Suite à la parution de son ouvrage, Le Temps des saints, Mgr Marc Aillet est interrogé dans La Nef. En voici un extrait :
Vous consacrez de belles pages à la liturgie en plaidant pour la paix sur cette question : comment y parvenir dans le contexte nouveau de Traditionis custodes ?
Tout en comprenant l’intention qui préside au motu proprio Traditionis custodes du pape François qui est la même que celle de Benoît XVI dans Summorum pontificum, à savoir préserver l’unité de l’Église face à certaines crispations liturgiques, j’avoue être un peu mal à l’aise avec cette décision romaine. Peut-être parce que dans mon diocèse, la diversité liturgique entre les deux formes se vit paisiblement et que les prêtres et les fidèles attachés au vetus ordo vivent en bonne intelligence avec la vie et les orientations pastorales du diocèse. Nous n’avons peut-être pas assez pris en compte que la permanence, voire un certain succès de l’ancien missel, est largement liée aux déformations liturgiques à la limite du supportable qui avaient parfois présidé à la mise en œuvre du nouveau missel. En outre, on est bien obligé de constater que nombreux sont les jeunes qui passent volontiers d’une forme du rite à l’autre sans donner à leur démarche le poids idéologique que de tels choix pouvaient représenter il y a 40 ou 50 ans. On aura beau jeu d’en discerner la cause dans un manque de formation profonde à la liturgie et d’une méconnaissance de la constitution conciliaire sur la sainte liturgie, Sacrosanctum concilium, que Benoît XVI invitait à relire avec insistance. Il reste que ces jeunes trouvent dans le vetus ordo une sacralité, une verticalité qui est décisive pour leur rencontre avec le Seigneur. Ma conviction, c’est que l’on n’a pas assez travaillé à « l’enrichissement mutuel » entre les deux formes que le pape Benoît XVI appelait de ses vœux. Aussi aujourd’hui, nous devons éviter toute rigidité dans la mise en œuvre de ce motu proprio, faire preuve de patience et de pédagogie, insister sur la formation liturgique des fidèles, ce qui est précisément l’objet de la lettre Desiderio desideravi de François. Selon le principe si souvent martelé par le Saint-Père, selon lequel, « le temps est supérieur à l’espace », et sa recommandation d’une « écoute paternelle » de ces fidèles blessés, il faut adopter l’attitude pastorale, qu’il préconisait dans Amoris laetitia, à savoir : « accueillir, accompagner, discerner, intégrer. » Face à l’urgence de la mission, acceptons de faire l’unité dans la diversité, du moment que le sens de l’Église demeure intact.
Comment voyez-vous la place de l’Église et des évêques, le rôle des laïcs, dans un monde sécularisé indifférent à la religion, voire hostile, alors que s’opère une révolution anthropologique sans précédent dont, depuis plusieurs décennies, nous n’avons pu empêcher aucune « avancée » majeure ?
L’Église et les évêques doivent reprendre dans la société la place prophétique que Dieu lui-même nous a donnée, sans se résoudre, au nom d’un dialogue mal compris, à nous contenter de celle, relative et étriquée, que le monde veut bien nous concéder. Sous prétexte que, dans une société sécularisée et néopaïenne, aux prises avec une crise anthropologique inédite, nos concitoyens n’ont plus les codes de la culture chrétienne, nous n’osons plus proclamer haut et fort la vérité, comme si nous n’avions pas la conviction que l’homme est par nature incliné à la Vérité. J’ai l’heur de croire que nous ne devons pas avoir peur de parler à la conscience des gens, ce sanctuaire intime où la voix de Dieu se fait entendre (cf. Gaudium et spes n. 16). Une parole d’autorité, qui ne s’excuse pas d’avoir des convictions, peut briser la gangue culturelle qui obstrue la conscience, d’autant plus faible que l’homme moderne est fragilisé par la culture ambiante de la déconstruction, et toucher en vérité le cœur de l’homme d’aujourd’hui. Sans doute le témoignage rendu à la vérité exige-t-il des témoins cohérents.