Le père Camille Rio, des Missions étrangères de Paris (MEP), lanceur d’alerte au sujet des abus commis par sa congrégation missionnaire, notamment en Thaïlande, serait en passe d’être renvoyé de sa congrégation ; le 18 juin dernier une lettre lui a été envoyée avec la notification de son décret de renvoi, lui laissant la possibilité d’un recours canonique auprès du Dicastère pour l’évangélisation dont le pro-préfet est le cardinal Tagle.
Des enquêtes internes qui refusent de chercher les victimes
Golias et France 24, à l’automne dernier, constataient le peu d’entrain – au moins – des MEP pour enquêter sur les abus dénoncés par l’abbé Rio : “En Thaïlande, les Missions étrangères ont lancé plusieurs enquêtes qui n’ont débouché sur rien. On peut cependant s’interroger sur la manière dont elles ont été conduites. Vinaï (l’homme qui dit avoir été victime du père Gabriel décédé en 2007), raconte : « J’ai dit au père Nicolas (l’enquêteur envoyé sur place par les Missions étrangères) que je n’étais pas le seul, qu’il y avait d’autres enfants et qu’on pouvait essayer de les retrouver. Mais le père Nicolas m’a répondu ‘non, nous ne voulons pas faire ça.’ » Il n’y a donc pas eu de recherche de victimes. Un attentisme que le nouveau supérieur général, Vincent Sénéchal, justifie dans un email daté du 1er novembre 2021 : « Il n’est pas bon pour les victimes de faire une ‘recherche active’, écrit-il. Cela pourrait être considéré comme une seconde violence qu’on leur imposerait. Nous, nous avons fait passer l’information que nous étions à disposition. »
Comme le rappelle Golias, “plusieurs témoignages recueillis en Thaïlande mettent en cause des prêtres des Missions étrangères de Paris en pays karen, un peuple persécuté par la junte, auprès de duquel les Missions étrangères œuvrent depuis plus de cinquante ans. Décédé en 2007, le père Gabriel Tygréat a dirigé pendant trente ans un pensionnat qui accueillait 260 enfants… Un ancien élève a relaté, auprès de journalistes de France 24, des abus sexuels à répétition ainsi que l’achat de son silence. Ces accusations ont été confirmées par trois autres membres de la minorité karen et par un autre ancien élève du pensionnat.
Les abus continueraient “jusqu’à maintenant“, mais le lanceur d’alerte est muselé puis renvoyé
Sur place, le père Camille Rio avait prévenu sa hiérarchie de ce cas et donné d’autres signalements concernant les prêtres des Missions étrangères, dont l’un, à la tête d’un pensionnat, est encore en activité. Le religieux incriminé a été déplacé vers un autre pays d’Asie. Mécontent de la manière dont sa hiérarchie gère le dossier, le père Camille Rio a multiplié les alertes auprès de ses supérieurs directs et même du Vatican. « J’étais persuadé que devant la gravité des faits rapportés, on agirait avec célérité et diligence. Manifestement, ça n’a pas été le cas. (…) Au sein de la Mission, non seulement rien n’a changé, mais ma situation personnelle s’est gravement dégradée. » En juin 2022, le père Camille Rio était rappelé en France par la direction des Missions étrangères. Il fait l’objet d’une procédure de renvoi, mais se trouve toujours en France pour ce que les Missions « trangères appellent « une année de ressourcement ». Sa « mission » en Thaïlande a été suspendue. Un muselage en règle“.
La Dépêche citait des victimes de ce pensionnat de Chong Kaep, auxquelles étaient promis des avantages ou un meilleur avenir en échange de faveurs sexuelles : “nous dormions tous dans le même dortoir, témoigne auprès de nos confrères Vinaï, un homme âgé de plus de 50 ans aujourd’hui. Le matin, il venait et choisissait l’un d’entre nous et l’emmenait dans son lit. Là, Il faisait des choses qui ne se font pas”. Trois autres membres de la communauté Karen confirment ces accusations : “Quand le père Gabriel invitait les enfants à jouer dans son lit, il leur disait : ‘Si tu te comportes bien, je t’enverrai faire des études. Tu deviendras un bon prêtre, un professeur ou un médecin”, évoque l’un des anciens pensionnaires“.
Alors que le père Camille Rio donnait l’alerte, avant 2022, il estimait que les abus ““les abus à l’étranger existent de manière massive et ont encore lieu maintenant, et leur instruction par les autorités religieuses, tant locales que romaines, n’est pas à la hauteur de la gravité des faits ni de l’ampleur du phénomène“, commis désormais par d’autres prêtres de la congrégation. Et ““il n’y a aucune raison pour que les abus commis à l’étranger soient moindres que ceux commis en métropole. Au contraire, puisque toutes les conditions s’y prêtent: cléricalisme, absence de contrôles, isolement, abus de pouvoir, facilités financières, silence assuré des victimes”, souvent en situation de vulnérabilité et craignant de témoigner”.
Planter l’enquête sur des abus en Thaïlande pour protéger des prélats bien en cour ?
Dans un autre volet – celui de l’affaire de Salvert, prêtre des MEP recasé dans le diocèse d’Angers où il a été rattrapé par une enquête pour viols sur majeurs, commis avant son arrivée en Anjou, deux évêques sont mis en cause – Mgr Colomb, évêque de la Rochelle qui s’est retiré de son diocèse après sa mise en examen, et Mgr Reinthinger, évêque auxiliaire en Alsace, plus jeune évêque de France au moment de son ordination, proche du cardinal Parolin et promis avant sa mise en examen à une glorieuse carrière ecclésiastique – il est nommément accusé d’abus par une des victimes des MEP au Japon ; le prélat a porté plainte pour diffamation contre ce jeune homme; un autre prêtre des MEP accuse Mgr Reinthinger et plusieurs prêtres, dont l’abbé de Salvert de l’avoir “« introduit dans un système » de prêtres homosexuels, dès le séminaire. À l’entendre, ces individus s’initieraient les uns les autres et se protégeraient en cas de violences commises“
Tous deux, Mgr Colomb (2010-16) et Mgr Reithinger (2016-21) ont été supérieurs des MEP, et certainement – d’après la justice et les victimes – au courant de bien des problèmes, au Japon, en Thaïlande et ailleurs. Le scandale du pensionnat de Chong Kaep étant le seul qui a été vraiment médiatisé et qui concerne des enfants, planter l’enquête sur place et renvoyer le lanceur d’alerte permettrait peut-être à certains prélats, qui se croient encore sous l’Ancien Régime et qui font litière tant des victimes hors de France que de la vérité et de la justice, de blanchir les prélats mis en cause et de leur permettre de reprendre le cursus honorum religieux interrompu.
Encore de sordides histoires. A croire qu’on ne fera jamais la lumière sur toutes ces affaires autre part que dans l’autre monde