L’Homme Nouveau a mis en ligne une série d’articles et de témoignages suite au rappel à Dieu du Pape émérite Benoit XVI.
Philippe Maxence signe une belle tribune rappelant la fécondité du ministère du Pape émérite :
Le rappel à Dieu du pape Benoît XVI, le 31 décembre dernier, n’a été au fond une surprise pour personne et pourtant cette disparition a provoqué une émotion profonde. Âgé, malade, il était évident qu’il n’avait plus que quelques mois à vivre sur cette terre. Nous attendions la nouvelle et nous la redoutions. Elle est venue à l’heure de Dieu, pour laquelle ce serviteur fidèle s’était préparé depuis longtemps, dans l’espérance de pouvoir accéder, comme il l’a écrit dans son Testament spirituel, aux « demeures éternelles. »
Benoît XVI : « Humble serviteur dans la vigne du Seigneur »
Prêtre, professeur, théologien, cardinal de curie, pape enfin, Joseph Ratzinger s’est voulu tout au long de son existence un « humble serviteur dans la vigne du Seigneur ». Difficile en quelques mots de résumer son apport, ses réussites et ses échecs tant son œuvre est immense et sa place dans l’Église grandissante, notamment à partir d’Entretien sur la foi, paru en 1985. Les témoignages et les hommages que nous publions dans ce numéro en donneront un aperçu, reflet d’un ensemble beaucoup plus vaste. Le moment venu, l’Histoire permettra de mieux connaître cette vie et d’approfondir son influence.
On me permettra ici un souvenir personnel. Le cardinal Ratzinger connaissait bien L’Homme Nouveau, lecteur attentif qu’il était, notamment à l’époque de Marcel Clément. Une photographie célèbre en témoigne d’ailleurs où on le voit lire L’Homme Nouveau dont le titre de Une est alors prémonitoire : « Tu es Petrus ».
Benoît XVI et L’Homme Nouveau
J’ai eu le grand bonheur de le rencontrer lors des Journées liturgiques de Fontgombault (2001), grâce à dom Antoine Forgeot, puis à Rome où j’étais venu réaliser un entretien avec lui sur son livre L’Esprit de la liturgie. Nous avions alors mené au sein de L’Homme Nouveau une longue enquête d’un an sur ce thème, publiée ensuite en ouvrage, accompagnée d’une postface du cardinal Ratzinger (1). Présent au moment de son intronisation pontificale grâce au cardinal Medina Estévez, j’avais pu lui signaler le soutien de L’Homme Nouveau et de ses lecteurs.
Aujourd’hui, les hommages pleuvent et chacun revendique, certainement en toute légitimité, sa part de proximité avec Benoît XVI. Réactions normales et très humaines, mais émotions qu’il faut dépasser aussi. D’une part en revenant quelque peu en arrière et, aussi, en tentant de nous projeter en avant.
Une décision historique de Benoît XVI : Summorum Pontificum
D’autres diront l’apport du théologien, du spirituel, du musicien, de l’homme de la jonction entre la foi et la raison. L’un des grands actes du pontificat de Benoît XVI, dans la perspective de l’unité et de la paix dans l’Église, aura été le motu proprio Summorum Pontificum qui, à travers le monde, a touché des milliers de prêtres et de fidèles. Dans son livre de souvenirs portant sur les années 1927-1977, Joseph Ratzinger écrivait : « j’étais consterné de l’interdiction de l’ancien missel, car cela ne s’était jamais vu dans toute l’histoire de la liturgie », ajoutant plus loin : « je suis convaincu que la crise de l’Église que nous vivons aujourd’hui repose largement sur la désintégration de la liturgie ».
Fort du souci de réparer un acte profond d’injustice et de contribuer à sortir l’Église d’une crise terrible, Benoît XVI a tenté de mener une réforme par le haut qu’il n’a pas su ou pu mener à terme. Peut-être qu’avant de tenter de régler la question liturgique, aurait-il fallu nommer des évêques susceptibles de porter avec lui et dans leurs diocèses les exigences profondes d’une réforme qui aurait pu être une véritable réforme bénédictine : doctrinale, liturgique et spirituelle.
Une restauration ?
Quoi qu’il en soit, son retour à Dieu doit certainement être compris aussi dans le sens de la parole évangélique rappelant que le grain doit mourir pour porter du fruit.
Ce fruit, quel peut-il être ? Dans Entretien sur la foi, le cardinal Ratzinger avait parlé de « restauration », déclenchant d’ailleurs tant de réactions négatives qu’il avait dû s’expliquer. À ce sujet, il avait donné l’exemple de saint Charles Borromée, le grand saint évêque de l’application du concile de Trente.
Il avait souligné également que si l’Église est toujours à réformer (Ecclesia semper reformanda est), cette sentence traditionnelle ne doit être comprise ni dans le sens du protestantisme, qui l’a beaucoup utilisée, ni comme la construction d’une Église humaine : « Aussi les “réformes”, les “renouveaux” – bien que toujours nécessaires – ne peuvent-ils se réduire à un activisme zélé de notre part pour ériger de nouvelles structures sophistiquées. Le mieux qu’il puisse sortir d’un travail de ce genre est une Église “à nous”, à notre mesure, qui peut être une chose intéressante, mais qui, en soi, n’est pas la véritable Église, celle qui nous soutient par la foi et nous donne vie par le sacrement. »
Génération Benoît XVI : vers une véritable réforme théologique et morale
De ce point de vue, l’une des plus grandes urgences, et l’une des plus difficiles, est d’opérer une véritable réforme théologique et morale consistant à rompre avec une vision démocratique qui a eu tendance à s’instaurer au sein de l’Église, sous prétexte de l’évolution des mentalités et des sociétés.
