A l’occasion du 31 juillet, nous publions l’extrait d’un article de La Porte Latine sur la vie de Saint Ignace de Loyola qui donne quelques éléments sur la genèse des exercices spirituels à partir de sa propre recherche de Dieu et de sa volonté sur nous afin d’apprendre à « Chercher et trouver Dieu en toutes choses ».
Avant de s’embarquer, car la peste était à Barcelone, il se rendit à Manrèze, où se trouvait un hôpital pour les pèlerins. Il y soigna les malades, vivant d’aumônes, s’imposant les pénitences les plus rudes, recherchant de préférence la compagnie de ceux qui l’accablaient de sarcasmes, à cause de sa tenue volontairement négligée ; car il s’étudiait, après avoir été d’une tenue raffinée dans son élégance, à se vaincre sur ce point en se donnant un aspect malpropre. Il eut donc à subir les pires avanies. Mais il dut surtout passer par les tentations les plus douloureuses. Ses scrupules envahirent son imagination surmenée ; il eut même la hantise du suicide, qu’il repoussait avec horreur à la pensée d’offenser Dieu. De cette épreuve où il faillit sombrer, il garda toute sa vie le don particulier de rassurer les âmes scrupuleuses.
C’est alors qu’il eut ses célèbres visions, non pas extérieures et objectives, mais, dit son secrétaire, « il comprit merveilleusement un grand nombre de choses, touchant soit aux sciences naturelles, soit aux mystères de la foi, et reçut alors plus de lumières que dans toutes ses autres visions et toutes les autres études de son existence réunies ».
Quelque temps après, il eut des ravissements ou extases. L’un d’eux dura sept jours et on le crut mort. Quand il revint à lui, il poussa seulement ce cri : « Ah ! Jésus !» ; il ne voulut jamais révéler les grâces goûtées pendant ces jours inoubliables.
Cependant, le pèlerin de Montserrat, qui avait fait l’apprentissage de la sainteté par les voies douloureuses de l’épreuve intérieure, et aussi les imprudences d’une pénitence excessive, se tournait peu à peu vers la vie de l’âme, de la confiance et de l’amour. Il se dit alors qu’il pouvait bien faire profiter les autres de son expérience. Mais comment ? Sans être tout à fait ignorant, il n’était pas, certes, un intellectuel ; il ne négligea donc aucune occasion de s’instruire, apprenant la grammaire, s’exerçant à parler, recherchant le monde pour se faire un auditoire, éloquent lorsqu’il parlait d’abondance, assez gauche s’il préparait. On le regarda bientôt avec d’autres yeux et la curiosité sympathique remplaça les traitements indignes. Il s’en aperçut et, pour éviter ce nouveau piège, il chercha une retraite où il fût plus caché qu’à l’hôpital. Il la trouva au fond d’une vallée voisine, dans une grotte broussailleuse ; la Santa Cueva de santo Ignacio, ainsi qu’on l’appelle, toujours vénérée à Manrèze, fut le témoin d’austérités épiques qui minèrent sa constitution pourtant très forte. C’est de là qu’est sortie l’ébauche d’un des plus purs chefs- d’œuvre de l’ascétisme : les célèbres Exercices spirituels, qu’Ignace composa en s’inspirant, comme point de départ, d’un ouvrage du Bénédictin Cisneros, mais adapté à son caractère particulier.
A vrai dire, il n’en jeta à Manrèze, durant les dix mois qu’il y resta, que les grandes lignes. Mais l’ébauche ne devait pas être moins pleine d’idées que l’œuvre définitive, qu’il retoucha ensuite durant vingt-cinq ans. Bien peu de personnes chrétiennes ignorent ce beau livre. Le titre en est tout militaire, et dans la pensée de l’ancien défenseur de Pampelune, c’est bien en effet une manière de plan de campagne à l’usage de l’homme qui, pour se vaincre et sortir de son péché, se fait la guerre, et avec la grâce de Dieu s’achemine de victoire en victoire, jusqu’à la perfection, « sous l’étendard du Christ ». Tout est réglé avec un soin savant dans ce plan de réforme intérieure.
Le point de départ est la distinction des deux esprits dont il a été question et qu’Ignace avait entrevue sur son lit de souffrances ; c’est la comparaison entre les deux états de consolation et de désolation qu’on peut ressentir successivement en soi-même. Personne n’est le maître de dominer le second de ces esprits ; mais chacun est libre de choisir le moment qui dans ces états lui paraît le mieux convenir à prendre une décision définitive, en vue « d’un choix de vie » ; et s’il est déjà engagé dans une vocation, il doit encore élire le mode d’usage le plus pur qu’il doit en faire. Après les principes, Ignace demande que l’on s’exerce par des moyens pratiques à les faire pénétrer dans sa vie : prière, examens, confessions, communions, méditation approfondie de la vie de Notre-Seigneur. On sait le parti qu’il conseille de tirer des secours de l’imagination visuelle et auditive, qui reconstitue mentalement dans les Préludes le lieu de la scène sacrée dont on médite le mystère.
A qui étaient destinés les Exercices ? A l’auteur d’abord, puis à ceux que, dans sa pensée, il voulait voir devenir ses compagnons d’apostolat, aux personnes du monde enfin, d’un milieu social éclairé, « au bon chrétien moyen », comme on dirait aujourd’hui, qui veut devenir plus pieux. Là est l’originalité et la force de ce livre loué par Paul III le 24 juin 1543. Depuis longtemps il a fait ses preuves ; il continue et il ne cessera pas de faciliter, et dans tous les milieux, par les retraites fermées, l’ascension des âmes vers Dieu.