Le quotidien officieux de la CEF publie une tribune de François Galichet, près de 80 ans, militant de l’association pro-euthanasie Ultime liberté, mis en examen en 2021 dans le cadre d’une vaste enquête sur le “trafic” de Pentobarbital. Ce produit, interdit en France depuis 1996 pour la médecine humaine, est parfois utilisé par des personnes souhaitant mettre fin à leurs jours.
Ancien professeur de philosophie à l’Université, ancien vice-président national d’Ultime Liberté, il a été soupçonné d’avoir aidé des personnes qui souhaitaient mettre fin à leurs jours à se procurer ce produit. Il déclarait alors ne pas avoir peur d’un procès, comme lors de la légalisation de l’avortement :
Je suis accusé de complicité d’acquisition de substances interdites. Dans la République française, il y a le principe de fraternité qui figure dans la consitution. Le conseiller constitutionnel a affirmé récemment que la fraternité pouvait s’appliquer même à certains actes illégaux. Par exemple, pour des personnes qui ont aidé des migrants en grand danger en les hébergeant, elles ne pouvaient être poursuivies pour ces faits-là. Nous allons plaider ce principe de fraternité, nous plaiderons ce dossier ainsi. C’est peut-être illégal, nous ne le contestons pas, mais c’est parfaitement légitime. Lors du débat sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse), des personnes ont commis des actes illégaux pour permettre que l’IVG devienne un droit légal reconnu partout.
Et c’est donc à ce militant que le quotidien La Croix a proposé une tribune, dans laquelle il déforme l’enseignement de Notre-Seigneur :
la conception de la vie comme « don de Dieu »justifie en réalité la légitimité de la mort réfléchie. Parce que le don que nous fait Dieu de notre vie est un vrai don, un don absolu, il porte sur notre vie entière, y compris sa fin ; Il nous fait confiance jusqu’au bout et sans restriction. […]
Si Dieu nous a confié le pouvoir de donner la vie (d’avoir des enfants ou non), pourquoi ne nous déléguerait-il pas aussi le soin de l’abréger quand nous l’estimons opportun ? Parce que la vie est un don de Dieu, elle est un bien dont nous sommes pleinement responsables, de son commencement (« l’âge de raison ») jusqu’à son terme (la mort). Exclure la mort du champ de notre liberté, c’est faire injure à Dieu, le considérer non comme un Dieu d’amour mais comme un Dieu jaloux, possessif, imposant des interdits et des restrictions à ce qu’il donne, ne faisant pas confiance aux êtres qu’il a créés libres et responsables.
S’agissant de la seconde thèse – le caractère sacré de la vie –, elle pose le problème de savoir ce que c’est que la vie. Il y a la vie au sens étroit, c’est-à-dire biologique. Mais quand on parle de « vie politique » de « vie religieuse », de « vie culturelle », on emploie ce mot dans un sens plus large et métaphorique. Quand le Christ dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 6) , il n’entend évidemment pas la vie dans un sens purement biologique.
Le plus souvent, vie biologique et vie humaine et spirituelle vont de pair. Il vaut mieux être en bonne santé pour se consacrer à des activités politiques, culturelles, économiques, religieuses. Mais on ne saurait nier qu’il y a des situations extrêmes où la dégradation de la vie biologique rend impossible toute autre forme de vie. Un malade hospitalisé, abruti par les analgésiques et déjà à moitié inconscient, peut-il continuer d’avoir avec ses proches une relation aimante et humaine ? […]
On peut ici rappeler la phrase de Jésus : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » Si chaque chrétien doit imiter le Christ, cela signifie que lui aussi est appelé à « donner » sa vie s’il l’estime, en conscience et dans des circonstances extrêmes, digne et juste.
Des théologiens comme le père jésuite Carlo Casalone, et Marie-Jo Thiel, estiment qu’il pourrait être légitime pour l’Église de soutenir la légalisation du suicide assisté, dans des conditions strictement définies et délimitées. Il serait souhaitable que les catholiques participent à la réflexion sur ces conditions plutôt que de s’enfermer dans une opposition de principe.
Dans un texte de 1980 de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Seper écrit :
La vie humaine est le fondement de tous les biens, la source et la condition nécessaire de toute activité humaine et de toute communion sociale. Si la plupart des hommes estiment que la vie a un caractère sacré et que chacun peut en disposer à son gré, les croyants y voient plus encore un don de l’amour de Dieu, qu’ils ont la responsabilité de conserver et de faire fructifier. De cette dernière considération découlent les conséquences suivantes :
1. Nul ne saurait porter atteinte à la vie d’un homme innocent sans s’opposer à l’amour de Dieu pour lui, sans violer un droit fondamental inamissible et inaliénable, donc sans commettre un crime d’une extrême gravité.
2. Tout homme a le devoir de conduire sa vie selon le dessein du Créateur. Elle lui est confiée comme un bien qu’il doit mettre en valeur ici-bas, mais qui ne trouve son épanouissement que dans la vie éternelle.
3. Le suicide est donc aussi inacceptable que l’homicide, car il constitue de la part de l’homme un refus de la souveraineté de Dieu et de son dessein d’amour ; souvent aussi le suicide est refus d’amour envers soi-même, négation de l’aspiration naturelle vers la vie, abdication devant les obligations de justice et de charité à l’égard des proches, de diverses communautés et du corps social tout entier – bien que parfois, on le sait, interviennent des conditions psychologiques qui peuvent atténuer ou même supprimer la responsabilité.
