Les commissions indépendantes – mandatées l’une par l’Arche, l’autre par les dominicains – pour faire la lumière sur les abus sexuels et spirituels commis par Jean Vanier et les frères Philippe publient leurs rapports lundi 30 janvier. Leurs recherches révèlent la sidérante persistance, pendant des décennies, d’un noyau sectaire aux croyances et pratiques mystico-érotiques au cœur de l’Église.
La commission indépendante chargée à la demande de L’Arche d’explorer les révélations d’abus sexuels et spirituels commis par Thomas Philippe et Jean Vanier a rendu son rapport de 900 pages.
L’enquête met en lumière une défaillance des autorités ecclésiales. Deux lanceuses d’alerte ont eu un rôle dans les années 1950, dont l’une obtint des dominicains le lancement d’une enquête. Ces alertes ont abouti à la condamnation quatre ans plus tard de Thomas Philippe, privé du droit de célébrer les sacrements et d’occuper un quelconque ministère.
Le rapport confirme que fut aussi condamné en 1957 son frère Marie-Dominique Philippe pour avoir couvert son aîné dans ses dérives et incité une religieuse qu’il accompagnait à s’y adonner.
Toutefois, ces condamnations du Vatican n’ont pas suffi à mettre un terme aux dérives mystico-érotiques des membres de la secte. La sanction de Marie-Dominique Philippe est restée secrète. Thomas Philippe a réussi à présenter la sienne comme le résultat d’oppositions théologiques.
D’autres membres de la famille Philippe ont également été sanctionnés : l’ancienne prieure du couvent voisin de l’Eau vive, Mère Cécile fut déposée du jour au lendemain et envoyée dans un autre couvent sous un autre nom pour avoir poussé des religieuses de sa communauté dans les bras de son frère, eu des relations homosexuelles avec plusieurs d’entre elles et des relations incestueuses avec son frère.
Enfin, leur oncle, le père Thomas Dehau, dominicain lui aussi renommé dans l’ordre, reçut un avertissement canonique, peine légère qu’il ne dut qu’à son âge car il aurait reconnu avoir fait lui aussi « des choses mystérieuses » avec des religieuses qu’il accompagnait spirituellement.
Les documents d’archives ont permis de confirmer des informations qui étaient pressenties, et d’abord la matérialité des faits.
Le rapport révèle une information marquante qui relança en 1955 l’enquête : un témoignage d’un dominicain fit état d’un avortement pratiqué pour mettre fin à la grossesse d’une proche de Thomas Philippe, et du terrible « sens » mystique que le petit groupe d’initiés lui donna.
Le rapport montre aussi comment Jean Vanier, maniant l’art de la séduction et de la valorisation de ses interlocutrices, a entraîné celles qu’il accompagnait spirituellement dans des relations sexuelles sous emprise, avec les mêmes justifications mystiques que son mentor et selon un mode opératoire assez constant.
L’historien Florian Michel souligne :
« Si nous n’avons certainement pas rassemblé toutes les pièces du puzzle, il y en a suffisamment pour reconstituer le tableau avec précision ». « Emprise, abus sexuels, délire collectif, corruption théologique de notions au cœur du christianisme, dévoiement spirituel, manipulation, représentations incestueuses des relations entre Jésus et Marie. Le dossier est lourd… »
Selon Jacques Maritain
« Le P. Thomas est fou, à mon avis. Le Père Marie-Dominique connaît les faits, et déclare que son frère étant un saint, tout est bien ainsi. Un autre fou. Le diable est déchaîné dans cette affaire inouïe ». « Pour moi, c’est un cas extraordinaire de schizophrénie – un vin trop riche (sincère soif de sainteté, etc.) dans une outre à double fond dont la pourriture fait tout tourner en perversion. »
Malgré cela, après le Concile, ces condamnations ont été “oubliées” et les abus reproduits, au sein de l’Arche comme de la communauté des Frères de Saint-Jean. Il reste à comprendre comment Rome et l’ordre dominicain ont pu enterrer ces condamnations.