Entretien donné par le cardinal Müller au lendemain du synode :
Votre Éminence, qu’entendez-vous par un changement dans la structure de l’Église ?
Simplement que lorsque le pape a appelé les laïcs, il a changé la nature du synode, qui est plutôt né comme une expression de la collégialité de tous les évêques avec le pape. Ce n’est pas seulement le pape qui gouverne l’Église, comme le voudraient aujourd’hui certains adulateurs du pape François, mais aussi les évêques locaux qui ont la responsabilité de toute l’Église. C’est pourquoi Paul VI, en mettant en œuvre le Concile Vatican II, a établi le Synode.
Cela pourrait sembler une simple réforme visant à renforcer le rôle des laïcs….
… En réalité, elle ne tient pas compte du sacrement de l’ordre, qui n’est pas une simple fonction de service, mais une institution directe et spéciale de Jésus-Christ. Il a constitué l’Église avec sa hiérarchie. Faire appel au sacerdoce universel, de tous les croyants, dans ce cas, est une manière de nier cette structure voulue par le Christ. Tous les croyants ont reçu l’Esprit Saint, mais les évêques ont reçu la consécration pour gouverner et sanctifier l’Église. Si l’on veut parler aux laïcs, il y a d’autres instruments, par exemple la Commission théologique internationale. On peut aussi créer d’autres institutions ad hoc, sans problème, mais le synode a une nature différente et le pape ne peut pas changer la structure sacramentelle de l’Église. Vous ne pouvez pas donner l’autorité épiscopale à quelqu’un qui n’est pas évêque.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez également critiqué la disposition prévoyant que les évêques ne portent pas la soutane filetée pendant les travaux du Synode ?
La question de l’habit peut sembler un détail insignifiant, mais elle renvoie à la position que j’ai exprimée précédemment. Le confort n’est pas un critère : quand je vais à un mariage, je ne m’habille pas comme à la plage, ce serait plus confortable mais pas adapté à la circonstance. Un synode, comme un concile, est une liturgie, une adoration de Dieu, pas une assemblée comme les autres. Ainsi, même la tenue vestimentaire indique ce que le synode est devenu, un déluge de bavardages.
D’ailleurs, puisque le thème était la synodalité, de quoi a-t-on discuté ?
En fait, après tant de discussions, personne ne sait ce qu’est la synodalité. On a parlé de beaucoup de choses, aux tables il y avait les “facilitateurs” qui donnaient les thèmes au jour le jour en posant des questions, mais le débat était aussi très figé, le temps d’intervention limité (trois minutes) et tout était enregistré. Chaque participant avait un moniteur devant lui et chaque intervention était enregistrée, même sur vidéo. Puis ce “nous devons nous écouter les uns les autres” permanent, personne ne voulait jouer le rôle du “fauteur de troubles”, bref, il y a eu un apprivoisement. Et aussi pour la plénière, beaucoup d’évêques ont été déçus, ils se sont plaints du faible niveau des interventions ; et puis on ne peut pas traiter des questions théologiques avec des émotions.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Un témoignage arrive, une femme parle d’un proche qui s’est suicidé parce qu’il était bisexuel, et elle dit que le curé l’avait condamnée à cause de sa bisexualité. Et tout de suite après vient l’autre intervention : ici, c’est la preuve que l’Église doit changer de doctrine. Bref, c’est finalement la faute de la doctrine de l’Église, c’est-à-dire de Dieu qui a créé l’homme et la femme. Comment traiter de telles questions ? Or les LGBT se posent en véritables interprètes de la Parole de Dieu, mais ils véhiculent une anthropologie perverse et fausse : ils ne s’intéressent pas à l’individu, à son salut, mais instrumentalisent des personnes à problèmes pour affirmer leur idéologie. Ils veulent détruire la famille et le mariage.
À cet égard, vous avez déjà déclaré qu’en fin de compte, ce synode ne voulait que promouvoir l’agenda LGBT et le diaconat féminin. Qu’est-ce qui vous a donné cette impression ?
Parce qu’on a beaucoup parlé de cela et très peu des thèmes essentiels de la foi, c’est-à-dire l’incarnation, le salut, la rédemption, la justification, le péché, la grâce, la nature humaine, le but ultime de l’homme, la dimension trinitaire et eucharistique de l’Église, les vocations, l’éducation. Tels sont les vrais défis, tout comme la propagation de la grande violence, de ceux qui la justifient au nom de Dieu, comme les fondamentalistes musulmans. Rien de tout cela, au lieu de tant de discours sur l’homosexualité, et tous à sens unique.
