Mgr Marc Aillet a été interrogé dans Le journal du Dimanche par Charlotte d’Ornellas et Elisabeth Caillemer, suite à la publication de son livre Le Temps des saints :
Votre livre évoque des sujets également abordés par le synode en cours qui inquiète nombre de catholiques. Que leur répondez- vous ?
Comme le pape François l’a rappelé lui-même le synode n’est pas un sondage d’opinion, ni une assemblée parlementaire contrairement à ce que souhaiteraient certains lobbies qui tentent d’importer au sein de l’Église les débats qui agitent notre société liquide. Le synode convoque, le « sensus fidei », c’est-à-dire le sens surnaturel de la foi de l’ensemble des membres de l’Eglise, du premier des évêques jusqu’au dernier des fidèles laïcs. Le sens de la foi permet au peuple de Dieu d’adhérer infailliblement à la foi transmise fidèlement par l’Église depuis 2 000 ans sous la conduite du magistère, même s’il est suscité par l’Esprit Saint. Cela veut dire que tout ce qui pourrait être dissonant par rapport au magistère de l’Église ne peut pas appartenir à la foi de l’Église.
Pourtant, certaines propositions étudiées pendant ce synode contreviennent déjà au magistère de l’Église. Quel est l’intérêt de se poser la question ?
C’est vrai, mais le document de travail à partir duquel réfléchissent les membres du synode n’est le fruit que d’une consultation d’une partie seulement des catholiques. En France, ils ne sont par exemple que 10% à y avoir participé, et certaines catégories manquent cruellement à l’appel, je pense en particulier aux jeunes qui sont très engagés dans l’Église et aux familles qui sont à mille lieux de se poser ces questions portées par des chrétiens qui n’en finissent pas de régler leurs comptes avec l’Église institution sous la poussée sans doute des mutations culturelles de la société.
Vous défendez le célibat des prêtres, vous vous opposez à l’avortement, vous parlez du péché, du jugement dernier. Ce discours est- il encore audible aujourd’hui ?
Je ne sais pas s’il est audible, mais cela ne m’empêche pas de penser que c’est mon devoir. Je regarde l’histoire de Saint Jean-Baptiste qui annonçait le Messie. Il ne s’est pas demandé s’il était audible mais s’il était fidèle à sa mission. J’essaie de faire pareil, humblement. Mon message n’est pas mon opinion, c’est la révélation voulue par Dieu lui-même. Il s’est défini comme la vérité. Elle ne m’appartient pas, ce n’est pas la mienne. J’ai d’abord écrit ce livre pour les fidèles inquiets de la confusion dans laquelle se trouve l’Église, pour les encourager avec ce maître mot tiré du Testament spirituel de Benoît XVI : « Restez ferme dans la foi, ne vous laissez pas troubler ».
Les voix qui défendent l’enseignement de l’Eglise se font moins entendre que celles qui le remettent en cause. Cela s’explique notamment par l’attention que nous portons, extrêmement légitimement, aux victimes des abus sexuels dans l’Eglise. Notre vision s’est peut-être élargie aux minorités, qui comme ailleurs, imposent aussi leur récit à la majorité dans notre institution. Cette situation engendre une espèce de culpabilité collective, qui nous donne le sentiment d’être moins crédibles. On adopte parfois un profil bas en se disant « Comment on peut être crédible pour parler de l’Évangile et de la pureté de l’Évangile quand on expose tant de méfaits et tant de contre- témoignages ? »
N’est-ce pas une question légitime en effet ?
Si. En revanche, Il ne faut pas que d’autres prennent prétexte de ces abus pour remettre en cause les fondements mêmes de la foi de l’Eglise. J’accompagne moi-même des victimes, je les écoute, et je sais combien ces horreurs les ont ravagées. Je continue pourtant à croire que cela ne remet pas en cause ce qui nous a été donné dans la Révélation. C’est malheureusement le signe du péché, et de l’homme pêcheur, fut-il prêtre.
Et malgré ça, vous dites que l’Eglise est sainte. Comment le comprendre ?
L’Eglise est sainte non parce qu’elle ne serait composée que de saints, qui restent le plus beau visage de l’Eglise, mais parce qu’elle détient les moyens de sanctifier les pécheurs que nous sommes. D’ailleurs l’Eglise continue à reconnaître et proposer comme modèles des cohortes de fidèles laïcs, religieux, prêtres ou même évêques qui sont saints parce qu’ils incarnent l’Evangile accompli, malgré leurs faiblesses. Mais qui se préoccupe de ces figures de sainteté ? Aujourd’hui, à Gaza, on parle de tous les scandales de la violence et nous avons raison après cette attaque terroriste.
Il y a aussi des chrétiens, qui sont très minoritaires, qui vivent le martyre et assument pourtant cette présence. J’ai reçu moi un message d’une communauté religieuse : « Nous nous restons à Gaza avec nos handicapés, les malades dont nous nous occupons. Nous n’avons plus d’eau, nous attendons la mort sereinement, priez pour nous. » L’Eglise, c’est eux ! L’Eglise ne rejette pas le pêcheur, elle veut le sanctifier.
Tout cela n’a pas empêché l’Eglise, dans l’Histoire, de se tromper ?
Oui, sur des choses plus contingentes. C’est pour ça qu’il faut revenir au fondement du message et se dire « Quand je parle, est-ce que je parle au nom du Seigneur ? Est-ce que je demande la grâce de rester fidèle à sa parole ? » Benoît XVI encore, il dit « L’antichrist, c’est celui qui parle en son nom propre. » Donc, il faut se purifier sans cesse.
