre, et les prêtres se sentent perdus face à un texte inapplicable qui met en péril le magistère de l’Eglise.
Un texte de plus en plus confus, et des bénédictions qui ne sont pas
Comme le reconnaît, un peu penaude, la Croix, “les nombreuses réactions, critiques, alertes, réponses et tentatives de clarification semblent n’avoir, depuis un an, qu’ajouté à la confusion. En cause – et c’est la faiblesse principale du texte originel présenté par le préfet du dicastère pour la doctrine de la foi, le cardinal Victor Manuel Fernandez, et autorisé par le pape François : Fiducia supplicans s’attarde davantage à décrire ce que ces nouvelles bénédictions ne sont pas, qu’à expliciter la forme qu’elles peuvent prendre“.
De fait, leur définition est essentiellement négative : ” Elles ne sont pas un « rite liturgique » ou « une bénédiction similaire à un rite liturgique » : elles ne peuvent se tenir durant une messe par exemple, ou pendant un temps « similaire » à la célébration d’un mariage. Elles « ne doi (vent) pas être fixée(s) rituellement par les autorités ecclésiales » et « il ne faut ni promouvoir ni prévoir un rituel de bénédiction des couples en situation irrégulière ». C’est-à-dire qu’elles ne doivent pas être codifiées, avec un texte spécifique […] Celles-ci concerneraient « les couples » et non « les unions », et doivent éviter de se tenir « en un lieu important d’un édifice sacré (ou) devant l’autel ».
Néanmoins, elles doivent être brèves – “dix à quinze secondes“, et bien qu’il ne doit pas y avoir de rituel de bénédictions, le cardinal Fernandez a tout de même proposé une formule début 2024 : « Seigneur, regarde tes enfants, accorde-leur la santé, le travail, la paix et l’aide réciproque. Délivre-les de tout ce qui contredit ton Évangile et donne-leur de vivre selon ta volonté. Amen. »
Un prêtre lazariste bénit un couple homosexuel avec une bénédiction des pèlerins
La Croix prend comme “exemple” un couple d’homosexuels qui, peu après son union civile en mairie, a été béni le 18 mai dernier par un prêtre lazariste dans leur appartement : “quelques heures après avoir scellé leur mariage civil à la mairie du 10e arrondissement, Sébastien, 47 ans, et son conjoint Tanguy, 42 ans, ont reçu une bénédiction de la part du prêtre lazariste qui les accompagnait, depuis plusieurs mois, en vue de cet événement […] Tous deux en témoignent : leur demande de bénédiction – discernée au fil de plusieurs soirées d’échanges et d’approfondissement de textes bibliques avec le prêtre en question – répondait à un besoin spirituel « profond ». Dans leur appartement, l’officiant, après un mot d’introduction, a opté ce jour-là pour une bénédiction de pèlerins. « Il n’existe pas encore de texte spécifique pour notre situation : la symbolique de ce choix était belle, parce qu’elle marquait l’idée de marcher à deux pour le restant de notre vie », appuie Tanguy“.
Résultat des courses, contrairement aux dénégations des zélateurs de Fiducia Supplicans, l’Eglise – via ce prêtre lazariste et dans ce cas précis – se retrouve à approuver une situation irrégulière qu’elle dénonce toujours dans son catéchisme, néanmoins, en catimini – pas dans une église, et en utilisant, malgré les indications romaines, une bénédiction issue du rituel…
Très peu de demandes en France
Du reste, ces bénédictions sont rares, semble déplorer la Croix : “sur le terrain, difficile d’évaluer la mise en œuvre du document. « Les demandes de bénédictions se gèrent au niveau diocésain, sans remontées au niveau national », corrobore Véronique Lonchamp, déléguée nationale « Familles » à la CEF. Auprès de La Croix, plusieurs évêques confient n’avoir reçu « aucune demande » depuis un an. Pour d’autres, elles se comptent sur les doigts de la main. À quoi tiennent ces résistances ? Beaucoup les imputent à un texte « confus », en dépit des recadrages du Vatican. « Il y a un manque de repères clairs dans le document, qui demande un effort de reconstruction pour être compris. Cela a pu discréditer son contenu », regrette Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Sens-Auxerre (Yonne)“.
Cela signifie probablement aussi que les bénédictions “sous le manteau” par des prêtres plus ou moins militants continuent, et devant le flou tant du texte que de son application, le système D continue, en évitant surtout de mettre au courant les autorités ecclésiastiques – le principal objectif de Fiducia Supplicans est donc raté.
Des prêtres seuls, confus et perdus, des “chrétiens homosexuels” dont la situation a empiré : échec total ?
Surtout, le malaise créé par Fiducia Supplicans perdure sur le long terme, tant pour les évêques et les prêtres censés appliquer – mais quoi au juste, que pour les fidèles qui pourraient demander à en bénéficier : “devant ce « flou », des prêtres ont aussi pu « se sentir très seuls et démunis » face aux demandes d’accompagnement pastoral, abonde Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre (Seine-Maritime), qui a lancé en janvier une vaste réflexion dans son diocèse pour sortir d’une « pastorale de guichet, à coup de “permis-défendu” ». Certains prêtres évoquent aussi un malaise et, interrogés, préfèrent botter en touche, partagés entre le désir de mieux accueillir les personnes homosexuelles dans l’Église et la crainte de remettre en question la doctrine catholique du mariage.
« Fiducia supplicans a été un catalyseur de réveil de l’homophobie, et la situation est presque pire un an après qu’avant », avance Ulysse, 31 ans, qui s’apprête malgré tout à recevoir une bénédiction au printemps. « Prudent alors qu’il n’entérinait aucune avancée doctrinale, ce texte a déclenché des réactions hostiles. Ces débats ont été très violents pour les chrétiens homosexuels », appuie Claire Bévierre, cofondatrice de l’association Reconnaissance, rassemblant des parents de personnes homosexuelles en France“.
Les constats qui jadis s’imposaient devant les aléas des textes législatifs compliqués et inapplicables en France semblent aussi s’imposer pour Fiducia Supplicans : issu d’une idée consternante et mal calibré, Fiducia Supplicans a semé le chaos lors de sa réception par les évêques et les fidèles, a été appliqué en catimini n’importe comment, et a eu des effets à la fois catastrophiques – en brouillant le discours de l’Eglise sur la famille, le mariage et les LGBT – et nuls, voire contreproductifs. Au bout du chemin, la confusion, l’échec, et l’aggravation de la situation de la déchristianisation déjà largement engagée en Europe et sur le continent américain où étaient les rares évêques favorables à Fiducia Supplicans, ainsi que des divisions entre catholiques.