Un accord signé entre le canton de Genève et les églises pour la sauvegarde de 15 lieux de culte construits pendant les Trente Glorieuses – dans les années 1950 à 1980, 90 lieux de culte ont été construits dans l’agglomération de Genève pour accompagner la poussée démographique – témoigne des difficultés de maintenir ces églises, souvent monumentales, qui ont mal vieilli, inadaptées de surcroît à la déchristianisation et au vieillissement des fidèles, difficiles à chauffer et à entretenir… en 2018 l’Eglise catholique romaine (ECR) a lancé les hostilités en décidant de la démolition de l’église Sainte-Jeanne de Chantal des Charmilles, disgracieux cylindre de béton de 1968 qui sera enfin abattu en 2025 après sept ans de bras de fer avec le canton. Elle était déjà désaffectée depuis longtemps en 2018 – un lieu de culte plus modeste va la remplacer.
Ainsi, “dans le contexte d’un fort essor démographique, en lien notamment avec l’installation d’importantes communautés du sud de l’Europe et du personnel des organisations internationales, explique Matthieu de la Corbière, directeur du Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire dans la Tribune de Genève.
Des bâtiments donc souvent volumineux sont sortis de terre pour permettre d’accueillir les larges communautés de fidèles et répondre aux différents besoins des paroisses de l’époque. De véritables centres ont été construits en plusieurs endroits, regroupant à la fois des lieux de culte, des salles de réunions, des foyers, des crèches… En même temps, ces nouveaux besoins ont généré une grande créativité architecturale, artistique et technique. On y retrouve notamment le talent d’Albert Cingria, d’André et de François Grobéty, ou encore de Gilbert Frey.
Mais le changement d’ère a rendu ces édifices passablement inadaptés. Nombre d’entre eux sont désormais trop grands face à une fréquentation en constante diminution. Ils ne sont pas conformes aux normes écologiques actuelles et coûtent très cher à entretenir, confirme Dominique Pittet“.
Outre l’église des Charmilles, l’ECR envisage la démolition de l’église saint Pie X, très haute de plafond, construite en 1962. Les protestants font de même, pour les mêmes raisons – ainsi le projet de démolition du temple de Servette et son remplacement par 45 logements, en 2024. Ou encore celui de démolition du temple du Champel, qui doit être remplacé par un immeuble de six étages.
L’affaire de l’église des Charmilles était expliquée avec force détails par l’ECR en novembre 2017 :
“Sainte-Jeanne-de-Chantal a été bâtie dans les années 1968-1969. « A l’époque, face à l’importante immigration catholique issue de cantons comme Fribourg et le Valais, ainsi que de pays comme l’Espagne, l’Italie et le Portugal, il était communément admis que chaque commune devait bénéficier d’une église, au même titre que d’une école », faisait valoir le conseil paroissial dans un courrier du mois de mai 2016 adressé au Département de l’Aménagement, du Logement et de l’Energie du canton. Il était également rappelé que cette église, comme tant d’autres, avait été prévue pour un nombre important de fidèles et de prêtres, ainsi que pour des manifestations de grande ampleur comme des premières communions, des confirmations, de grandes célébrations annuelle ou encore des fêtes paroissiales.
Entretemps, le bâtiment est devenu trop vaste pour une communauté qui ne compte aujourd’hui qu’une centaine de personnes pratiquantes. Parallèlement, la situation financière de la paroisse s’est considérablement dégradée qui a conduit, à ce jour, à l’impossibilité de faire face tant aux charges courantes (chauffage, électricité, nettoyage) qu’à l’entretien et aux réparations du bâtiment et encore moins à celles d’une rénovation d’ensemble. « Au rythme actuel du déficit que présentent nos comptes, nous serons en faillite dans trois ans », était-il souligné dans ce courrier.
Il était par ailleurs précisé que le bâtiment avait été conçu et réalisé avant le premier choc pétrolier, c’est-à-dire sans isolation, avec des vitrages simples, des volumes immenses ainsi que des installations de chauffage peu performantes. Au fil du temps, des infiltrations d’eau provenant de la toiture se sont manifestées, la carbonatation et les fissurations du béton sont apparues, sans compter le décollement des étanchéités et la problématique de l’amiante. Malgré ce constat plutôt sombre, il est apparu que la présence d’un lieu de prière et de culte était ressenti comme nécessaire dans le quartier. Aussi, la paroisse, avec l’aide de l’ECR-GE2, a souhaité adapter le bâtiment en taille et en qualité au nombre des fidèles. Par ailleurs, la réalisation d’un immeuble de logements et d’activités a été envisagée pour financer durablement le fonctionnement de la paroisse dans le futur“.
Quinze lieux de culte qui ont une valeur patrimoniale reconnus monuments historiques
Le canton de Genève a reconnu en avril 2023 le statut patrimonial à quinze lieux de culte de la période 1958-1975, dont huit huit églises et chapelles de l’ECR, dont les églises Sainte-Clotilde, Sainte-Claire et Sainte-Marie-du-Peuple, de quatre temples de l’EPG, d’un temple adventiste, de l’église grecque-orthodoxe de Prégny-Chambésy, ainsi que du centre funéraire œcuménique du cimetière des Rois. Un document en publie la liste et la présentation, avec photos.
