Dans Res Novae, Philippe Maxence commente Cent ans de gouvernement de l’Église en France, sous la direction de Valentien Favrie, Charles Mercier et Christian Sorrel, Presses Universitaires de Rennes, 296 pages, 25 €. La structure épiscopale française a souffert des conséquences successives de la Révolution, du Ralliement et de la loi de séparation.
Pendant un siècle, les évêques de France ne purent se réunir. Des conciles provinciaux renaissent à partir de 1848 (précisément de septembre 1849 à octobre 1850, puis de 1851 à 1860) mais ne survivront pas à l’instauration de la Troisième République et à la mise en place d’une politique profondément anticléricale, dans le but d’une laïcisation totale de la société française. Or, les conciles provinciaux ou pléniers constituaient une forme ancienne de concertation épiscopale, actualisée par le code de droit canonique de 1917 (canons 281 à 292), lequel stipule qu’ils ne peuvent être réunis qu’après avoir reçu l’autorisation du souverain pontife (canon 281) et qu’ils doivent être convoqués dans chaque province ecclésiastique « au moins tous les vingt ans » (canon 284). Deux précisions importantes directement mises à mal par l’ingérence du pouvoir politique de droit nouveau issu de la Révolution française.
Tout en s’inscrivant dans ce cadre idéologique, la loi de Séparation de l’Église et de l’État conduit le pape Pie X à autoriser la tenue d’assemblées plénières de l’épiscopat français. Elles se limiteront à trois rencontres : avril-mai 1906, septembre 1906 et janvier 1907. Le désir des évêques de France de se rencontrer était principalement né du besoin de trouver une réponse à la législation républicaine anticatholique. Dans ce contexte, Rome souhaitait également que l’unité de l’Église en France apparaisse nettement, tout en sachant qu’une partie des évêques français (la majorité ?) était prête, dans l’esprit du Ralliement imposé par Léon XIII (1892), à transiger avec le pouvoir républicain et laïc.
Pour Rome, il fallait donc éviter à la fois que ces assemblées se transforment en organe doctrinal et qu’apparaissent aux yeux du public et du pouvoir politique un désaccord entre le pape et l’épiscopat français. Aussi ces assemblées furent-elles encadrées par la publication de textes pontificaux (l’encyclique Vehementer nos du 18 février 1906 ; l’encyclique Gravissimo officii du 10 août 1906 et l’encyclique Une fois encore du 6 janvier 1907). Plus : entre la publication des deux premiers documents, Pie X avait aussi sacré le 25 février 1906 quatorze évêques français, renouvelant ainsi le corps épiscopal. Ces assemblées plénières n’eurent pas de suite, Rome demandant qu’elles soient remplacées par des « conférences régionales autour des cardinaux de Paris, Lyon, Bordeaux et Reims ».
Il faudra ensuite attendre les lendemains de la Première Guerre mondiale pour voir apparaître un premier organe de concertation avec la création de l’Assemblée des cardinaux et archevêques (l’ACA) dont la première réunion se tiendra le 19 février 1919. Dès celle-ci sont abordées des questions essentiellement politiques dans la perspective de la publication d’une lettre collective. S’il est notamment question de l’apposition du Sacré-Cœur sur le drapeau tricolore, la réunion porte surtout sur « les règles électorales : refus du parti catholique, devoir de voter, choix du candidat le moins mauvais en position éligible à défaut du meilleur. »
Schématiquement, les évêques qui ont accepté le principe du Ralliement perçoivent la République à travers la grille traditionnelle des différents types de régime sans saisir la nouveauté radicale, nouveauté idéologique, née des Lumières et institutionnalisée par la Révolution. Les lois de laïcité ne sont dès lors perçues que comme des excès à combattre à l’intérieur même du système républicain. La Séparation de l’Église et de l’État, considérée comme mauvaise en principe, se révèle pour ces mêmes évêques comme une occasion de sortir des liens avec le régime républicain, de retrouver une liberté d’action et de… concertation.
Dans la ligne de saint Pie X, d’autres évêques entendent adopter une position plus ferme, non pas qu’ils aient forcément une meilleure compréhension du caractère idéologique et foncièrement nouveau du système républicain révolutionnaire, mais parce que toute tentative de transaction leur semble mettre en péril le droit de l’Église.
Comme dans toute assemblée réunissant des positions différentes, la solution du compromis, celle de l’opinion moyenne, ne peut être que la sortie de secours.
La tenue du concile (1962-1965) pousse les évêques français à mettre en place de nouvelles structures. Finalement, l’ACA disparaît en mai 1964, laissant la place à la Conférence épiscopale française qui devient ensuite la Conférence des évêques de France (CEF), créée dans la suite de la constitution dogmatique Lumen gentium (n. 23). Bien que sans statut théologique très défini, la Conférence épiscopale se développe de manière autonome, sans attendre désormais l’autorisation de Rome pour se réunir. Pendant les années Jean-Paul II, la tension va se situer exactement à ce niveau, notamment après la publication du motu proprio Apostolos suis sur « la nature théologique et juridique des conférences épiscopales ».
La structure de la Conférence des évêques et le régime d’assemblée entraînent des conséquences très pratiques. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, alors nouveau président de la CEF, estime que les évêques de France ont « un mode de fonctionnement parlementaire. »
Il ne faudrait pas se tromper : l’objectif de synodalité, actuellement visé, constitue en fait l’étape du moment d’un long processus de démocratisation qui prend ses racines à l’époque du Ralliement et qui a été réactivé d’une manière plus forte après Vatican II. Loin d’en être les bénéficiaires, les évêques en sont des victimes, leur pouvoir et leur responsabilité de successeur des Apôtres étant dilués dans la Conférence épiscopale et son inévitable recherche du consensus.
Alors même qu’en près de cinquante ans, l’État laïc a imposé l’avortement, les lois dites de bioéthique, le remboursement de la contraception et de l’avortement, le renforcement des lois de laïcité, le « mariage » des homosexuels et bientôt l’euthanasie, aucun évêque français n’a pu s’exprimer de manière durable, comme défenseur de la Cité, en remettant en cause la laïcité, au risque sinon de détruire le consensus épiscopal.