Dom Louis-Marie de Geyer, abbé de l’Abbaye Sainte Madeleine, signe l’éditorial de la Lettre aux Amis du Monastère (n°192, 22 novembre 2024) où il évoque sa participation au pèlerinage de Chrétienté en Argentine au début du mois d’octobre :
Au mois d’octobre dernier, j’ai été invité à célébrer la messe de clôture du pèlerinage de chrétienté d’Argentine. Ce rassemblement de catholiques argentins est inspiré du pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté, qui relie Paris à Chartres au moment de la Pentecôte. Cet événement est né en Argentine, voilà quinze ans, lorsque deux pèlerins argentins, un prêtre et un jeune homme de 20 ans, avec deux autres personnes, ont lancé un « pèlerinage de Chartres » dans leur pays. Cette année, 1 800 pèlerins parcouraient les cent kilomètres en trois jours, en priant et en chantant leur espérance pour l’Église et pour leur patrie. Le Frère Juan Diego, moine de l’abbaye, originaire d’Argentine, m’accompagnait durant ce voyage. Nous avons encore dans les oreilles leur cri lancé du fond de leurs cœurs : « Viva Cristo Rey ; viva, viva ! Viva la Patria ; viva, viva ! »
L’Argentine est un pays immense. J’ai été frappé par les étendues sans fin qui offrent au regard un avant-goût de l’immensité du monde. Les routes en terre sont si droites et si longues qu’elles semblent sans limite. J’en ai éprouvé un sentiment de vertige, c’était comme si du fond de l’horizon j’apercevais la courbure de la terre. Sentiment de vertige, oui… mais surtout de liberté, couplé avec un appel à aller toujours plus loin, un appel lancé par Dieu. Dans le psaume 92, nous chantons les merveilles de la mer et des flots qui s’élèvent dans un bruit formidable, et qui invitent à nous élever vers le Seigneur infiniment plus formidable. C’est ce que j’ai chanté en contemplant ce pays si vaste.
Pourtant, ce qui m’a le plus enchanté, ce fut de voir cette jeunesse pleine de foi et de courage, malgré le grand nombre de limites imposées par les autorités. C’est toujours étonnant de voir des âmes qui gardent l’espérance envers et contre tout. Car les autorités ecclésiastiques ne sont pas très favorables à ce genre de manifestation. En effet, depuis quelques années, il n’est plus possible de célébrer la messe de clôture à l’intérieur de la basilique de Notre-Dame de Luján. Voilà pourquoi le Saint-Sacrifice y fut célébré en plein air, à neuf kilomètres, et en plein après-midi. D’ailleurs, ce fut une véritable course que de rejoindre la basilique et d’y réciter un chapelet. Heureusement, la Providence nous a été favorable, car autour de nous des orages déversaient des trombes d’eau.
Comme je vous le disais, ce pèlerinage a commencé dans ses débuts avec quatre personnes, puis chaque année le nombre de pèlerins s’est accru de quelques pour cent. Cette année, malgré la date peu propice, le nombre de participants avait encore augmenté. En effet, le pèlerinage a lieu habituellement au mois d’août parce que les étudiants sont plus disponibles. Mais dans l’hémisphère sud, cela tombe au cœur de l’hiver !
Nous retrouvons là-bas une jeunesse semblable à celle rencontrée au pèlerinage de Chartres. Une jeunesse pleine d’enthousiasme, qui chante, qui rit, qui prie et qui se confesse. Là aussi, j’ai vu des familles avec de nombreux enfants. Combien fut touchant d’entendre une grand-mère exhorter deux de ses petits-enfants à faire en ces jours des sacrifices, en marchant malgré la fatigue et le soleil ! Les enfants écoutaient avec des yeux pleins d’étonnement. Il est vrai que la foi est indissociable du sacrifice. Jésus-Christ, vrai Roi des Nations, a sauvé le monde en s’offrant sur l’autel de la croix, renonçant à sa volonté pour faire celle de son Père. C’est tout simple et c’est clair, mais cela demande une éducation spirituelle pour laquelle les grands-mères ont un véritable rôle à jouer.
Avouons-le, cette jeunesse n’est pas très intéressée par le synode. C’est une réalité constatée par les ordonnateurs de cet événement ecclésial d’envergure. La jeunesse cherche des repères pour la vie spirituelle personnelle, pour la vie de famille si fragilisée, pour l’avenir de la société. Beaucoup notent que cette jeunesse n’a pas trop d’attrait pour les grandes théories, mais qu’elle reste fascinée par le beau et le sens du sacré.
C’est ce qu’affirmait Dom Anderson, le Père Abbé de Clear Creek, fondation de l’abbaye de Fontgombault aux États-Unis. La jeunesse qui se présente dans les séminaires et les noviciats recherche une identité claire de l’Église catholique avec une tradition, une doctrine, une liturgie qui oriente les cœurs vers le haut, un royaume, finalement, dans lequel Dieu est la raison d’être. C’est un signe des temps, affirme-t-il, selon un concept remis au goût du jour par le concile Vatican II. La jeunesse d’aujourd’hui qui s’intéresse à la foi n’a rien à voir avec celle qui construisait des barricades dans le Quartier latin en 1968. Elle cherche des racines et des médiations sûres pour aller à Dieu et construire une société digne de l’homme créé à l’image de Dieu. Ne laissons pas cette jeunesse au pas de la porte mais recevons-la comme un signe de l’Esprit pour notre temps.