Le journal La Nef lance une nouvelle rubrique sur les “raisons de croire” dans son numéro de novembre. Elle commence ce mois-ci avec la question des miracles :
Partons de quelques citations bibliques pour situer la question.
– Dans la finale de l’Évangile selon saint Marc, les apôtres, après l’Ascension, « s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant en eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16, 20). Ces signes sont précisément les miracles qui accréditent les hérauts de l’Évangile. Dans le même sens, en Ac 2, 22, Pierre, présentant « Jésus le Nazôréen » comme « cet homme que Dieu a accrédité auprès [des hommes d’Israël], par les miracles, œuvres et signes qu’il a opérés par lui au milieu [d’eux] », distingue, par ces trois termes, l’admiration suscitée par le fait insolite (miracles), l’opération elle-même telle qu’elle résulte de la toute-puissance divine (œuvres) et sa valeur significative (signes) ;
– En Mt 13, 58, il est précisé que « Jésus ne fit pas beaucoup de miracles [à Nazareth], à cause de leur incrédulité », ce qui fait de la foi un préalable pour bénéficier de miracles, tandis qu’une foi « grosse comme une graine de moutarde » semble requise pour accomplir celui de déplacer les montagnes (cf. Mt 17, 20). De là l’ambivalence du rapport entre le miracle et la foi : le miracle étaye rationnellement la foi mais la foi donne sa signification théologique au miracle. Comme la prophétie donc, le miracle est un motif de crédibilité mais ne saurait se réduire à cette fonction. Enfin, on ne peut sous-estimer la dialectique dans l’Évangile selon saint Jean entre « voir », notamment des œuvres, et « croire » en la Parole, ce qui semble situer la présence de signes et l’adhésion de la foi dans un rapport d’inversion proportionnelle.
Objections
La capacité du miracle à rendre crédible une proposition de foi se heurte à un certain nombre d’objections.
La première porte sur le lien entre le miracle et le message qu’il est supposé confirmer. Si, selon Mt 24, 24, « il surgira de faux prophètes, qui produiront de grands signes et prodiges », à la manière des magiciens de Pharaon, en quoi les miracles accréditent-ils de vrais prophètes ? Du reste, le miracle peut bien témoigner de l’agilité ou du savoir-faire d’un (vrai) prophète sans pour autant attester nécessairement de la pertinence de la prophétie elle-même.
Le deuxième type de difficultés tourne autour de la connaissance du fait qualifié de miraculeux. N’est-ce pas par défaut provisoire d’explication scientifique que l’on recourt à la catégorie du merveilleux ? Plutôt donc que de crédibiliser quoi que ce soit, c’est plutôt une crédulité naïve qu’il manifeste ! Quant à la reconnaissance du miracle par l’Église, elle apparaît suspecte puisque c’est l’Église elle-même qui authentifie ce qui la conforte. Quelle est d’ailleurs cette foi qui prétend s’appuyer sur la factualité (« phénoménale ») alors qu’elle ne devrait s’intéresser qu’au symbolisme (« théologouménal ») des « récits » en question ?
La troisième série de mises en cause du miracle vise la réponse ponctuelle au problème du mal que le miracle semble apporter. Pourquoi, par exemple, une guérison opérée sur tel malade et pas sur tel autre ? En n’étant qu’une solution partielle et donc arbitraire au scandale de la présence du mal, le miracle ajoute l’injustice à ce scandale ! Et qu’est-ce que ce Dieu capricieux qui, par cette exception que représente le miracle, suspend lui-même l’ordre des choses qu’il a établi ?
La position de l’Église
On trouve une synthèse remarquable du rapport entre la foi et les miracles, notamment à partir de l’enseignement du concile Vatican I, dans le Catéchisme de l’Église catholique : « Le motif de croire n’est pas le fait que les vérités révélées apparaissent comme vraies et intelligibles à la lumière de notre raison naturelle. Nous croyons “à cause de l’autorité de Dieu même qui révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper”. “Néanmoins, pour que l’hommage de notre foi fût conforme à la raison, Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint-Esprit soient accompagnés des preuves extérieures de sa Révélation”. C’est ainsi que les miracles du Christ et des saints, les prophéties, la propagation et la sainteté de l’Église, sa fécondité et sa stabilité “sont des signes certains de la Révélation, adaptés à l’intelligence de tous”, des “motifs de crédibilité” qui montrent que l’assentiment de la foi n’est “nullement un mouvement aveugle de l’esprit” » (CEC 156).
Chanoine Christian Gouyaud