Il faut distinguer avec soin du suicide le sacrifice par lequel, en vue d’une grande cause – comme l’honneur de Dieu, le salut des âmes ou le service de ses frères – quelqu’un donne ou expose sa propre vie (cf. Jn 15, 14).
Dans Evangelium Vitae, le saint pape Jean-Paul II dénonce cette vision prométhéenne :
Mais, dans l’ensemble du contexte culturel, ne manque pas non plus de peser une sorte d’attitude prométhéenne de l’homme qui croit pouvoir ainsi s’ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu’il en décide, tandis qu’en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. Nous trouvons une tragique expression de tout cela dans l’expansion de l’euthanasie, masquée et insidieuse, ou effectuée ouvertement et même légalisée. Mise à part une prétendue pitié face à la souffrance du malade, l’euthanasie est parfois justifiée par un motif de nature utilitaire, consistant à éviter des dépenses improductives trop lourdes pour la société. On envisage ainsi de supprimer des nouveau-nés malformés, des personnes gravement handicapées ou incapables, des vieillards, surtout s’ils ne sont pas autonomes, et des malades en phase terminale. Il ne nous est pas permis de nous taire face à d’autres formes d’euthanasie plus sournoises, mais non moins graves et réelles. Celles-ci pourraient se présenter, par exemple, si, pour obtenir davantage d’organes à transplanter, on procédait à l’extraction de ces organes sans respecter les critères objectifs appropriés pour vérifier la mort du donneur. […] (n°15)
Revendiquer le droit à l’avortement, à l’infanticide, à l’euthanasie, et le reconnaître légalement, cela revient à attribuer à la liberté humaine un sens pervers et injuste, celui d’un pouvoir absolu sur les autres et contre les autres. Mais c’est la mort de la vraie liberté: « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jn 8, 34). (n°20) […]
66. Or, le suicide est toujours moralement inacceptable, au même titre que l’homicide. La tradition de l’Eglise l’a toujours refusé, le considérant comme un choix gravement mauvais. Bien que certains conditionnements psychologiques, culturels et sociaux puissent porter à accomplir un geste qui contredit aussi radicalement l’inclination innée de chacun à la vie, atténuant ou supprimant la responsabilité personnelle, le suicide, du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu’il comporte le refus de l’amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs de justice et de charité envers le prochain, envers les différentes communautés dont on fait partie et envers la société dans son ensemble. En son principe le plus profond, il constitue un refus de la souveraineté absolue de Dieu sur la vie et sur la mort, telle que la proclamait la prière de l’antique sage d’Israël: « C’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendre aux portes de l’Hadès et en fais remonter » (Sg 16, 13; cf. Tb 13, 2).
Partager l’intention suicidaire d’une autre personne et l’aider à la réaliser, par ce qu’on appelle le « suicide assisté », signifie que l’on se fait collaborateur, et parfois soi-même acteur, d’une injustice qui ne peut jamais être justifiée, même si cela répond à une demande. « Il n’est jamais licite — écrit saint Augustin avec une surprenante actualité — de tuer un autre, même s’il le voulait, et plus encore s’il le demandait parce que, suspendu entre la vie et la mort, il supplie d’être aidé à libérer son âme qui lutte contre les liens du corps et désire s’en détacher; même si le malade n’était plus en état de vivre cela n’est pas licite ». Alors même que le motif n’est pas le refus égoïste de porter la charge de l’existence de celui qui souffre, on doit dire de l’euthanasie qu’elle est une fausse pitié, et plus encore une inquiétante « perversion » de la pitié: en effet, la vraie « compassion » rend solidaire de la souffrance d’autrui, mais elle ne supprime pas celui dont on ne peut supporter la souffrance. Le geste de l’euthanasie paraît d’autant plus une perversion qu’il est accompli par ceux qui — comme la famille — devraient assister leur proche avec patience et avec amour, ou par ceux qui, en raison de leur profession, comme les médecins, devraient précisément soigner le malade même dans les conditions de fin de vie les plus pénibles.
Le choix de l’euthanasie devient plus grave lorsqu’il se définit comme un homicide que des tiers pratiquent sur une personne qui ne l’a aucunement demandé et qui n’y a jamais donné aucun consentement. On atteint ensuite le sommet de l’arbitraire et de l’injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs, s’arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l’Eden: devenir comme Dieu, « connaître le bien et le mal » (cf. Gn 3, 5). Mais Dieu seul a le pouvoir de faire mourir et de faire vivre: « C’est moi qui fais mourir et qui fais vivre » (Dt 32, 39; cf. 2 R 5, 7; 1 S 2, 6). Il fait toujours usage de ce pouvoir selon un dessein de sagesse et d’amour, et seulement ainsi. Quand l’homme usurpe ce pouvoir, dominé par une logique insensée et égoïste, l’usage qu’il en fait le conduit inévitablement à l’injustice et à la mort. La vie du plus faible est alors mise entre les mains du plus fort; dans la société, on perd le sens de la justice et l’on mine à sa racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les personnes.