Vous vous adressez aux fidèles, vous dites que Dieu est la Vérité. Mais qu’avez-vous à dire à ceux qui ne sont pas parmi les premiers, et qui ne croient pas la seconde partie de votre affirmation ?
Ma conviction, c’est que le cœur de l’Homme est incliné au vrai et au bien. Alors évidemment, l’homme est blessé par le péché originel, et peut également avoir une conscience paralysée par une gangue culturelle qui serait opposé à cette inclination. En l’occurrence, le relativisme qui s’impose comme une certaine dictature. Mais l’homme d’aujourd’hui, comme hier, est au moins incliné au bonheur. Il veut être heureux et le cherche de toutes les manières.
Et ce bonheur nécessite des interdits, des codes moraux, des résistances de la part de l’Eglise ?
Le bonheur rejoint ce qui est naturellement inscrit dans le cœur de l’homme. Je vais vous raconter une histoire qui m’a beaucoup marqué. J’avais emmené une jeune fille de mon aumônerie, assez loin de l’Eglise, à une rencontre entre Jean-Paul II et les jeunes en 1986. Un jeune avait dit au pape : « Très Saint Père, ne nous donnez pas des interdits, donnez-nous des raisons de vivre. » Et le pape lui a répondu une phrase magnifique : « Je vous ai donné des raisons de vivre : les béatitudes qui répondent au désir de bonheur qui est dans le cœur de tout homme. Mais il y a toujours quelque chose qui est interdit. C’est le mal moral qui est interdit. Ce n’est pas le pape qui vous l’interdit, mais c’est votre conscience. » Parfois, quelqu’un doit nous le rappeler quand nous peinons à y voir clair. La jeune fille avait commenté la séquence en expliquant qu’elle ne vivait absolument pas comme le « voulait » le pape – il martelait beaucoup les exigences en matière de morale sexuelle à l’époque – mais qu’elle se sentait « profondément d’accord avec lui ». C’est étonnant, et cela mérite notre attention. L’Église n’est pas forcément audible, ça, je suis bien d’accord, et elle l’est de moins en moins. Mais quand elle porte une parole de vérité, elle parle à la conscience des gens. Comment expliquez- vous que pendant que l’Église s’engonce dans ces scandales qui sont un repoussoir terrible, le nombre de jeunes adultes qui se préparent au baptême est en augmentation constante ? Dans ce monde liquide, ils cherchent à ne pas se noyer. Ils trouvent dans le message de l’Église, de manière complètement inattendue, une réponse à leur question existentielle. Et je peux vous dire que contrairement à d’autres « conversions » modernes, il faut beaucoup de patience, de persévérance et de détermination pour être baptisé. C’est un changement de vie.
Quel est le cœur de votre message, en clair ?
Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous sauver, et nous en sommes des témoins.
L’humanité se débat dans des quantités d’épreuves, de questions, elle n’est pas sûre, elle a peur, elle est confrontée au mal extérieur comme intérieur. Elle sent bien qu’elle a besoin d’un salut. D’ailleurs, il y a une quantité de messianisme temporel qui ont traversé l’histoire ! L’homme a besoin d’être sauvé. Mon message, celui de l’Eglise, c’est que Jésus est vainqueur de la mort. C’est l’espérance totale.
Le cœur de notre foi, ce n’est pas d’abord une doctrine ou une morale, c’est une rencontre. C’est Lui, Dieu, qui donne à la vie son orientation décisive, pas l’inverse.
Que répondez- vous à ceux qui estiment que l’Église devrait s’adapter un peu aux mœurs d’aujourd’hui pour justement mieux faire passer son message ?
L’Eglise n’est pas fondée par les hommes, mais par Dieu à travers le Christ. C’est Lui qui porte cette grammaire de vie qui correspond au désir de bonheur qui est inscrit dans le cœur de l’Homme, à travers les siècles. Moi, je n’ai pas le pouvoir de dire autrement que Jésus-Christ.
J’ajoute une question : quels sont les fondements de ces évolutions du monde ? Sur quoi se fonde l’idée qu’un homme peut être une femme et inversement ? Outre la subjectivité personnelle de décider par moi- même, mais qui est en contradiction avec l’être même dans lequel j’ai été établi. Parce qu’il reste une contradiction : je ne me suis pas donné la vie… L’Eglise, elle, garde un fondement vivant : le Christ. Donc je suis certain que ce qu’Il m’a dit il y a 2000 ans est toujours valable aujourd’hui.
Mais les catholiques sont désormais une minorité… Comment peut-elle devenir créative ?
Le mot n’est pas à la mode, mais il faut revenir à la radicalité de la foi. Je ne parle certainement pas ici de fanatisme mais des racines de la foi. Le chrétien, c’est celui qui est relié au Christ par un sacrement qui s’appelle le baptême, qui cherche à demeurer relié au Christ pour recevoir la vie et la grâce. Jésus dit : « je vous donne un commandement nouveau. Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé, jusqu’à donner votre vie, même pour vos ennemis. » Et ça, ça change tout. Benoît XVI, dans une interview de 1969, dit ceci : « Quand tous les pans de l’institution qui donnent encore l’illusion d’avoir un pouvoir, mais qui sont vides, se seront effondrés, ce qui restera, ce sont ces petites communautés qui vivent radicalement la foi. Elles redeviendront attractives pour des gens qui sont sans Dieu et qui feront l’expérience de leur pauvreté ». Et moi, je ne suis pas là pour empêcher l’institution de s’effondrer. Je suis là pour nourrir ceux qui le veulent de cette parole de vie. C’est le titre de mon livre, le temps des saints.