L’abbé François Castel, FSSPX, évoque la proposition sur la fin de vie qui revient dans l’actualité poussée par certaine parlementaires.
La proposition d’une loi sur la fin de vie “à la française” a été présentée au conseil des ministres le 10 avril pour une discussion à l’assemblée à partir du 26 mai. La dissolution de l’Assemblée Nationale n’a fait qu’en retarder l’adoption sans la remettre en question. Ce projet comprend trois volets, le premier sur les soins palliatifs à développer, le deuxième sur les droits des patients et des aidants et le troisième sur l’encadrement légal d’une « aide à mourir ».
C’est sans aucun doute cette dernière partie qui suscite le plus de controverses et a déjà alimenté quelques débats à l’Assemblée, même si tout est fait pour évacuer la discussion de fond et cantonner les députés à fixer les modalités de l’application de ce qui est appelé aussi pudiquement que trompeusement une “aide à mourir”. Il semble d’ailleurs que cette manipulation oratoire ait fonctionné dans l’opinion publique. Quand on constate que 83% sont favorables à l’euthanasie et seulement 67% au suicide assisté, (alors qu’il n’y a pas lieu de séparer les deux puisque le suicide assisté est une euthanasie pratiquée avec le consentement du patient), on peut se demander si les sondés ont bien compris les données de la question[1]. Faut-il comprendre que les 16% de différence représentent des personnes favorables à l’euthanasie sans le consentement du malade ? Il est permis d’en douter.
Le choix des mots représente ici un enjeu qui est loin d’être sans conséquences. Dans son entretien au journal La Croix [2], le président Emmanuel Macron affirme : « Les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés. » (…) « Le terme que nous avons retenu, poursuit-il, est celui d’« aide à mourir » parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit. Le terme d’euthanasie désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement, ce qui n’est évidemment pas le cas ici. Ce n’est pas non plus un suicide assisté qui correspond au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie. Le nouveau cadre propose un chemin possible dans une situation déterminée, avec des critères bien précis, où la décision médicale a son rôle à jouer. » Quel chef d’œuvre… d’ambiguïté !
Cette “aide à mourir” n’est autre qu’une euthanasie accomplie avec le consentement du requérant. Que dans d’autres cas l’on se passe de ce consentement signifie seulement qu’il existe des euthanasies qui ne répondent pas à la définition de l’« aide à mourir » et nullement que cette dernière n’est pas une euthanasie. En évitant d’utiliser ce mot, on veut échapper à la connotation négative du vocable, mais aussi masquer le danger d’abus par pression sur le malade ou ignorance de sa volonté. Le fait que l’“aide à mourir” puisse se pratiquer à domicile amplifie ce risque en rendant très difficile la supervision que pourrait exercer un organisme de contrôle.
Sur ce point, l’expérience des pays ayant déjà légiféré sur l’euthanasie est instructive. En Belgique, par exemple, tous les rapports de la commission de supervision, la CFCEE, contiennent la mention suivante : « La commission n’a pas la possibilité d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasie déclarées par rapport au nombre d’euthanasies réellement pratiquées. » Est ainsi reconnue officiellement l’incapacité de cette commission à contrôler adéquatement. Celle-ci dépend en grande partie de la coopération volontaire des personnels de santé qui n’est pas nécessairement acquise. En 2014, le professeur Wim Distemans déclarait franchement que « les cas déclarés sont tous en conformité avec la loi (…) les cas douteux, évidemment, les médecins ne les déclarent pas, alors on ne les contrôle pas »[3]. La conséquence est incontournable : il y a des abus qu’il est impossible de refréner. Dans un article intitulé « Fin de vie : les options belge, suisse et orégonaise », publié dans la Revue du praticien, le 20 janvier 2019, Dominique Grouille écrit : « Sur un échantillon de 208 personnes décédées à la suite d’une injection létale, 32% n’avaient pas exprimé explicitement le souhait d’être euthanasiées. Dans cet échantillon, la décision n’avait même pas été discutée avec les intéressés dans 78% des cas. Les raisons invoquées sont que le patient est comateux (70%), dément (21%), que la décision ne correspond pas au meilleur intérêt du patient (17%), qu’en discuter avec le patient pourrait être difficile pour lui (8%). » Vous n’êtes donc pas à l’abri, en Belgique, d’un professionnel de santé qui juge préférable de vous euthanasier de son propre chef, mais, bien sûr, il le fera pour votre plus grand bien !
L’“aide à mourir” est aussi un suicide assisté. Que celui-ci ne soit pas accordé à tous mais réservé à certains cas bien précis déterminés par la loi n’y change rien. Ne pas utiliser le mot “suicide”, permet de contourner une difficulté juridique née de la contradiction de fait entre la prévention du suicide exercée par le gouvernement et l’“aide à mourir” qu’il entend promouvoir dans certains cas.
En autorisant certains actes, la loi les déclare bons car elle ne saurait permettre le mal ; en en défendant d’autres, elle les répute mauvais en soi ou dans quelques circonstances particulières car il ne convient pas qu’elle s’oppose au bien. Ce faisant, elle exerce une contrainte morale sur ses sujets en promouvant le permis et décourageant l’interdit.
En autorisant le suicide assisté rebaptisé en “aide à mourir”, l’état français opérerait une véritable révolution copernicienne. Dans l’état actuel de la loi, explique le professeur D. Thouvenin, l’absence d’incrimination pénale signifie seulement que « la société n’attache pas de réprobation sociale au suicide, et non qu’elle entend considérer le suicide comme une prérogative positive ».
Bien plus, la loi semble prendre parti contre le suicide en envisageant la possibilité de poursuite pour non-assistance à personne en danger envers le témoin passif d’un tel acte (Art. 223–6 du Code pénal) ; en condamnant la provocation au suicide et la propagande ou la publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens de donner la mort (Art. 223–1 à 5 du Code pénal) et surtout en n’exonérant pas d’une condamnation probable pour meurtre et assassinat celui qui apporte une aide matérielle effective au suicide (Art. 221–1 à 5 du Code pénal).
En autorisant l’« aide à mourir » l’état prendrait le contre-pied de cette dernière disposition et supprimerait l’effet dissuasif de la loi tout en faisant la promotion du suicide considéré dès lors comme un choix acceptable. Techniquement, les juristes parlent ici d’une exception d’euthanasie faisant une entorse au code de la santé publique, ce qui va dans le sens de la contradiction dénoncée.
Il n’est pas difficile d’imaginer les raisons que pourraient avoir autrui pour encourager un tel acte. Pour notre société moderne, le malade et le vieillard sont des charges coûteuses dont elle se passerait bien. Une étude récente chiffre à près de 13 000 euros par personne les dépenses annuelles de la sécurité sociale, en précisant que plus la personne vieillit, plus le montant augmente. Pour la famille, la tentation existera de hâter la fin de vie de leur proche pour des motifs sordides (éviter les inconvénients et le coût de la prise en charge ; toucher l’héritage au plus vite) ou plus ambivalents comme, par exemple, le souhait plus ou moins conscient de mettre fin à une situation difficile à vivre par l’accompagnant.
Abbé François Castel, FSSPX
Lu sur La Porte Latine (qui publiera les 3 autres volets de cet article)