D’ailleurs, il suffit de regarder les invités…
Exactement. Pourquoi n’a-t-on pas invité des personnes qui étaient homosexuelles pratiquantes et qui ont redécouvert leur hétérosexualité, et qui ont écrit des livres sur leur expérience, comme Daniel Mattson, par exemple (auteur de Why I Don’t Call Myself Gay. How I reclaimed my sexual reality and found peace, Cantagalli 2018, ed) ? Il y avait le père James Martin, il n’était là que pour faire de la propagande. Il n’a jamais parlé de grâce et de salut pour ces personnes, seulement que “l’Église doit accepter, l’Église doit…, doit…., doit….”. Mais comment l’Épouse du Christ peut-elle être l’objet de nos invectives ? Ce n’est pas l’Église qui doit changer, c’est nous qui devons nous convertir.
Le fait qu’au cours du synode, le pape François ait reçu et loué Sœur Jeannine Gramick, fondatrice d’un mouvement LGBT “catholique” aux États-Unis, condamné à l’époque par Jean-Paul II et Benoît XVI, a également fait sensation.
Le cardinal Hollerich (rapporteur général du synode, ndlr) a dit que l’homosexualité n’était pas le thème du synode, mais on en a parlé et on a même fait des gestes évidents, comme celui-ci. Et le Pape se montre toujours avec ces gens-là. La justification est pastorale, mais est-ce que cela promeut le soin pastoral pour ces personnes ou est-ce que cela accepte cette condition comme une expression légitime de la nature humaine et de la foi chrétienne ? La question reste ouverte, mais il est clair qu’une certaine interprétation est privilégiée.
En ce qui concerne la sexualité, le Synode a-t-il abordé la question des abus ? Y a-t-il eu des échos du scandale Rupnik ?
Personne n’a eu le courage d’aborder réellement cette question, elle a juste servi de prétexte pour attaquer le clergé. Tout est de la faute du cléricalisme, mais en fin de compte, c’est la faute de Jésus-Christ qui a institué l’apostolat. Le clergé est l’ensemble des évêques, des prêtres et des diacres. Ce n’est pas leur existence qui est la cause des abus, mais le fait que des personnes individuelles ne respectent pas le sixième commandement. Mais cela n’est pas dit, le péché contre le sixième commandement n’est jamais mentionné, d’autres excuses sont trouvées. Comme pour la bénédiction des couples homosexuels : on dit qu’il faut éviter la confusion avec le sacrement du mariage. Mais ce n’est pas le sujet. Le thème est que les actes homosexuels et extraconjugaux sont un péché mortel et ne peuvent donc pas être bénis. Cela n’a rien à voir avec la confusion, ils essaient toujours de détourner l’attention.
Vous pensez donc que l’accusation de cléricalisme est un prétexte pour viser les prêtres en tant que tels ?
C’est dans les faits, même au Synode il y a toujours eu de mauvaises paroles sur les prêtres et même le Pape l’a fait. S’il y a quelques bonnes paroles dans le document final, c’est le travail des éditeurs car beaucoup se sont plaints. Mais le ton général du Synode était très négatif. Il y a une caricature du sacerdoce catholique, comme s’il s’agissait d’une caste en contraste avec les laïcs. En réalité, nous sommes une seule communion, mais avec une spécificité car tout le monde n’a pas reçu cette potestas sacra. C’est là la différence avec le protestantisme, ils nient cette différence essentielle avec le sacerdoce universel des fidèles, Luther dit que le sacrement de l’ordre n’existe pas, que c’est un instrument du diable. Il n’est pas possible de transiger sur ce point. Et au contraire, dans l’Église, on tente de minimiser le sacerdoce ministériel, en parlant toujours négativement des prêtres : des abuseurs, qui soumettent les femmes, qui fouettent les pécheurs dans le confessionnal, toujours négativement. Les pauvres prêtres d’aujourd’hui, attaqués de toutes parts, semblent se préoccuper des vocations. Où est la pastorale des vocations ? C’est Jésus qui appelle, pas le pape ; les prêtres appartiennent à Jésus, pas au pape. Et cet exemple touche aussi tant d’évêques qui en tirent des leçons et qui, dans leurs diocèses, se prononcent contre les prêtres.
Bref, de l’approche du Synode à la façon dont les prêtres s’expriment, il semble que l’idéal vers lequel ils veulent tendre soit le protestantisme.
Ils ne s’expriment pas ainsi, mais en fin de compte, on en arrive là.