Vision démocratique qui ne concerne pas d’abord les structures et les modes de relation dans l’Église (moins de « cléricalisme », plus de place des femmes, etc.), mais qui touche plus profondément à ce qu’est la foi : une adhésion à l’enseignement de Dieu qui se révèle dans le Christ, par l’intermédiaire de ses apôtres et de leurs successeurs parlant en vertu de son autorité enseignante (« Qui vous écoute, m’écoute »).
Une restauration en profondeur, qui implique, pour ces derniers, de sortir d’une sorte de nouvel habitus pouvant aller jusqu’au refus de condamner l’erreur et d’exprimer la vérité qu’il faut croire, faute de quoi on fait naufrage dans la foi. Autrement dit, ils devront écarter courageusement la tentation de se conformer au libéralisme ambiant, qui considère tout dogmatisme comme tyrannique pour les consciences modernes : c’est la grande leçon que l’on peut trouver au terme de la dénonciation par Benoît XVI de la « dictature du relativisme ».
On peut dire que le pape du futur, les évêques, les prêtres qui se consacreront à cette restauration nécessaire, qui ne visera au fond qu’à se réapproprier l’être catholique avec toutes ses conséquences pour faire face aux exigences du moment, seront, en quelque sorte, de la « génération Benoît XVI ».
Philippe Maxence
(1). Enquête sur l’Esprit de la liturgie, Éd. de l’Homme Nouveau, 128 p., 19 € (cf. p. 39).
Pour aller plus loin, voir notre dossier Benoît XVI et l’ensemble de nos articles de témoignages et d’hommages.
Sous prétexte que Benoît XVI est décédé, et que l’utilisation et la valorisation de sa vie et de son oeuvre vont pouvoir continuer sur une base nouvelle, pour ainsi dire “TRADICILIAIRE”, il ne faudrait quand même pas oublier que c’est le positionnement conciliaire conservateur,
– nI anti-libéral ad extra en matière religieuse, ni philo-libéral ad intra en matière morale,
mais aussi
– ni intégriste, ni progressiste, sur le plan dogmatique et sur le plan liturgique,
qui est le positionnement commun à Jean-Paul II et à Benoît XVI.
Mais ce positionnement n’a contrecarré efficacement
– ni la non réception volontaire, par bien des clercs, de Veritatis splendor, d’Evangelium vitae, de Fides et ratio, de Dominus Iesus, du Compendium du Catéchisme et de Verbum domini,
– ni l’idéologie du discernement évangélique dans la miséricorde et dans l’ouverture sur les périphéries, ou de l’inclusion périphériste et synodaliste, idéologie apparue dès la fin du Concile.
Aussi, certes, il y a de très bonnes et grandes choses chez Benoît XVI, notamment dans ses homélies, éclairantes et édifiantes, mais il ne faudrait quand même pas oublier que le courant de pensée qu’il incarne, autant que son prédécesseur, a amplement contribué à inscrire la poursuite de la crise de l’Eglise dans la longue durée, à partir de l’élection de Jean-Paul II, et non à partir de la démission de Benoît XVI.
En effet, pendant un tiers de siècle, nous avons eu deux papes
– qui ont refusé, sciemment, de remonter des effets, post-conciliaires, aux causes, ante-conciliaires puis intra-conciliaires,
et
– qui ont refusé, tout aussi sciemment, de transformer leur recentrage officiel ad intra, nécessaire mais insuffisant, en une véritable restauration effective.
Cette restauration effective aurait certainement aggravé le schisme moderniste de janvier 1989 (cf. la déclaration de Cologne), mais aurait eu aussi l’immense mérite d’en finir avec une ambivalence pusillanime qui n’a que trop duré, face aux clercs décatholicisateurs de l’Eglise, qui y ont pris le pouvoir, au moment et au moyen du Concile, et qui sont capables de TOUT, avec l’aide de François, pour pouvoir le garder.
En l’occurrence, pour pouvoir garder le pouvoir dans l’Eglise, ils sont même capables d’aller jusqu’jusqu’à DETRUIRE L’EGLISE, et, ils s’y emploient encore plus depuis 2021 que depuis 2013, mais ce n’est certainement pas en prenant appui sur un positionnement ratzingérien puis “bénédictin” qui, globalement, a laissé agir les clercs qui veulent libérer l’Eglise et les fidèles de bon nombre de prétendus stéréotypes, porteurs de soi-disant discriminations, que les catholiques conservateurs et les catholiques traditionnels vont pouvoir réussir à mettre hors d’état de nuire les clercs officiellement catholiques qui sont en fait des adversaires déterminés du contenu de la foi catholique, de la morale chrétienne, de la liturgie et des sacrements de l’Eglise, et qui cheminent en direction d’une quasi apostasie intra-ecclésiale.
Nous ne sommes pas en présence d’un processus synodal, mais en présence d’un processus pré-létal, ou “suicidal”, notamment en Allemagne. Comment se fait-il que les évêques ne dénoncent pas et ne désignent pas les nouveaux “assassins de la foi” catholique, et comment pourraient-ils le faire avec énergie et fermeté, s’ils prennent appui sur une herméneutique du renouveau dans la continuité qui, notamment dans le cadre du dialogue inclusiviste interreligieusement correct, n’a jamais eu pour objet ni pour effet d’arrêter de soumettre la distinction catholique entre les erreurs et la vérité à la distinction, consensualiste fraternitaire, entre les divisions et l’unité ?