Dans sa dernière lettre aux Amis du Monastère, Dom Louis-Marie, abbé de Sainte-Madeleine du Barroux, évoque la mort… sujet d’actualité avec le débat du la fin de vie au Parlement.
Préparation à la mort
Il y a quelque temps, en écoutant une moniale me parler du féminisme, en vogue dans les instances monastiques, prônant l’égalité absolue entre hommes et femmes, j’ai eu une pensée au sujet de la préparation à la mort. Nous sommes bien d’accord qu’il y a une égalité fondamentale entre l’homme et la femme : même nature humaine, même baptême, mêmes droits fondamentaux, mêmes destinées surnaturelles. Mais la moniale ajoutait avec une vivacité communicative : « Papa me disait que nous sommes absolument différents. » « Complémentaires », précisai-je.
Au sujet de la mort, il en est un peu de même. La mort est fondamentalement la même pour tous, mais avec tellement de différences entre chacun. Si nous consultons la définition de la mort dans le dictionnaire Littré, nous trouvons : « Fin de la vie. » Ainsi il y a une égalité fondamentale pour tous face à la mort. Tous nous cesserons de vivre de cette vie terrestre. L’âme se séparera du corps, il en sera ainsi pour toi, toi et toi… car nous sommes constitués tous pareils. Mais combien sont différentes les manières de mourir !
D’abord dans les modalités : certains connaîtront la souffrance, l’angoisse ; d’autres vivront leur mort dans le calme, comme un sommeil. Certains mourront subitement, d’autres se seront préparés et verront la mort venir à eux comme une amie. Certains seront dans une terrible solitude et d’autres, comme les moines, seront généreusement entourés.
Dans ces différences, il y a une part qui revient à Dieu, car il permet ou veut telle modalité. La mort de Jésus n’est pas celle de Marie. Il n’y a pas de morts plus différentes que celle de Jésus et celle de Marie. Notre-Seigneur est mort ayant connu la souffrance, l’angoisse et le sentiment d’abandon de son Père. En revanche, Marie est passée de ce monde à la Patrie céleste avec une douceur telle que l’on parle de dormition. Jésus est mort comme un grain de blé qui meurt pour donner du fruit. Marie est passée de la grâce à la gloire comme un fruit qui mûrit.
La plus grande part qui revient à Dieu et à lui seul est l’heure de la mort. Autrefois, nous disions volontiers : « Nul ne sait ni le jour, ni l’heure. » Aujourd’hui, avec la légalisation de l’euthanasie, la loi pourra permettre à chacun de choisir l’heure. Mais Dieu seul a ce droit. Dieu est le seul Maître de la vie et de la mort. Car Dieu seul connaît l’état des âmes. Qui pourra dire qu’il est prêt ? Qui pourra être absolument certain qu’il est en état de grâce ?
Il y a aussi une part qui nous revient, car toute notre vie est une préparation logique à la mort. Nous mourrons un peu comme nous aurons vécu. Et c’est pourquoi la mort de Jésus et celle de Marie sont intimement liées. Notre-Seigneur et sa Sainte Mère sont morts dans l’amour de charité.
Mais il me semble que c’est surtout la finalité qui change radicalement le sens de la mort.
Madame Marie-Suzy Pons, l’ancienne maire du village du Barroux, avait cité Péguy marchant vers Chartres et discutant avec trois tailleurs de pierres rencontrés près de la cathédrale. Celui-ci avait demandé à chacun ce qu’il faisait. Le premier répondit : « Je gagne ma vie », le second : « Je fais vivre ma famille », le troisième : « Je construis une cathédrale. »
Notre mort peut prendre ces trois finalités : je meurs parce que je n’ai pas le choix, je meurs parce que j’ai à gagner le Ciel, je meurs pour être une pierre de cette grande cathédrale où l’on pourra adorer Dieu avec toute la société des saints. J’accepte la mort, non pas comme quelque chose de subi, mais comme le dernier coup de massette qui m’insère dans le grand Corps mystique du Christ, qui n’a d’autre désir que de tout remettre entre les mains du Père.
Bien mourir est un art. Dans ce domaine, l’homme est un barbare. Dieu seul est un artiste.
† F. Louis-Marie, obs, abbé