Dans la dernière lettre des Moniales du Barroux, La Font de Pertus, Mère Placide, abbesse de Notre-Dame de l’Annonciation (Le Barroux), évoque le philosophe américain John Senior dont nous fêtions en 2023 le centenaire de la naissance.
Chers amis,
“On entend dire que le christianisme, s’il veut survivre doit regarder le monde moderne tel qu’il est, doit composer avec l’état actuel des choses, c’est-à-dire avec le courant qui les emporte. En fait, c’est le contraire : si nous voulons survivre, nous devons regarder le christianisme tel qu’il est. Ce qui s’oppose le plus fortement au progrès, c’est le culte du progrès qui, nous coupant de nos racines, rend ainsi la croissance impossible et le choix superflu. Paresseusement emportés par un courant qui ne va nulle part, nous expirons dans la tiédeur spongieuse de l’incertitude absolue. […] À cette inconsistance, mère de la légèreté, opposons la seule réponse qui vaille. À l’incertitude radicale où l’homme moderne a vécu, comme jouant à la roulette russe, […] opposons le risque de la certitude (1).”
Ces fortes paroles du Professeur John Senior, comme elles nous semblent justes t. L’année 2023 marquait le centenaire de la naissance de ce philosophe converti, professeur à l’université du Kansas. Nous en avons profité pour réfléchir à son école. D’abord agnostique, John Senior (+1999) a longtemps erré (marxisme, philosophies orientales), non sans souffrance. Finalement, il découvrit, en lisant saint Thomas d’Aquin, la philosophie de l’être. Cette philosophie du bon sens, réaliste, pour laquelle “un chat est un chat”, conduisit ce chercheur infatigable à entrer en 1960 dans l’Église catholique.
Dans son livre, La mort de la culture chrétienne, publié en 1978 aux États-Unis, John Senior analyse les causes profondes de la crise culturelle. L’indifférentisme du XVIIIè siècle a engendré le libéralisme du XIXè siècle, qui a engendré à son tour l’infidélité moderniste, laquelle bafoue méthodiquement tous les commandements du Décalogue. La Loi de Dieu est travestie en droits de l’homme. “Tout le monde le dit, notre temps ressemble à la fin de l’empire romain, mais nous sommes plus sérieusement atteints parce que deux mille ans de christianisme nous ont rendus capables d’une obstination et d’une exactitude théologique dans l’apostasie qu’aucun païen n’a connues. […] L’Église elle-même est minée par une apostasie intérieure beaucoup plus grave que tous les assauts extérieurs. Les chrétiens qui ont vécu dans l’espérance que l’Église les garderait doivent aujourd’hui la garder. Ils sont dans l’arche mais ils doivent écoper”.
Depuis quelque temps, certains affirment que nous assistons à la naissance d’une Église nouvelle. Après vingt siècles, nous aurions enfin compris ce que Jésus est venu apporter au monde. Les catholiques attachés à la doctrine de l’Église s’entendent parfois traiter de “pharisiens”, ils sont accusés de s’en tenir à la lettre qui fait mourir, sans égard à l’Esprit qui vivifie. Mais, comme le fait remarquer sagement John Senior : “Si vous tuez la lettre, vous ne conservez pas l’esprit de la lettre. Et si vous essayez de bâtir une Église de l’Esprit-Saint en vous passant du Christ, de ses commandements et de ses enseignements codifiés en définitions dogmatiques, vous n’obtiendrez pas une Église de l’Esprit-Saint, parce que l’Esprit-Saint est l’Esprit du Christ. […] Le Credo ne suffit pas [à faire un chrétien], mais la foi et la connaissance du contenu dogmatique de la foi sont absolument nécessaires: en leur absence, il n’y a pas d’amour de Dieu possible.” Le remède à la décadence consiste à retrouver une vraie vie intérieure et non à détruire les formules de foi.
Aujourd’hui s’ouvre la course du carême, qui nous mènera par la Passion à la Résurrection de notre Seigneur Jésus. “Ayons un peu faim”, chers amis, comme nous y exhorte saint Léon. Et remplaçons une partie du pain terrestre, dont l’homme ne vit pas seulement (cf. Mt4,4), par des lectures nourrissantes. Par exemple, pourquoi ne pas relire à fond, en réfléchissant, notre catéchisme, qu’il soit le Catéchisme de l’Eglise catholique, ou celui du Concile de Trente, ou le Catéchisme de saint Pie X ? Tant d’âmes languissent ou périssent faute du pain de la doctrine ! Mieux nourris, nous serons de meilleurs apôtres.
Soeur Placide o.s.b., abbesse
(1). John Senior, La mort de la culture chrétienne, DMM, L996, page 190. Les deux citations suivantes sont à prendre pages 210-211 et 218.
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Il s’agit de vivre et non de survivre.