Les évêques d’Ajaccio – Mgr Bustillo – et de Marseille – le cardinal Aveline – se sont adressés aux Corses de l’île et de Marseille avant Pâques.
On dit souvent que Marseille est la première ville corse ! On le dit avec humour mais à juste titre. Les liens familiaux, les activités des associations corses de notre ville et de notre diocèse, les amitiés nouées, les célébrations et les fêtes de la communauté corse, sont autant de manifestations d’un destin partagé entre Marseille et l’Ile de Beauté. Après une année 2022 marquée par la mort tragique d’Yvan Colonna et les tensions sociales qu’elle a suscitées dans l’île, il m’a paru important de me joindre à l’appel lancé par l’évêque d’Ajaccio, Mgr François Bustillo, il y a quelques jours : « Corse, lève-toi ! ». Cet appel, aux mots justes et courageux, rejoindra sans aucun doute le cœur des Corses, qu’ils soient dans l’île ou sur le continent. Mais il rejoindra aussi le cœur des Marseillais et de tout homme de bonne volonté : le mal, la violence, la haine, qui enténèbrent souvent nos sociétés méditerranéennes ne sont pas une fatalité ! Je remercie Mgr Bustillo de m’avoir autorisé à vous partager son appel.
CORSE, LEVE – TOI !
Voici maintenant le temps favorable ( 2 Co 6,2)
Les joies et les peines du peuple corse sont les joies et les peines de son évêque. Cette année nous gardons dans la mémoire deux morts tragiques qui ont blessé la Corse, celle du préfet Erignac et celle d’Yvan Colonna. En Corse on honore les défunts. Nous ne pouvons pas oublier l’histoire. J. Green le dit : ignorer le passé c’est raccourcir l’avenir. Ces drames douloureux contribuent à éveiller les consciences.
Je crois arrivé le temps d’honorer les vivants. Nous, nos jeunes, nos enfants, nos familles. Il ne faut pas répéter l’histoire mais la réparer. C’est le moment favorable pour ne plus subir l’histoire en passant des pages sombres aux pages lumineuses.
C’est le moment de sauver l’âme de ce peuple, selon la tradition biblique, pour qu’il garde sa dignité et son identité et ne se transforme pas en masse. Les Grecs disaient : quand le peuple se transforme en masse l’instinct est partout et la raison nulle part.
Voici que je fais toutes choses nouvelles (Ap 21,5)
Nous avons traversé une période d’hiver tragique où les protagonistes étaient la peur, la violence, la rage, l’incompréhension, le mépris, l’injustice, la douleur, la mort. La Corse a souffert.
Elle doit se libérer des signes mortifères pour épouser le mouvement d’une nouvelle vie. Pour les chrétiens, les difficultés et les obstacles ne sont pas des impasses mais des passages. Nous sommes les fils de la Résurrection.
L’espérance des Corses veut sortir d’un coma paralysant pour ne pas s’installer dans le pessimisme.
La Corse veut vivre un printemps où les protagonistes de la nouvelle étape seront tous les Corses : les forces politiques et économiques, le monde sportif et culturel, les confréries, les mouvements associatifs, tous les croyants et les corses de bonne volonté.
Le changement vers l’espérance a besoin de l’engagement de tous.
Ce printemps corse ouvre un nouveau cycle, une opportunité pour faire du neuf. J’ai senti en vous écoutant le désir de changer, de rêver, d’évoluer et de bâtir. Pour cela il faut la foi et la volonté ; seulement alors, on ressuscite l’enthousiasme qui n’est pas la naïveté.
Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts (1 Jn 2, 14)
J’ose imaginer une Corse où l’on peut vivre en paix. Une société où les uns sont avec les autres et non pas les uns contre les autres.
J’encourage les jeunes à une révolte des intelligences pour libérer leur potentiel et ne pas céder au fatalisme.
J’ai rencontré des jeunes solides qui ont envie de participer activement à la construction d’une société meilleure. Chers jeunes de Corse réparez la confiance, créez un tsunami d’espérance, imaginez une société libérée, pacifiée et réconciliée.
Vous méritez d’être écoutés. Vos aspirations légitimes partent de vos idées, tendent vers l’idéal et s’éloignent de l’idéologie. Vous le savez, un peuple divisé s’auto-fragilise.
Vous avez la sublime et noble responsabilité de conserver et de transmettre un patrimoine humain, culturel et spirituel unique. Engagez-vous pour que le génie corse soit exploré et exploité. Dans cette démarche, l’enjeu de la paix pour les futures générations n’est pas une option mais un principe moteur.
Je vous le dis à tous, mes amis Corses, sortons des combats douloureux entre eros et thanatos, il faut que l’amour l’emporte. Je ne parle pas d’un amour romantique artificiel et superficiel, je ne parle pas d’un amour mou et flou mais de l’Amour puissant qu’on trouve dans l’Évangile. Un Amour capable de transformer les vies et de rendre l’être humain heureux parce que respecté dans sa dignité profonde.
C’est le temps de risquer. Celui qui ne risque rien ne fait rien, n’a rien, n’est rien, disait sœur Emmanuelle.
Oser une nouvelle étape dans la vie sociale corse nous permettra d’être fiers d’avoir lutté et aimé pour ouvrir un horizon lumineux aux nouvelles générations.
Je vous propose un geste en ce temps particulier. Le dimanche des Rameaux, le 2 avril, participez aux messes dans nos superbes églises de Corse et portez en vous l’intention de contribuer à la paix par votre présence. Les branches d’olivier seront le signe de notre volonté de pacifier les esprits.
Que Marie, Reine de la Corse, éclaire nos consciences et nous donne la force intérieure d’avancer dans la confiance.
+ François
Evêque d’Ajaccio pour la Corse
Chers amis corses de Marseille, vos peines sont nos peines, vos joies sont nos joies. Les déchirures qui ont affecté la Corse sont souvent les mêmes que celles qui déchirent le cœur de notre ville. Voilà pourquoi, il y a quelques mois, j’avais moi-même lancé à Marseille un appel à réveiller les consciences face à la violence qui répand la mort et la peur dans notre ville, comme l’autre soir encore à Saint-Joseph, devant la Maurelette, à l’angle du boulevard Simon Bolivar et de la rue Paul Coxe, où j’ai longtemps habité. Je fais miennes chacune des paroles de Mgr Bustillo. Puissent-elles nous aider à bâtir une société où chacun puisse vivre et s’épanouir dans la paix. Dans quelques jours, le 11 avril, nous célébrerons le soixantième anniversaire de l’encyclique prophétique de Jean XXIII, Pacem in Terris, qu’il est très utile de relire dans le contexte tendu que nous connaissons aujourd’hui, non seulement au plan international, mais aussi au plan national et social.
À vous, Corses de Marseille, j’exprime ma profonde reconnaissance pour votre présence et votre contribution à la prospérité de notre cité. Je sais combien la foi chrétienne a façonné votre culture. Merci de continuer à en être les témoins. À l’approche des jours où nous ferons mémoire de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, ces jours qui parlent tant à l’âme de tous les Corses, et où nous célébrerons, au matin de Pâques, la joie de sa Résurrection, qui est la source de notre espérance, je vous assure de ma profonde estime et de ma prière.
Bona e santa Pasqua a tutti !
+ Jean-Marc Aveline
Cardinal archevêque de Marseille