Agnès Desmazières, historienne, s’est plongée dans les archives de Vatican II et dresse un constat accablant : l’Eglise avait conscience de la gravité des agressions sexuelles et ces violences cléricales ont suscité, dans le cadre de la préparation du concile, un important débat auquel une centaine d’évêques, dont le futur pape Paul VI, ont participé en mai 1962. Elle a relaté cette affaire dans un article du Monde. Les échanges entre les évêques se sont orientés vers la question de l’opportunité même de traiter du sujet au concile. Le souci de présenter une image positive de l’Eglise catholique a conduit à occulter le problème.
Au préalable, l’Athénée pontificale salésienne réclamait une pénalisation plus sévère des violences sexuelles sur les mineurs. La proposition de l’université, reprise par la commission pour la discipline du clergé, préparatoire à Vatican II, sert alors de base à la rédaction d’un schéma, de nature juridique, intitulé « Des censures et de leur réserve », destiné à être approuvé au cours du concile. C’est ainsi que les agresseurs sexuels, clercs ou religieux, se verraient excommuniés. Le schéma prévoyait également que l’excommunication soit prononcée latae sententiae, c’est-à-dire qu’elle revête un caractère automatique.
Avant d’être proposé à la discussion au concile, le schéma est débattu au sein de la commission centrale préparatoire, en vue de déterminer si l’examen du document pouvait être inscrit dans l’agenda conciliaire. Les échanges révèlent alors des attitudes différenciées. Le cardinal de Bordeaux, Paul Richaud (1887-1968), conservateur, considère cette nouvelle peine « très opportune et nécessaire ». Les opposants ont centré leurs attaques sur le risque de scandale que l’annonce d’une telle décision pouvait susciter. Le vicaire de Rome conjecturait ainsi qu’une divulgation de l’ « abomination » des violences sexuelles cléricales causerait « un grand déshonneur pour l’ordre clérical et le célibat ecclésiastique » .
Des évêques manifestaient également leur souci de garder la main sur la sphère de la discipline sexuelle du clergé. Le patriarche d’Antioche voyait dans la nouvelle mesure « un moyen détourné par le Saint-Siège pour contrôler les consciences », tandis que le cardinal Ritter (1892-1967), de Saint Louis, aux Etats-Unis, argumentait en faveur d’une compétence particulière des évêques du fait de leur meilleure connaissance des « circonstances particulières des lieux et des personnes ». De son côté, le futur pape Paul VI ne pris pas parti. Quant au pape Jean XXIII, il ouvre le Concile avec son célèbre discours fustigeant les prophètes de malheurs… Le Concile ne voulait plus condamner, ni les hérésies, ni le communisme, et par conséquent, ni les abus sexuels. Nous connaissons la suite.
Quant aux schémas préparés par la Curie, ils ont été évacués dès le début du Concile par la majorité moderniste. Nombre d’évêques considéraient que, en raison de son caractère juridique, le schéma ne devait pas être traité au concile. La question fut reportée à la rédaction du nouveau Code de droit canonique, qui ne verra le jour que plus de vingt ans plus tard.