“Quinze lieux de culte – sur une trentaine présentant selon les historiens de l’art une valeur patrimoniale – se sont vus octroyer un nouveau statut en tant que monument historique. «Il s’agissait principalement de trouver des objets représentatifs de la ligne architecturale de cette époque», indique Dominique Pittet. «Cela ne va pas dire que l’on ne pourra plus rien faire avec, précise-t-il. Les bâtiments pourront être rénovés, mais seulement dans une certaine mesure, tant qu’ils resteront proches de leur état d’origine.»
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“Ces monuments font mémoire d’un peuple autrefois croyant”
A l’époque où était annoncée la destruction de l’église des Charmilles en 2018, un frère dominicain suisse écrivait à ce sujet ce petit billet :
“Sans être des chefs d’œuvres dignes de figurer au patrimoine universel de l’UNESCO, deux de ces lieux de culte voués au bulldozer sont tout de même des témoins d‘une architecture qui a marqué au 20ème siècle les églises de Romandie, alors en pleine floraison. L’argent manque désormais « pour réparer des ans l’irréparable outrage » qui affecte ces relatives vieilles dames. Surtout, les fidèles font défaut, laissant des rangées de bancs et de chaises vides face à un célébrant déprimé.
Déprime passagère toutefois que des financiers, promoteurs et autres experts comptables s’emploient à guérir. Ils proposent la solution-miracle. On détruit et on reconstruit… autrement. Un immeuble locatif mettra en valeur le terrain libéré et ses revenus subviendront au déficit chronique de l’« exploitation paroissiale ». Bien sûr, on pourra aménager au sous-sol ou en annexe un « espace sacré » pour satisfaire les derniers Mohicans nostalgiques de la messe.
Sans doute, j’exagère. Si peu, à dire vrai. J’ai gardé en mémoire la formule d’un missionnaire responsable des finances d’un diocèse africain affirmant avec autorité : « On ne peut faire que la pastorale de ses finances ». De quelle pastorale parlait-il ? Serait-ce celle de Jésus qui n’avait pas d’argent à sa ceinture ni de pierre où poser sa tête ? Peut-être, ce prêtre-économe voulait-il freiner l’endettement irresponsable de ses confrères et ramener leurs comptes aux chiffres noirs. Il ne répondait pas pour autant à la question fondamentale sur la nature et l’origine des pierres qui construisent l’Eglise. Pierres vivantes ou cubes de briques ou de béton ?
S’il s’agit de pierres vivantes, c’est donc de la communauté dont il est question. La forme de l’habitacle où se retrouvent des « frères et sœurs chrétiens » est secondaire. La chambre d’un malade, une maison familiale, l’ombre d’un baobab, la Basilique St-Pierre ou Palexpo peu importe, du moment que ces lieux abritent des hommes et des femmes dont le regard est tourné vers Jésus-Christ. Commençons donc par bâtir la maison-église par ses fondations naturelles et non par sa flèche ou sa cheminée.
Quant aux cathédrales, basiliques ou églises désaffectées, que les deniers publics ou ceux de la société civile leur fassent grâce ! Ces monuments font mémoire d’un peuple autrefois croyant, mais aussi d’une masse anonyme d’artisans et d’hommes de peine qui les ont mis sur pied, parfois au risque de leur vie.
Autre raison de les conserver. De même que les rives de nos lacs et nos jardins publics nous permettent de reprendre souffle, ces vaisseaux de lumière, taillés dans la pierres ou coulés dans le béton, peuvent offrir un havre de paix, de méditation et de silence aux humains toujours plus nombreux fatigués de la vie. Je ne parle pas ici de concerts et autres prestations sportives ou culturelles, ni même des défilés de touristes chinois ou japonais. Je pense simplement à nos enfants et petits-enfants affamés de silence et de beauté aussi. Si tant est que reste vrai l’adage biblique : « L’homme ne vit pas seulement de pain ».
Onex : l’église rasée et remplacée par une chapelle au pied d’une tour de 14 étages
Précédemment, en 2020, c’est l’église saint Marc d’Onex, construite en préfabriqué en 1968-69 et considérée comme “vétuste” qui a été détruite en 2020… pour être remplacée par un lieu de culte au rez-de-chaussée d’une tour de 14 étages (!) érigée sur la parcelle et dont les loyers devront assurer la subsistance de la paroisse.
Avant :
C’est à se demander si le Dominicain n’exagérait finalement pas… et si ce sera le devenir “optimiste” des paroisses périurbaines ou urbaines françaises, d’ici quelques années, l’autre scénario étant la démolition pure et simple de ces églises – comme l’église saint Yves de Brest.
Evidemment, pas question pour les catholiques suisses de se demander comment on a pu passer du boom de la construction d’églises des années 1950-60 à la situation actuelles où elles sont détruites faute de moyens et de volonté de les maintenir, et si les idées qui ont accompagné la construction de ces églises n’ont pas aussi mal vieilli, devenant une charge pour les catholiques d’aujourd’hui… ceux qui restent.
D’accord, Jésus est né dans une crèche, mais ce n’est pas une raison pour continuer à l’abriter dans des bâtiments aussi moches.
Il me semble bien que le fameux “printemps de l’église” a un peu raté son programme …